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Désir d’islam ou islam des ires ? (partie 1/2)

La question mérite en effet d’être posée à la lecture du dernier livre de Martine Gozlan[1], qui semble concentrer sur cette religion toutes ses colères et toute son encre.

Sa problématique est ici la suivante : elle cherche «  à comprendre ce qui, hier, aujourd’hui, demain, pousse vers l’Islam les esprits et les cœurs de la rive européenne, française principalement. »[2]  ; à cette problématique, elle va appliquer une méthodologie particulière : sans doute dans le souci de mieux comprendre, elle commence par nier la réalité de l’islamophobie et délégitimer l’islamophilie : « Entre l’islamophilie, pétrie d’allégeance béate, et l’islamophobie, dont on accuse tous ceux, musulmans ou non, qui pensent librement, se profile une troisième voie de relation à l’Islam. Une voie d’explication […] »[3]. Elle expliquera plus loin[4] que l’islamophobie est un « label » qui « permet en effet de taxer de racisme tous ceux qui critiquent la religion musulmane » et assimile la lutte contre cette forme de racisme, contre laquelle se bat aussi Mouloud Aounit, à la « défense d’une religion ». Comprendre va donc signifier brosser le tableau de ce qu’elle présente comme la perception angéliste de l’islam en France, avant de dénoncer les mirages qui environnent celle-ci et qui masquent le caractère intrinsèquement dangereux de cette foi. Cette méthode va en réalité nous révéler non pas l’islam tel qu’il est et tel qu’il est perçu, mais bien plutôt les angoisses et les fantasmes de Martine Gozlan.

L’islam donc, fascinerait les esprits européens, français en particulier, à l’origine de l’orientalisme, qui exprimeraient un désir « éclatant, éclaté, contradictoire comme toute passion en urgence d’être assouvie et qui roule dans sa houle des confusions énigmatiques. »[5] Voilà bien tout le problème : dès l’abord, voguant vers l’Orient compliqué avec des idées simples, l’auteur pose l’énigme à la racine de la compréhension. Les mystères de l’Orient, l’esprit viennois, l’âme slave… sont autant d’expressions dont leur seul but est de se fermer à la pensée et de cantonner celui qui s’y livre – ou auquel on les livre, à une vague sensation, à l’affectif plus qu’à l’intellect. Le mystère est en réalité à l’Orient ce que la satisfaction dans la méconnaissance est à la compréhension. Le proverbe arabe « le sentiment fausse le raisonnement » prend ici tout son sens.

C’est pourtant cette méthode qui va être à l’œuvre tout au long de ce livre : plus loin[6], parlant du vertige d’une langue au service d’une certitude », elle ajoute : « Et c’est cela que l’on entend, posé par la naissance, le hasard ou le destin dans le creuset u monde arabe. Pas toujours distinctement. Mais, toujours, on en perçoit la pulsation. Et c’est toujours ainsi que l’on s’ouvre au vertige. » Pour conforter ses dires, elle cite, à propos du muezzin, qui est « le trouble, la barque des concepts qui chavire »[7] , Danièle Sallenave, qui écrivait en 1997 : « Jusque dans la voix du muezzin, je devinais la vigilance inquiète, l’appel au combat ». Voilà qui est bien curieux ! La seule chose à laquelle appelle un muezzin est la prière ; la seule chose – ou à peu près – qu’il récite, est la profession de foi, qui proclame la clémence et la miséricorde de Dieu. De Tunis à Istanbul, comprenant ce qu’ils disaient, je n’ai jamais entendu autre chose des muezzins, tout en ayant habité à plusieurs reprises tout à côté de mosquées. A moins que ce soit parce que je les comprenais que je n’aie pas entendu autre chose… Bien loin d’une vigilance inquiète, je me souviens de la première fois où j’en ai entendu un, à Tunis, dans les jardins de la cité universitaire de Mutuelleville – tout près de Mégara, faubourg de Carthage : je révisais un cours d’arabe dans une soirée poudrée de lumière rose et mauve comme on les connaît là bas ; le jasmin des jardins alentour embaumait ; tout doucement, le muezzin de la mosquée voisine s’est mis à chanter, sa voix prenant peu à peu de l’ampleur. La clémence et la miséricorde de Dieu qu’il invoquait prenaient alors tout leur sens. Contrairement à ce qu’écrit Danielle Sallenave, citée avec tant de complaisance, on ne sentait pas « l’éveil d’une grande communauté nullement pacifique »[8] mais au contraire une grande sérénité.

Comment expliquer cette différence de perception ? Je ne vois pas d’autre explication à ce phénomène que l’expression de ce que j’appellerai le « syndrome de Hadji Mourad ».

« Hadji Mourad », le beau roman de Tolstoï réédité voici quelques années[9], a pour cadre les guerres du Caucase, menées par la Russie contre l’imam Chamil, chef de file des indépendantistes tchétchènes ; le héros éponyme est l’un de ses lieutenants. L’un des intérêts de ce roman est qu’il est particulièrement clair dans la description des fantasmes que provoque l’autre, en l’occurrence le musulman, chez ses interlocuteurs Russes, Tolstoï balançant d’ailleurs entre des sentiments contradictoires d’attirance et de répulsion pour les Tchétchènes. Fait prisonnier, Hadji Mourad est tout d’abord conduit à un officier : « celui-ci ne s’était jamais figuré le terrible montagnard sous un tel aspect. Il s’attendait à vois un homme sévère, sec, un étranger, et il avait devant lui un être simple, riant d’un air plein de bonté et qui lui sembla être un ami de longtemps. Une seule chose était extraordinaire chez lui : c’étaient ses yeux largement ouverts qui scrutaient avec attention, calme et intensité les yeux de ses interlocuteurs. »[10] L’autre ne serait-il donc pas si différent de moi-même ?  La suite va nous délivrer de cette angoissante perspective. Présenté au prince Vorontzov, représentant du Tsar dans le Caucase, Hadji Mourad se met sous sa protection et s’engage à servir le « Tsar blanc ».

C’est ici que nous est révélé ce que j’ai appelé plus haut le syndrome de Hadji Mourad : la parole du musulman est toujours suspecte. Quels que soient les propos échangés, les attitudes des uns et des autres, le musulman est consubstantiellement adepte du double langage. Rien ne nous est dit de ce qu’il pense réellement, en revanche seuls les propos ou pensées qu’on lui prête font foi.

Ecoutons Tolstoï : « Tout en parlant, les interlocuteurs se fixaient. Les regards des deux hommes, en se croisant, signifiaient beaucoup de choses inexprimables et en tous les cas autre chose que ce que traduisait l’interprète. Ces regards ne mentaient pas. Les yeux de Vorontzov affirmaient nettement que le général ne croyait pas un seul mot de ce que Hadji Mourad lui disait, qu’il savait ce dernier être l’ennemi juré du Russe, que tel qu’il était, tel il resterait toujours, et que s’il se soumettait c’est parce qu’il n’avait pas d’autre issue. »[11]

Tout est dit en quelques mots : la seule communication qui vaille est celle du non dit, l’essentialisme des musulmans est de mentir et d’être l’ennemi des Occidentaux, le musulman, enfin, ne connaît que la force, qu’il respecte.

Un autre passage du livre sera encore plus explicite : les Russes ont ravagé le village dans lequel Hadji Mourad avait passé la nuit avant sa reddition. Voici ce qu’écrit Tolstoï : « Le puits avait été souillé pour que les habitants ne puissent plus prendre d’eau. La mosquée avait été salie également, et le mullah et ses serviteurs la nettoyaient. Personne ne disait mot, n’extériorisait son mépris pour les Russes. Le sentiment que tous les Tchétchènes éprouvaient, du plus petit au plus grand, était du reste plus fort que du mépris, c’était le refus de reconnaître à ces chiens de Russes la qualité d’êtres humains, c’était le dégoût qu’ils éprouvaient devant la bassesse, la folie avec laquelle cette expédition avait été conduite ; et le désir d’exterminer ces maudits comme on extermine les rats, les araignées venimeuses et les loups devenait chez les Tchétchènes, un sentiment aussi puissant que l’instinct de conservation. »[12]

Le fantasme bat ici son plein : l’observateur extérieur connaît les secrets des coeurs et des reins, lit dans les pensées… et se trompe : car s’il y a bien un animal que les Tchétchènes n’extermineront jamais, c’est précisément le loup, qui est l’un de leurs emblèmes, et auquel ils se comparent souvent.

Le syndrome de Hadji Mourad est très répandu : à l’oeuvre pendant la guerre d’Algérie, il l’est encore en matière d’embauche, à l’entrée des boîtes de nuit… Il est particulièrement employé, ces derniers temps, à propos de Tariq Ramadan, qui n’a semble-t-il même plus besoin de penser puisque d’autres le font pour lui et savent que s’il n’a pas tenu tel ou tel propos, il l’a pensé si fort, que ses interlocuteurs journalistes l’ont entendu ! Allons même plus loin : la preuve de sa duplicité a sa source dans ses dénégations même, lorsqu’il refuse d’endosser des propos qui ne sont pas les siens !

Reconnaissons le, une telle méthode est cependant extrêmement pratique pour démonter ce que l’on a envie de démontrer, surtout si l’on y ajoute la méconnaissance de l’histoire et de l’actualité.

Que choisir dans l’abondante matière que l’on nous fournit ici ?

La vision mécaniste de l’histoire de la révélation coranique que nous propose M. Gozlan est tellement caricaturale que je ne m’y arrêterai pas[13]. La lecture de l’actualité est tout aussi problématique. Examinons quelques faits à titre d’exemple : la position de l’U.O.I.F. sur le voile[14], par exemple, est faite sans référence à celle des Eglises, tant catholique que protestante, qui était la même ; « L’Eglise s’épuise, l’Islam se dynamise. L’ampleur et la visibilité de la foi musulmane – même avant les permis de construire des mosquées cathédrales – sont inversement[15]t proportionnelles au rétrécissement et à la discrétion de la foi chrétienne. » De quel pays parle-t-on ici ? D’Uranus ? Probablement plus que de la France. L’islam y représenterait environ 8 à 10 % de la population ; outre que les « mosquées cathédrales » peuvent se compter sur les doigts de la main, compte-t-on 8 à 10 % de lieux de culte dignes de ce nom – qui ne soient ni des caves, ni des hangars ou des appartements aménagés – sur le territoire ? Le décompte des minarets serait encore plus rapide… Le plus étonnant est que certains élus « républicains » les refusent aux motifs qu’ils ne sont pas « traditionnels » dans leur région. Avec de tels arguments, on n’aurait ni élus, ni République, les régimes « traditionnels » n’ayant ni les uns, ni l’autre. Mais il est sans doute chez certains de secrètes nostalgies… Quand on sait en outre, qu’entre le moment où un projet de lieu de culte musulman est conçu et celui où il peut voir le jour s’écoule en moyenne une période de dix ans au minimum – car on craint, en vrac, les réactions de la population riveraine, les risques que présente l’association porteuse du projet, « que personne ne connaît », les « nuisances qu’entraîne ce culte qui veut que ses fidèles stagnent devant leur mosquée »[16], les préemptions irrégulières et les refus de permis de construire, l’expansion de l’islam, « cette foi sans failles et sans fissures »[17] comme la qualifie M. Gozlan, se fait plus dans les esprits des non musulmans que dans celui des musulmans eux-mêmes.

Le soufisme n’est pas épargné non plus : son succès est comparé avec le plus grand sérieux à celui des sectes, les deux constituant « une offre particulièrement adaptée à la demande des solitaires modernes. »[18] Cette comparaison est particulièrement choquante : il y a tout d’abord une différence intrinsèque entre le phénomène sectaire et le soufisme : s’il est facile d’entrer dans une secte, il est particulièrement difficile d’en sortir ; en revanche, être initié dans une confrérie n’est pas aussi aisé, les pratiques soufies étant surrogatoires par rapport aux pratiques canoniques, mais les fidèles peuvent en partir quand ils le souhaitent. Le soufisme ensuite, n’a pas pour but l’adoration et la soumission à un gourou de chair et d’os, mais d’amener les fidèles à la connaissance de Dieu par la pratique d’exercices spirituels et la méditation. La sérénité affichée par les adeptes des voies soufies, qui ont souvent, lorsque l’on discute avec eux, une vision globale des situations, contraste de façon étonnante avec l’enfermement et le rétrécissement de la vision des victimes des sectes, dont le monde s’est rétréci. Il faut enfin, écouter certains maîtres des confréries, pour voir ce qu’ils peuvent apporter de nouveau en matière religieuse : le cheikh Khaled Bentounès, vilipendé par M. Gozlan[19] comme « cheval de Troie » de l’intégrisme (tiens, une référence turque !), était venu par exemple, voici quelques années, reposer à Strasbourg la question de la viande hallal en pleine crise de la vache folle. Mais c’est si peu sensationnel et si peu conforme à la vision d’une religion « intrinsèquement intégriste » que l’on préfère sans doute l’ignorer.

Je terminerai ce tour d’horizon de l’actualité par une illustration de « cette foi sans failles et sans fissures » dont nous en avons eu un exemple particulièrement éclairant lors des dernières élections au C.R.C.M. Lorsque l’on sait à quelles oppositions elles ont donné lieu, à la vivacité des débats entre grandes fédérations qui se sont battues pour remporter la majorité avec le même acharnement que les partis politiques le font pour remporter une campagne électorale, il est permis de rester perplexe devant le prétendu monolithisme de l’islam de France, voire de l’islam – tout simplement. S’il part à la conquête, il y part en ordre dispersé.

A suivre…



[1] GOZLAN (Martine), Le désir d’Islam, Grasset, 2005, 136 p.

[2] Op. cit. p. 13.

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[3] Idem, p. 12.

[4] pp. 88 et 99.

[5] p. 20.

[6] pp. 32 et 33.

[7] p.29.

[8] Idem.

[9] Editions Librio, 1995, 159 pp.

[10] TOLSTOÎ (Leon), Hadji Mourad, op. cit. p. 37.

[11] id. p. 61.

[12] id. p. 112.

[13] cf. pp. 34 et 35.

[14] Voir à ce propos ce qu’en dit X. TERNISSIEN, in Les Frères Musulmans, éd. Fayard, Bibliothèque de culture religieuse, 2005, pp. 262 – 263.

[15] GOZLAN (M.), op. cit., p. 100.

[16] Ces propos m’ont été expressément tenus par un « citoyen ordinaire »…

[17] id. p. 101.

[18] id. p. 104.

[19] cf. p. 105

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