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Denis Müller : « Les politiciens politisent la science »

En tant qu’observateur étranger, quel regard portez-vous sur cette nouvelle loi sur l’immigration en France ?

J’ai suivi le débat français avec un vif intérêt. J’étais en colloque à Paris le jour de la prise de position du CCNE ( Comité consultatif national d’éthique). Plusieurs collègues français ont estimé que cette immixtion de l’éthique « officielle » était malencontreuse, parce qu’elle confondait le niveau fondamental avec le niveau politicien, le long terme avec le court terme. De mon côté, comme observateur étranger, j’ai reçu l’avis du Comité consultatif national d’éthique comme une contribution légitime, quoique exceptionnelle.

Dans la continuité de ses positions éthiques antérieures, le CCNE a en effet très bien mis en évidence le caractère discutable d’une disposition juridique qui instrumentalise la connaissance scientifique de l’ADN, la biologie, pour la mettre au service d’une idéologie politique.

Voilà donc bien le paradoxe : les politiciens politisent la science, et il est donc normal que les éthiciens s’insurgent contre une telle politisation. Ce n’est pas le CCNE qui a fait de la politique, mais la politique qui prétend se servir de la science, au nom d’une éthique elle-même suspecte.

Vous êtes spécialiste des questions d’ordre bioéthique. Sur quels présupposés éthiques et/ou philosophiques repose la bioéthique ?

Je ne me comprends pas comme un spécialiste de la bioéthique. Il y a déjà trop de spécialistes en bioéthique, on ne sait plus sur quel pied danser. Je pense que nous avons plutôt besoin d’une éthique généraliste et universaliste capable de dresser des ponts entre les différents domaines du savoir et de la politique. Pour moi, la bioéthique n’est qu’une sous-discipline de l’éthique sociale et politique.

Il faudra qu’un jour en France les lois de bioéthique soient plus clairement rattachées aux fondements éthiques du droit et de la république. Cela dit, je pense que la France a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre le niveau des autres nations européennes (Suisse comprise) et des Etats-Unis dans l’enseignement de l’éthique et de la bioéthique dans les Universités, dans les écoles professionnelles et dans les établissements scolaires plus largement.

Trop longtemps, la France a considéré que la philosophie morale et la théologie morale n’avaient pas leur place dans l’Université et dans la société. Des évolutions sont en cours, qui permettront un jour aussi aux différents courants de l’Islam et du judaïsme de faire entendre leur voix et leur contribution éthique, comme le catholicisme et le protestantisme, dans l’espace public d’une laïcité ouverte.

L’amendement Mariani rend possible le recours au test ADN. Quelle est votre réaction à ce sujet ?

Je n’ai pas suivi la discussion politique et parlementaire dans ses moindres détails et je ne voudrais pas me mêler, comme citoyen suisse (nous avons pas mal de démons à combattre actuellement chez nous !) de ce qui ne me regarde pas.

Je dirai seulement que l’avis 100 du CCNE montre le caractère hâtif, problématique et idéologique de cet amendement. Je constate aussi que des voix s’élèvent, au sein même de la majorité en place, pour contester cette mesure. C’est donc l’indice très fort qu’il y va d’un enjeu éthique dépassant les barrières partisanes de la politique politicienne.

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Le gouvernement justifie le bien-fondé des tests ADN d’une part par son caractère facultatif et d’autre part par l’argument extrinsèque selon lequel douze autres pays des nations « avancées », dont l’Angleterre, pays de l’ Habeas Corpus nous dit-on, y ont également recours.

Une disposition facultative a-t-elle encore un sens du point de vue juridique et politique ? En Suisse aussi on nous oppose souvent que telle disposition est éthique du simple fait qu’elle est pratiquée à l’étranger. Je trouve qu’il ne faut pas confondre le débat méthodologique sur l’expérimentation avec une instrumentalisation politique de la recherche.

Ce n’est pas une manière saine de débattre des questions bioéthiques. Le rôle du gouvernement d’une part, du législateur d’autre part, dans nos pays démocratiques, est de prendre de la hauteur et non de s’enfoncer les yeux fermés dans l’idéologie. Cela ne veut pas dire, de mon point de vue, que des tests ADN n’aient pas de légitimité éthique.

Mais ils doivent être discutés et « justifiés » (scientifiquement et éthiquement) au cours d’une discussion sereine et impartiale, et non sous le coup d’une politique marquée au coin de l’idéologie et de la précipitation.

La France, comme la Suisse, méritent mieux qu’une telle caricature démagogique de la démocratie. J’espère bien que les ministres « d’ouverture » du gouvernement Fillon vont finir par s’apercevoir de la contradiction morale dans laquelle ils pourraient bien s’être enferrés.

Certains ont fait le parallèle, (dont le Sénateur Robert Badinter) entre le fichage durant la période nazie et cette procédure légalisant le recours à l’ADN pour les étrangers candidats à l’asile.

Robert Badinter a ses raisons, nobles et profondes, de dire ce qu’il dit, et je me souviens que Simone Veil, une autorité morale incontestable, s’est elle aussi insurgée contre la mauvaise idée de Nicolas Sarkozy de créer ce nouveau ministère fourre-tout. Cela dit, je me méfie des comparaisons hâtives entre la situation politique contemporaine et le nazisme.

La France, la Suisse, les pays européens, même les Etats-Unis de George W. Bush sont incontestablement des démocraties qui ont les moyens de lutter contre les démons et les dérives qui les menacent.

Ce dont nous avons tous le plus besoin, c’est de courage, de lucidité et de bon sens démocratiques. Puissent les meilleurs esprits et les citoyens français de tout bord convaincre Nicolas Sarkozy, Rachida Dati et Brice Hortefeux qu’ils font fausse route en préférant l’idéologie et la démagogie à l’éthique et aux droits de l’homme.

Propos recueillis par Haoues Seniguer

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