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De quoi le burkini est-il vraiment le nom ?

Le burkini n’est pas le signe de l’islamisation de la laïcité mais de la laïcisation de l’islam. Les ennemis du burkini, inventé par une styliste australienne pour contrecarrer les discours des extrémistes sur l’interdiction du sport au féminin, sont avant tout les fondamentalistes religieux. On confond depuis vingt ans l’ordre public qui sert à interdire et la laïcité qui sert à permettre. Comment sortir notre société de cet enlisement identitariste qui fait de la laïcité un patrimoine négatif ? 

Nous avons été gratifiés d’un énième faux débat soi-disant sur la laïcité avec pour cible, là aussi pour la énième fois, les devenus fameux burkinis.

Une telle effervescence autour d’une si petite question serait surprenante si nous n’étions pas en période d’élection nationale, avec des partis politiques dits classiques en pleine déliquescence, qui ne savent plus à quoi s’accrocher pour exister encore un peu. Et, plus profondément, si la France (et l’Europe occidentale) n’était pas submergée depuis une vingtaine d’années par les angoisses identitaires induites par son passage de plus en plus indéniable au statut de puissance moyenne ; angoisses elles-mêmes alimentées par une situation interne (crises sociales à répétitions et crise économique endémique) et internationale de plus en plus instable dont le terrorisme islamique est une des conséquences les plus dramatiques.

Mais revenons aux faits récents. Le maire d’une grande ville décide d’autoriser un type de maillot de bain couvrant le corps dans les piscines publiques, généralement porté par des personnes de sexe féminin se disant musulmanes. Il y aurait là atteinte à la laïcité, perte d’un territoire de la République, infiltration islamiste, guerre de civilisations, etc.

Pour revenir à la raison il faut redire clairement les deux erreurs majeures sur lesquelles s’appuie cet énième faux débat. La première distorsion est philosophique et juridique, la deuxième distorsion est anthropologique et sociale.

Premièrement donc, on confond depuis vingt ans l’ordre public qui sert à interdire et la laïcité qui sert à permettre. Dans une démocratie libérale, on ne peut en effet rien interdire in abstracto, et encore moins des manifestations d’opinions ou de choix vestimentaires, qu’ils soient ou non motivés par l’adhésion religieuse. On ne peut rien interdire pour cause d’inconvenance, d’immoralité, d’impudeur, de pudeur, ou même pour cause de provocations, ou de n’importe quoi d’autres, tant qu’il n’y pas atteinte démontrée à l’ordre public.

Si c’est le cas, il faut alors le prouver, parce qu’une privation de liberté dans une société libérale (et je n’ai pas dit néolibérale), c’est ce qu’il y a de plus grave. De sorte qu’un espace public laïque, c’est très exactement un espace de libre manifestation (ou chacun peut s’exprimer à égalité, sans faveur spéciale des pouvoirs publics), tant qu’on ne porte pas atteinte à la liberté des autres, et alors là évidemment on en revient à une éventuelle mesure d’ordre public.

S’il y avait des limites imposées  a priori tenant à la pudeur ou à l’impudeur de certains comportements, elles représenteraient par conséquent une régression vers la situation juridique d’Ancien Régime, parfaitement contraire à l’esprit de la philosophie des Lumières. C’est limpide, c’est ainsi, je n’y suis pour rien. Et tout le brouhaha où se mélange confusément l’islamogauchisme, le burkini, le voile, l’islamisme, l’infiltration des théories du genres, etc., n’y changera rien.  Relire au moins la loi de 1905 et les travaux d’Aristide Briand permet de lever toute ambiguïté à ce sujet. Nombre de ceux qui prétendent défendre la laïcité et la République voudraient en fait revenir techniquement, si je puis dire, à l’Ancien Régime.

Deuxièmement, au-delà de la question philosophique et juridique, le plus grave est que la peur sincère de nos concitoyens face aux expressions musulmanes, et en particulier face au burkini, est anthropologiquement et socialement infondée. Je ne parle pas des politiques professionnels qui ne font qu’instrumentaliser ces peurs par cynisme électoral, mais bien des angoisses réellement éprouvées par une majorité de citoyens français.

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En effet, il suffit par exemple d’aller jeter un œil dans les magazines féminins musulmans en ligne comme Iman Magazine pour se rendre compte que les ennemis enragés du burkini (puisque c’est lui qui est en cause) sont les fameux salafistes, fondamentalistes, littéralistes, traditionalistes (etc.). Je vous épargne les enquêtes qui ne font que confirmer cela, n’importe qui peut s’en rendre compte par une simple passage sur ces sites. Si l’on est sérieux et que l’on approfondit, on se rend compte que c’est parfaitement logique, puisqu’il s’agit d’une tenue inventée par une styliste australienne justement pour contrecarrer les discours des extrémistes sur l’interdiction du sport au féminin. Extrémistes qui sont littéralement horrifiés par ce satané burkini parce qu’il colle aux formes féminines.

En réalité, et là encore je n’y suis pour rien, c’est juste un fait, le burkini n’est pas le signe de l’islamisation de la laïcité, mais de la laïcisation de l’islam.

Reste la question la plus inquiétante. Comment sortir notre société de cet enlisement identitariste qui fait de la laïcité un patrimoine négatif (l’envers de nos angoisses de perte d’identité), au lieu de rester un principe positif efficace.

L’identitarisme est maladif, il est le signe de la vraie décadence. Il nous rend incohérents sur les principes et moins efficaces concrètement, y compris face au terrorisme. Toute chose égale par ailleurs, l’aveuglement typiquement identitariste d’un Poutine ne devrait-il pas nous aider à nous réveiller, de même que, en sens inverse, la force et la résilience du peuple ukrainien qui, lui, se bat vraiment pour la liberté et la démocratie.

Raphaël Liogier

Sociologue et philosophe

Blog Mediapart

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7 commentaires

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  1. Le voile islamique , se voile t’on la face ?

    Un bras de fer oppose actuellement le maire de la ville de Grenoble et l’opposition, concernant la fameuse question du Burkini dans les piscines . Ce qui est désolant dans cette affaire , c’est la confusion dans laquelle se sont plongés de nombreux responsables . Confusion mêlant fantasme , maladresse , et non respect de la vie privée . Alors Essayons un instant de tirer cette affaire au claire : Quel est le point de départ ? Une série d’attentat commise en France et ailleurs a finalement crée un sentiment d’insécurité et de suspictions à l’égard de l’islam . Conséquence ? Une paranoia s’est développée de la part de nos élus, compréhensif certes, mais complètement irrationnelle et surtout illégale. Irrationnelle car de nombreux responsables prennent la liberté d’interpreter à leur guise le port du voile avec autant d’imagination qu’il le souhaite : injonction du mari, soumission , aliénation .. Autant d’argument qui ne refletent en rien le témoignage des filles qui le portent . Illégale, car ces interdictions vont à l’encontre d’un principe fondemental de la liberté de conscience . Plus grave encore , 42 pour cent des électeurs approuvent l’idée de revenir à un système d’inquistion digne du moyen âge , qui consiste a instaurer un tribunal inquisitoire afin d’interroger et d’enquêter , afin que ces filles prouvent leur bonne “foi”. Soyons claire, seul un discours précis , une idée précise ou un acte précis peuvent aller à l’encontre des valeurs d’un pays , pas une tenue vestimentaire, car celle ci peut être interprétée à l’infini.

    Bien sûr que l’on a droit de désapprouver une tenue courte, ou bien le contraire une tenue voilée , mais le débat ne doit pas ignorer la dignité humaine , et la liberté de chacun. Il y a une manière plus intelligente et plus digne d’aborder toutes ces questions . A t’on des témoignages suffisament nombreux pour appuyer ces accusations ? Quels sont les conséquences réelles du port du voile ? Peut-on les mesurer ? Les évaluer ? S’il encourage le repli , pourquoi sont- elles si nombreuses à vouloir travailler , étudier ou même se baigner ? La réalité n’est-elle pas aux antipodes de ce qu’ on entend ? Le voile peut être réfuté comme n’inporte qu’elle idée, mais j’attend toujours un débat de qualité et des arguments rationnels comme la culture , l’identité , le patrimoine national , ou alors laisser chacune évoluer à son rythme , peuvent être des solutions .

    Où bien encore , accepter l’idée que le voile est une évolution de la société et même de la religion, car si celui-ci est une prescription discutable , il faut peut-être accepter l’idée qu’il est devenu une forme de féminisme religieux , une manière d’exprimer sa foi, sa différence. Les fêtes chrétiennes ont évolué avec le temps, qui sont devenu aujourd’hui des acquis sociaux et des moments de festivités . L’islam n’est donc pas une exception . Alors ayons un peu l’esprit ouvert, et arrêtons de nous voiler la face..

    Jonasdjeser.unblog.fr

  2. @ l’auteur, allez, reconnaissez que via l’autorisation du burkini à Grenoble, cet habit ne devait pas être interdit )à s’en tenir à la loi 1905 et autres, on vise plutôt l’autorisation aux femmes de se baigner poitrines nues. En pratique, elles seront celles-là plus nombreuses que les femmes vêtues d’un burkini, donc par probité, le maire de Grenoble devait communiquer sur l’autorisation de baignade poitrines nues au lieu d’affecter de se soucier des femmes Musulmanes. Et en suivant ce genre de raisonnement, on ne voit pas pourquoi ça s’arrêterait aux seules baigneuses en fait, il y a une thématique montante selon laquelle il y aurait un échange à faire entre les codes vestimentaires de Musulmans ou Musulmanes et d’autre part le dénudement en lieux publics quand le temps est assez chaud. Jusqu’où on va comme ça? Les Musulmanes et Musulmans ne sont pour rien dans vos choix sociétaux, donc vous les assumez ouvertement et pleinement sans référence à la liberté religieuse. C’est vrai que certaines Musulmanes se sont mises à communiquer que le port du voile est leur liberté, sous-entendu une liberté comme une autre. Non, c’est une liberté religieuse qui ne se range pas au même niveau que les revendications des njudistes/naturistes. Il y a hiérarchie entre les causes et les revendications, notre dine ne se range pas au même niveau que vos innovations sociétales sans limites.

    Et puisque vous concluez en suggérant un parallèle avec les Ukrainiens sensés se battre pour la liberté, comme s’il n’y avait que ça en jeu, eh bien qu’attendez-vous pour les rejoindre? Sans vous y encourager, le gouvernement Français autorise des volontaires à partir pour l’Ukraine, ainsi du moins ils joignent les actes aux paroles.

    Croissant de lune.

  3. Il n y a pas islam modéré et un autre extremiste.
    Islam veut dire le problème n’est pas la femme ou l’homme, encore moins le burkini.
    Le problème est la mixité.

    On veut cacher cette mixité sauvage, des temps modèrnes, en changeant les noms des choses.

    Non , la laicité ne protège pas la sexualité des hommes.

    Question :
    Combien perdrait l’industrie du textile si on supprime cette mixité sauvage, les hommes se baignent ensemble et les femmes ensembles ? Je veux un chiffre en Euro.

    Cela n’interdit pas qu’un homme se baigne avec sa femme en privé.

    • Salam notre frère Mouhib. J’ignore franchement si les Musulmans se battent pour le burkini, à mon avis c’est marginal. Mais il y a un effet d’aubaine, les tenants de certaines tendances sociétales prennent prétexte de certaines demandes religieuses Musulmanes pour en réalité leurs innovations sociétales que nous ne pouvons pas valider. C’est une nouvelle tendance, une nouvelle thématique, voire mon commentaire plus haut.

      Enfin, l’auteur de l’article nous dévoile bien des choses, cette laîcisation de l’Islam. Certaines Musulmanes ont mal communiqué, elles ont dit en substance, le voile c’est mon droit, ma liberté, elles l’ont rangé au même rang que les libertés consommables au pluriel au lieu que ça reste au statut noble de liberté religieuse. Oui, si tu l’as déjà écrit, tu as eu raison. Probablement selon moi, Tariq Ramadan était dans cette perspectivek, sauf erreur de ma part.

      Quelles innovations sociétales resterait-il éventuellement à faire en France après le mariage dit pour tous? Plus grand-chose sinon d’aller nu sur la voie publique quand le temps le permet, voire de s’unir en public tant qu’on y est. N’est-il pas annoncé que la femme ira nu sur la voie publique?

      La défense de la GPA en France est fragilisée semble-t-il du fait d’Ukrainiennes qui la contournent parce qu’elles sont déjà payées ou attendent un complément, alors elles déclarent l’enfant comme né sous X, le père biologique Français le reconnaît comme le sien et son épouse l’adopte. Il y a des actions en justice contre cette fdérive, mais avec le temps que ça prend, on ne pourra pas aisément ensuite retirer l’enfant au couple acheteur.

      Pourvu que tu ailles bien, prends soin de toi.

      Croissant de lune.

      • Salam Croissant de Lune,

        Hamdolillah tout va bien.

        Vous avez raison, le burkini n’est pas une priorité pour les musulmanes de France, mais elles semblent heureuses de pouvoir se baigner avec cet accoutrement.

        Quant à toutes ces dérives que vous abordez, elles résultent de l’activisme et du militantisme athée d’une frange de la population française. Leur jihad a fini tout naturellement par porter ses fruits. Rien d’étonnant pour moi.

        C’est aux chrétiens et surtout aux musulmans de jouer leur rôle comme il se doit, de s’organiser et d’agir plus efficacement, en dépit de l’étrangeté (l’aliénation) que vit la foi dans ce pays.

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