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Coran et philosophie

“Qu’est-ce que le Coran ? “, ” Que recouvre-t-il ?”, ” Quels sont ses principaux enseignements ?” “D’où vient-il ?” Quels fantasmes a-t-il fait naître en Occident ?” Autant de grandes questions, d’une actualité brûlante, abordées par le magazine Philosophie, à travers un intéressant hors-série sur le sujet. Rédacteur en chef de ce mensuel philosophique, Sven Ortoli explique, dans un entretien accordé à Oumma.com, ce qui a motivé le traitement de cette thématique.

Le magazine Philosophie dont vous êtes le rédacteur en chef a publié un hors-série sur le Coran. Quelles sont les raisons de choix éditorial ?

Ce numéro fait partie d’une série (de trois) consacrée aux monothéismes. L’intention générale étant d’aller voir, ou plutôt d’aller lire ce que des philosophes, croyants ou non, avaient et ont à dire sur des textes fondateurs de ce que nous sommes. Après l’Ancien et le Nouveau Testament, il était donc naturel de parvenir au Coran ; j’ajouterais que, dans ce dernier cas, il y avait aussi le sentiment que nous participerions ainsi, aussi modestement soit-il, à une entreprise de reconnaissance, dans tous les sens du terme, de penseurs souvent ignorés en France.

La traduction des versets coraniques que vous proposez repose uniquement sur celle de Jacques Berque. Pourquoi ce choix ?

Il y a bien sur d’autres traductions certainement aussi honorables que celle de Berque, mais il nous a semblé qu’il ne fallait pas en utiliser plusieurs, sans quoi on orientait ce numéro vers quelque chose de plus philologique que philosophique, avec des comparatifs, des questions et des querelles de sens. Quant au choix de Berque, plutôt que Kazimirski, Chebel ou Blachère, disons qu’il résulte du style même de Berque, plus proche, disent les spécialistes, de la poésie originelle du texte. Choix discutable comme il se doit.

Dans ce hors-série, vous donnez la parole à d’éminents intellectuels musulmans. Il n’y a en revanche aucun religieux musulman.

Il s’agit bien d’un numéro de philosophie ; par conséquent, les théologiens sont exclus du champ sauf bien sûr lorsqu’ils écrivent en philosophes. La nuance est importante. Mais comme vous le soulignez, et c’est à mon sens la grande vertu de ce numéro, nous donnons la parole à d’éminents intellectuels musulmans : plus justement, nous offrons à nos lecteurs la possibilité d’aller à la rencontre de penseurs exceptionnels et, pour toutes sortes de raisons, inconnus d’eux.

Vous consacrez une partie de ce numéro aux fantasmes des occidentaux sur le Coran en publiant des analyses de philosophes depuis la fin de l’Ancien Régime. Quels enseignements pouvez-vous en tirer ?

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Pour le dire vite, j’en tire deux leçons : primo, et à ma grande surprise, les intellectuels occidentaux depuis les Lumières se sont révélés beaucoup plus curieux et beaucoup plus admiratifs du Coran que ce que j’imaginais de prime abord. Bien sûr il y a des rejets très forts, mais qui pèsent moins, à mon sens, que les commentaires laudateurs et ciselés d’un Quinet ou d’un Carlyle. Deuxio, cela m’a fait comprendre que tout un pan de ce que j’estime être le terreau de ma culture, était présent sans que je le sache, en creux, en négatif si vous voulez, mais bien présent.

Votre hors-série aborde le sujet de la raison en islam. Quel rapport justement le Coran entretient-il avec le concept de raison ?

Selon le philosophe marocain Abdou Filali-Ansary, la descente du Coran marque l’avènement de la raison puisque Dieu, ayant transmis tout ce qu’il avait à dire, laisse alors les hommes libres d’agir. Averroes, avant lui, affirmait que le Coran n’interdit pas de philosopher puisque la Révélation est vérité et que la vérité passe par l’exercice de la raison. Je pourrais en citer d’autres et non des moindres pour signifier une chose très simple : la lecture du Coran qui est la leur nous invite à cet exercice ô combien difficile : penser par soi-même. C’est un joli éclairage du rapport entre Coran et raison !

La dernière partie de votre dossier sur le Coran revient sur la question particulièrement sensible des origines du Coran ? Peut-on aborder une telle question tout en respectant la foi musulmane ?

Bien sûr, il me semble que l’on peut aborder n’importe quel texte sacré, et en particulier la question de ses origines, avec un regard de philosophe : en ce qui concerne le Coran, il y a évidemment la question Crée /Incrée qui trace une ligne de partage, une fracture si vous voulez, entre ceux qui pensent que le texte a une histoire et ceux qui le voient comme un recueil aussi indiscutable qu’intouchable.

Pour répondre précisément à votre question, je pense que dans un numéro comme celui que nous avons réalisé, la question du respect de la foi, musulmane en l’occurrence, se situe dans l’intention générale : il s’agissait pour nous d’inviter le lecteur, croyant ou non, à venir à la rencontre d’intelligences nouvelles. De le confronter à des interrogations dont il n’a pas forcément l’habitude. Pour ma part, je crois que le manque de respect résiderait dans une sorte de gommage des aspérités qui reviendrait à une infantilisation du lecteur.

Parmi les nombreux entretiens de ce numéro, vous posez une question au philosophe Rémy Brague : Peut-on philosopher à partir du Coran ? Pensez-vous justement que l’on peut avoir une approche philosophique d’un texte religieux ?

Brague répond très justement, et avec une pincée d’ironie, que cela dépend du philosophe.. Mais je pourrais citer tout autant le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne qui nous explique que le Coran est un livre ouvert en matière de décisions métaphysiques… Autrement dit qu’il laisse la porte ouverte aux interprétations… et à la philosophie

Propos recueillis par la rédaction

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