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Conjuguer diversité et citoyenneté. Une laïcité pour le 21ème siècle

C’est avec vigueur que depuis quelques années le débat sur la laïcité a repris en France. Il n’est plus mobilisé à l’encontre de la religion catholique, comme cela fut le cas au début du 20ème siècle, mais à celui de la religion musulmane, qui par nature confondrait les ordres du spirituel et du temporel.

Le débat a dépassé le cadre français pour atteindre un pays comme l’Allemagne par exemple ou même la Turquie. Il se développe dans le contexte international de l’après-guerre froide, dans lequel la doctrine qui se consolide en matière de relations internationales est celle du choc (voire de la guerre) des civilisations. Ce choc opposerait Occident chrétien et Orient musulman.

La conséquence dans l’opinion et les médias est la tendance à assimiler totalitarisme, islam politique sur la scène internationale et musulmans de l’intérieur. Les attentats du 11 septembre, le trucage des preuves par les néoconservateurs américains, le thème de la guerre préventive, l’assimilation S. Hussein- O. Ben Laden, le déferlement d’images et de discours … tout cela crée la peur : et si, se demandent certains, les conflits que nous voyons se dérouler n’étaient pas le fait des rapports de domination et de l’exploitation Nord/Sud, des séquelles de la décolonisation, de la colonisation continuée de la Palestine, mais finalement le fait de la montée du totalitarisme islamique ?

I – La laïcité en France : dépasser une vision camp contre camp

Dans ce contexte, la laïcité est souvent invoquée comme un principe absolu, une croyance, auquel tout (bon) républicain se doit de tenir comme à la prunelle de ses yeux. En somme, un élément de l’identité nationale. Pour ceux qui la conçoivent ainsi, elle postule un clivage radical entre privé et public et exige l’invisibilité du religieux, relégué dans la sphère privée, et qui considère l’école comme lieu de transmission de cette vision, formatant des citoyens homogènes.

La laïcité prend alors une dimension sacrée et finalement religieuse, allant jusqu’à véhiculer ce que l’on peut identifier comme un intégrisme républicain. On entre alors dans la volonté d’imposer à l’autre les “ lois sacrées de la République ” sur un modèle imprégné par le schéma colonial (voir comment l’on parle aujourd’hui, après quatre générations, des “ Français issus de l’immigration ”), qui, particulièrement en Algérie, avait distingué soigneusement les citoyens (chrétiens, athées ou juifs) et les indigènes.

Cette façon d’envisager la laïcité ne peut que susciter incompréhensions et révolte, comme on l’a vu avec la loi sur les signes religieux à l’école.

Pourtant, juridiquement, la laïcité est un fantastique outil du “ vivre et construire ensemble ”, si l’on veut bien considérer ce principe avant tout comme une disposition juridique destinée à assurer l’indépendance de l’Etat par rapport à la religion et la liberté religieuse.

On peut alors développer une autre vision, qui fait le pari que des personnes issues de cultures et religions différentes peuvent, tout en restant enracinées dans leurs références propres, vouloir contribuer ensemble à la détermination du bien commun et adhérer individuellement au principe de citoyenneté. Ainsi est pris en compte le caractère composite et dynamique des référents universels, patrimoine de l’humanité, qui se sont constitués tout au long de l’histoire par les rencontres (plus ou moins brutales d’ailleurs) entre les aires culturelles et civilisationnelles.

Sortir des positions essentialistes et binaires qui ont trop souvent court aujourd’hui est impératif. Ce n’est qu’à cette condition que la France pourra retrouver sa cohésion nationale, se démocratiser en profondeur, en faisant de tous ses habitants des citoyens à part entière. Ce n’est qu’à cette condition que le monde pourra se diriger vers un nouvel équilibre, multipolaire, fondé sur le cosmopolitisme et le un droit international véritablement équitable et universel.

Se réapproprier la notion de laïcité, clarifier son apport et sa fonction est un premier pas essentiel pour sortir de la binarité, favoriser une démocratie reconnaissant le pluralisme tant au niveau intérieur qu’international.

 1. La loi de 1905

La laïcité est née en France, à l’issue d’un long processus qui part des Lumières et aboutit à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, avec la loi de 1905. Deux projets se font alors face : celui de républicains “ modérés ” favorables à la reconnaissance des cultes en vue de leur contrôle, celui de républicains anticléricaux qui souhaitent limiter le plus possible l’emprise des religions sur la société. Briand, Jaurès et Buisson rallieront les Républicains à un projet tout à fait différent : dans un but d’apaisement, la séparation doit s’accompagner d’une absence de contrôle.

L’Etat doit être neutre en matière de religion et doit traiter tous ses habitants comme des citoyens égaux et non en fonction de leurs croyances ou origines. La loi de 1905 garantit à chacun le libre choix de sa religion (ou non religion) au nom de la liberté de conscience et d’expression, sépare totalement les religions et l’Etat, reconnu comme source autonome du droit, et donne la liberté aux cultes de s’organiser non seulement dans l’espace privé mais aussi au sein de la société civile. On n’y trouve pas le terme “ laïcité ”, qui ne se trouvera officialisé qu’avec la Constitution de 1958.

La laïcité n’est ainsi pas un principe qui surplomberait l’ensemble des religions – si cela était elle serait la religion suprême qui s’impose aux autres. Elle est une règle qui permet au sein d’une nation le vivre ensemble d’individus et de groupes ayant des identités religieuses ou philosophiques différentes, de sorte qu’aucun de ces systèmes de croyances ne prenne l’hégémonie par rapport aux autres, de sorte également que ces croyances n’interfèrent pas dans la gestion de la chose publique.

Ainsi sont garantis d’une part l’un des droits humains fondamentaux, celui de la liberté de conscience et d’expression, et d’autre part le principe de l’indépendance du politique et du religieux, ce dernier ne pouvant prétendre en aucune façon à régenter l’espace public et politique, tandis qu’inversement le politique n’a pas à s’ingérer dans les affaires internes aux cultes.

Ainsi aussi peut se répandre le sentiment d’une commune appartenance, au-delà des systèmes religieux de référence. La laïcité est un outil de cohésion et d’unité d’une société dans le respect de la diversité des individus et de leurs croyances.

 2. La laïcité au risque de la discrimination

En France dans la période récente, le thème de la laïcité est réapparu avec vigueur et passion lors de la “ deuxième affaire du foulard ” en 2003. Il a débouché sur le vote d’une loi sur les signes religieux à l’école, communément appelée, par ceux qui se sont senti discriminés, “ loi anti-foulard).

Depuis, de nombreux signes montrent que le thème “ laïcité ” est mobilisé en relation à l’islam. La pétition « Un cri contre le racisme et l’intégrisme » lancée en avril 2006 par C . Fourest dans Libération et signée de plusieurs intellectuels et politiques français appelant à lutter contre le “« totalitarisme islamiste ” en est l’une des nombreuses illustrations. L’électoralisme politique visant à flatter les communautés religieuses majoritaires ou à contrôler plus ou moins directement l’organisation des communautés minoritaires est contraire à l’esprit même de la laïcité comme nous la défendons.

Nos concitoyens musulmans sont supposés être adeptes d’une religion qui, par essence, serait imperméable à la notion de laïcité et, méconnaissant la distinction privé/public, serait incompatible avec la République. Ce point de vue s’est étendu bien au-delà de l’extrême-droite et des formes de gestion sécuritaire et clientéliste de l’islam ont été imaginées.

Les différents ministres de l’intérieur » depuis 1990 (Pierre Joxe – qui avait le souci que la gestion de l’islam échappe aux pays d’origine -, puis Charles Pasqua puis Jean-Pierre Chevènement et Daniel Vaillant, et enfin Nicolas Sarkozy), ont eu pour objectif d’organiser l’islam de France. Le processus a abouti à la mise en place du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), au mépris de la liberté d’auto-organisation des cultes reconnus par la loi de 1905, dans le but d’engranger, dans une vieille tradition clientéliste et post-coloniale quelques bénéfices électoraux.

Pourtant, de la Libération jusqu’au début des années 80, la laïcité ne semble pas poser problème. Le thème réapparaît dans le débat public au moment où s’achève la période des “ 30 glorieuses ” , au confluent de trois crises : une crise culturelle d’abord (après 68, les différences régionales, ethniques, de genre.. sont valorisées), une crise sociale ensuite (le débat se focalise sur les thèmes de l’immigration et de l’intégration, au moment où l’intégration par le travail se trouve remise en cause), une crise politique enfin (la France vit en même temps la décolonisation et l’intégration européenne, alors que la légitimité de l’Etat est remise en cause). Le thème de la laïcité, qui avait disparu du discours politique dans les années 70 réapparaît à partir de 1988-89, lors de la première “ affaire du foulard ”.

Lors de la colonisation de l’Algérie, la France avait fait le choix d’exclure l’islam de la réflexion laïque et les “ Français musulmans ” avaient le statut d’indigènes. Lors de la décolonisation le « musulman ” devient l’ennemi. Le débat autour de 1989 est à mettre en relation avec ce passé non assumé. C’est d’abord l’immigré qui avait été stigmatisé. Ses enfants avaient été accusés d’être à l’origine des violences urbaines par un discours politico-médiatique qui, parti de l’extrême-droite, s’élargit vers la droite et aussi vers la gauche. Se rajoute à cela la perception de la montée de l’islamisme politique sur la scène internationale, débouchant sur l’amalgame islam-terrorisme.

C’est donc dans l’histoire longue et l’interaction entre celle-ci et les trois grandes crises des années 80, auxquelles s’ajoute le matraquage idéologique et médiatique décrivant l’islam comme une religion essentiellement fanatique et violente, qui s’alimente de la naissance de la République islamique d’Iran ou de la “ guerre civile ” algérienne (dont les tenants et aboutissants ne sont pas encore éclairés), que réside l’explication de la fixation du discours sur l’islam.

Le terrain aura été préparé par l’extrême-droite, qui se fixe sur la figure de l’immigré, à laquelle se substituera progressivement celle du musulman . Tout ceci aboutit à un climat de tension. Et si, heureusement, les populations reléguées dans les quartiers périphériques pour accompagner les besoins industriels des années 60/70, se mettent à tisser de la solidarité pour résister à la marginalisation et à l’exclusion, certains soupçonnent alors une montée du “ communautarisme ”.

Certains partisans d’une laïcité absolutisée, attachés aux principes, se désintéressent de fait de la question sociale, faisant porter aux personnes regroupées contre leur gré une volonté qui n’est que l’envers de la leur : tous égaux devient tous semblables. La diversité n’est alors plus vécue comme une richesse mais comme un danger pour la cohésion nationale. Les solutions à mettre en œuvre sont à rebours de celles proposées tant par la vision communautariste de Nicolas Sarkozy (qui entretient avec nos concitoyens de religion musulmane une relation clientéliste à laquelle s’ajoute une dimension sécuritaire) que par la vision républicaniste refusant d’accepter la diversité réelle de la France d’aujourd’hui.

II – La laïcité : un outil possible pour un ordre mondial juste et stable

La laïcité est la forme française d’un processus plus large, la sécularisation, observable aujourd’hui dans l’ensemble du monde occidental (et ailleurs). Mais aujourd’hui, l’Occident (entendu au sens de l’ensemble formé par les USA, l’Europe, le Japon, et tous les pays constituant l’OCDE), sous l’influence de la première puissance mondiale, tend dangereusement à revenir sur les principes et pratiques qui lui ont permis de s’émanciper des pouvoirs religieux et d’être, pour les réformateurs des pays décolonisés, une référence (cf. l’intérêt majeur pour la philosophie des Lumières dans le mouvement de réforme qui a parcouru le Moyen-Orient du début du 19ème siècle à la moitié du 20ème).

La religion est aujourd’hui souvent instrumentalisée au profit d’une politique de puissance conduite sous la thèse de la guerre contre le terrorisme et du “ choc des civilisations ” (Huntington). À cette instrumentalisation répond celle des régimes ou des groupes de l’islam ultra-conservateurs (dont les deux sources sont l’Arabie Saoudite et le Pakistan), trop heureux de pouvoir appuyer leurs thèses sur l’exemple américain.

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L’Europe s’est certes distanciée de ce “ recours au religieux » ( Georges Corm) mais ses alliances la conduisent trop souvent à suivre la politique des Etats-Unis, et elle se laisse englober, qu’elle le veuille ou non, dans cet affrontement périlleux. D’autant que par rapport à la reconnaissance effective de la religion principale de ses nombreux immigrés, beaucoup reste à faire.

 1. L’Europe sécularisée peine à reconnaître pleinement les citoyens musulmans.

L’Europe est un espace sécularisé, dans lequel le statut des religions est fort différent – outre la France qui occupe une place à part en lien avec son histoire, on voit d’une part un ensemble de pays où les religions sont reconnues par l’Etat  : Belgique, Allemagne, Autriche, Espagne et d’autre part un autre ensemble où il existe une religion d’Etat : Danemark, Royaume-Uni, Grèce – Mais la sécularisation y est un fait acquis. Toutefois, on y observe partout un traitement particulier et discriminant de l’islam, d’une part, et, comme en France, le souci d’institutionnaliser l’islam.

Cela s’explique par différents facteurs, dont les principaux sont l’extension de la religion musulmane comme conséquence des immigrations, souvent en provenance d’anciennes colonies (Afrique, pays arabes, Inde, Pakistan…) ou d’anciennes zones d’influence (Turquie), immigrations principalement de main d’œuvre peu qualifiée pour les besoins de l’agriculture, de l’industrie et des services.

L’islam est ainsi la religion de la “ classe ouvrière ” (au sens large). Dans un contexte de chômage massif, propice à l’exploitation politique de la peur face à l’insécurité sociale, partout ou presque, l’extrême-droite a diabolisé les migrants, parfois sur le mode laïque (comme Le Pen), parfois sur un mode religieux (comme de Villiers) et dans de nombreux pays (Danemark, Hollande, Autriche, Belgique, France..) l’extrême-droite se porte bien.

Au lieu d’aborder de front les questions économiques et sociales, l’attention est détournée vers une catégorie qui tient avant tout du bouc-émissaire. D’autant qu’à cela s’ajoute le contexte géopolitique marqué par la thématique récurrente du choc des civilisations, dont nous sommes abreuvés jour après jour depuis le 11 septembre, et qui permet de glisser dans un même sac fourre-tout ce qui est une nouvelle forme de terrorisme transnational (Al Qaida) et des opérations de résistance nationale (Tchétchénie, Palestine..)

Ce discours s’accompagne de politiques caractérisées depuis longtemps par le “ deux poids deux mesures ”. La suspension de l’aide européenne à l’Autorité palestinienne à la suite des élections dans les Territoires en a été une manifestation caractéristique.

Cette suspension interpelle non seulement en soi, pour la gravité des conséquences sociales à venir, pour l’incohérence majeure entre le discours sur la démocratie et le rejet des choix démocratiques des Palestiniens, qui décrédibilise la parole de nos gouvernements, mais aussi par la soumission de la politique de l’UE à la stratégie des USA et d’Israël, confirmant la tendance à la pérennisation de politiques unilatérales nous entraînant dans un choc des civilisations.

 2. Les quiproquos de la laïcité dans le monde arabe et musulman.

Dans ce contexte, se référer à la laïcité sur la scène mondiale peut sembler malvenu. En effet, la laïcité sur la scène internationale, et en particulier dans le monde arabe et au Moyen-Orient a mauvaise presse : elle a été imposée par des régimes autoritaires dont la faillite est aujourd’hui totale (Algérie, Tunisie, Egypte, …), permettant aux courants fondamentalistes, intégristes, ou simplement conservateurs d’assimiler laïcité et colonialisme, décadence des mœurs, injustices internationales…

Elle est aussi de facto mise en péril par l’hyperpuissance américaine qui s’appuie dans sa volonté de domination et sa stratégie unilatérale sur le “ recours au religieux ” , soit directement (on se rappelle la “ croisade ” que prétendait mener Bush pour envahir l’Irak, on se rappelle aussi le soutien de longue durée au régime intégriste saoudien, comme aux forces réactionnaires afghanes pour contrer l’URSS) soit indirectement : la sacralisation du libre échange et de la démocratie ont légitimé le fait d’imposer ces deux valeurs par la force. La guerre, nous dit-on, favoriserait la liberté du commerce, la démocratie parlementaire et finalement la paix !

Avant la chute du mur, il s’agissait de lutter contre “ l’empire du mal ” (Reagan) et d’abattre l’ennemi communiste. Aujourd’hui, dans une structure de langage d’une similitude frappante, il s’agit de lutter contre “ l’axe du mal ” et contre le “ terrorisme ” – ce dernier terme n’étant jamais défini alors qu’il serait pourtant à déconstruire- .

Quant à l’ennemi, il est clairement désigné : c’est l’islamisme et par extension la religion musulmane assimilée à son terreau et au final l’ensemble des musulmans. Ces évolutions amènent à se demander si la laïcité et la sécularisation ont été portées jusqu’à leur terme. La séparation du religieux et du politique ne serait-elle qu’un trompe-l’œil ? En y regardant bien, on s’aperçoit que les sociétés “ laïcisées ” continuent à “ être mues par l’archétype de l’idéal unique, de la mission à prêcher à l’univers, d’une “ révélation ” d’ordre philosophique et politique.

La laïcité, progrès considérable dans la gestion démocratique de la diversité, présentée comme un progrès obligatoire de l’humanité, porte une violence symbolique et accompagne trop souvent une violence réelle. Les nationalismes français, anglais, italien, allemand, américain se sont tous vus investis de la mission d’apporter les Lumières au Monde, à travers la colonisation ou la domination.

Les socialismes européens auront de même un fonctionnement calqué sur le monothéisme, Marx en étant le prophète et le “ peuple ” étant remplacé par le “ prolétariat ”. Cela est d’autant plus efficace que le nationalisme arabe connaît de nombreux échecs au 20ème siècle, d’abord contre les puissances coloniales, puis contre Israël. Le nationalisme arabe qui apparaît au 19ème siècle et s’enrichit jusqu’aux années 50 voit la renaissance de la langue et de la culture arabe.

Il offrait des perspectives pour l’établissement de relations entre les nations nouvellement indépendantes et les pays européens. Historiquement, il fut alimenté par des penseurs chrétiens et musulmans, qui développèrent des théories radicales visant à confirmer la laïcité de la religion musulmane. Ces penseurs sont des admirateurs de l’Europe. Au 20ème siècle, l’Occident colonial choisit de soutenir l’Arabie saoudite, foyer d’un islam intégriste, le wahhabisme.

Les combats perdus contre les colonialismes (cf. l’échec du nassérisme) puis contre Israël laisseront la voie libre à une utilisation politique de l’islam qui n’avait jamais existé jusque là, un islam de réaction à l’occidentalisation du monde arabe, qui sera pourtant présenté comme relevant de la “ nature même ” ou de “ l’essence même ” de l’islam. Les attentats du 11 septembre seront alors le prétexte à entrer en guerre contre une barbarie civilisationnelle contre laquelle la civilisation judéo-chrétienne offrirait un rempart de protection.

 3. Pour un ordre mondial fondé sur le cosmopolitisme et le droit international

 3.1. Il n’existe pas de blocs civilisationnels homogènes

Dans ce que l’on nomme “ Occident ” figurent des pays aussi divers par leurs cultures et civilisations que ceux de l’Amérique du Nord, l’Europe latine, l’Europe germanique et scandinave, la Turquie, le Japon, la Corée…Autant dire qu’il s’agit d’une alliance de civilisations et non d’un ensemble réuni sous la bannière judéo-chrétienne..De même aurait-on du mal à identifier un ensemble civilisationnel musulman, tant sont diverses les sociétés dont l’islam est la religion principale : Pakistan, Irak, Iran, pays du Maghreb, Turquie, Indonésie, Malaisie,….

Il est à remarquer par ailleurs que parmi les pays musulmans, un certain nombre sont très proches du camp occidental (dont les pays intégristes que sont le Pakistan et l’ Arabie saoudite) et des alliés militaires fidèles. Mais il importe, pour donner au monde des perspectives de paix et de justice, de s’éloigner d’une vision formulée en terme d’opposition de civilisation. C’est ici que peut être utile, à une échelle élargie, le retour vers une vision “ laïque ” des relations internationales.

 3.2. Vers une sécurité collective multipolaire et un vivre ensemble planétaire

On recense des réflexions et appels à l’organisation de la paix mondiale depuis longtemps. Pour Kant en 1795, c’est le cosmopolitisme qui serait le garant de la paix perpétuelle et universelle. L’idéal de paix se manifestera sous une forme institutionnelle par deux fois au XXème siècle, avec la Société des Nations au lendemain de la seconde guerre mondiale, puis avec l’Organisation des Nations Unies en 1946.

La guerre froide et aujourd’hui la gestion unilatérale par les Etats-Unis de la sécurité collective ont limité le rôle joué par l’ONU, instrumentalisée à plusieurs reprises dans ses interventions sur les enjeux les plus chauds, malgré des avancées parfois remarquables du droit international.

Le néo-conservatisme propagé par G. Bush et son équipe ne sera pas aisé à combattre. Mais le mouvement altermondialiste tout comme le mouvement antiguerre, ou encore les changements multiples des équipes dirigeantes en Amérique latine sont autant de signes indiquant qu’un renversement est possible.

Une direction féconde pourrait être un dépassement à la fois des thèses du multiculturalisme en vigueur dans l’espace idéologique américain et d’une conception dévoyée de la laïcité, qui en fait un marqueur identitaire national au lieu d’un principe organisateur pour la gestion du pluralisme religieux, que l’on voit ressurgir ces derniers temps en France, en y substituant la recherche du cosmopolitisme, en suivant la tradition de la Révolution française, où les origines ethniques et religieuses des citoyens ne pouvaient être invoqués comme source de traitement différencié dans l’espace public.

Il n’y a pas, dans cette conception, de peuple élu, de race supérieure. Et au lieu de prétendre donner des leçons de démocratie, participons à la renaissance d’un humanisme laïque faisant de l’application rigoureuse de ses principes fondamentaux la démonstration d’un autre horizon dans les relations internationales. A cette recherche d’universel, associons les sociétés de culture non européennes pour établir des espaces publics républicains, nationaux ou internationaux. Ouvrons le dialogue entre grandes philosophies du monde en renonçant à la thèse de la supériorité de la production intellectuelle de l’Occident.



[1] Membres de la ZEP http://zonedecologiepopulaire.org/ et de la commission transnationale des Verts. F. Duthu est ancienne députée au Parlement Européen (groupe Verts/ALE).

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