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Condition féminine, banlieues et Islam : d’une pierre trois mauvais coups

Au début du ramadan, le 6 novembre 2002, un grand article du canard enchaîné se proposait de dresser un inventaire des oppressions que subiraient les musulmanes tout particulièrement dans les banlieues. On aurait pu s’attendre à des réponses circonstanciées aux interrogations qui continuent de remplir l’imaginaire non musulman sur ce sujet. Les musulmanes sont-elles victimes spécifiquement d’une oppression masculine dans leur entourage ? Si oui, dans quelle proportion et sous quels aspects se manifeste le phénomène ? Enfin l’islam serait-il alors l’élément déterminant susceptible d’expliquer ces comportements ?

A en croire l’enquête parue dans le canard, sous le stylo d’Alain Guédé, l’ensemble de ces interrogations trouve des réponses irréfutables. « Quand la loi islamique s’applique dans certaines banlieues » est le titre du grand article situé en page 4 amorcé auparavant en première page, s’il vous plaît, par : « Les beurettes face à la loi islamique »

Une caricature du Cabu et une lecture en diagonale peuvent probablement achever de convaincre le lecteur pressé ou distrait.

Mais où sont passés les faits ?

Une lecture attentive entame en effet la conviction acquise lors d’un premier regard superficiel.

Pour commencer notre journaliste nous relate l’histoire d’une jeune fille, Yasmina, qui réussit dans ses études et qui se fait insulter par ses anciens copains à cause de ses nouvelles fréquentations. Sa mère l’aurait même menacé d’un test de virginité. Cependant la gravité de ces événements n’a pas conduit l’auteur à nous donner des précisions susceptibles de les éclairer. C’est sans doute que nous ne sommes pas encore rentrés dans le vif du sujet, contrairement à ce qu’on pourrait croire, car le journaliste s’apprête à nous décrire ce qui doit mériter aujourd’hui notre attention : « Les mésaventures de Yasmina corrigent un peu l’image idyllique de la beurette studieuse qui s’en sort grâce à l’école. Ce modèle standard tend un peu à s’effacer, dans la presse, au profit de celui de l’adolescente que persécutent ses frères et les religieux. » Ah ! Ça y est ! Nous y sommes. Je ne saurais vous dire où car les quelques lignes qui suivent mêlent 11 septembre, ironie d’une militante des droits de l’homme dont le nom n’est pas cité, et l’idée que « Dans les banlieues, une tendance se dessine pour renvoyer la femme au sort qui était parfois dévolu aux françaises il y a plus d’un siècle, au temps du catholicisme triomphant. » Voilà pour toute réalité ce que convoque l’auteur pour commencer son énoncé des causes. Eh ! oui ! cela est dit clairement plus haut, son observation il l’a faite « …,dans la presse,… ». Ceux qui auraient raté cette précision s’interdisent de comprendre le reste. Il est vrai que d’autres témoignages (souvent anonymes) viennent au secours de notre auteur à d’autres endroits mais pour le lecteur réfléchi, les faits sérieux ou significatifs sont cruellement absents ou imprécis. Ainsi une directrice d’école, Joséphine, témoigne que « des jeunes femmes [se mettent] à porter le foulard du jour au lendemain  » ( ?) Que peut-on en déduire pour notre propos, hormis des explications savamment suggérés par l’auteur de l’article ? Ou encore les dires de madame Mazel (animatrice du groupement régional pour l’action et l’information des femmes) qui affirme que les centres d’accueil pour femmes battues sont débordées par l’afflux de ces nouvelles immigrées. Celles qui seraient venues en tant qu’épouses de ces banlieusards, chômeurs, acculés à un retour vers la religion ?….Là encore pour qui raisonne, la confusion va bon train mais la démonstration tant attendue n’est pas prête de jaillir.

Des « on dit » qui alimentent des représentations, des faits significatifs ou précis désespérément absents , mais tout autant de supputations, d’évidences qu’il est inutile de fouiller…pour le lecteur qui n’a plus le temps.

Il faut s’attarder aussi sur la description des banlieues, qui se dévoile à nous, au fil des lignes, en en faisant des lieux uniformes dans lesquels hommes et femmes n’échappent pas à la stigmatisation. Pourra t-on jamais faire quelque chose pour eux…. ? Plutôt que de considérer les espaces de non vie, d’exclusion et de violence sociale que constituent les banlieues, notre auteur préfère tirer sur l’ambulance, accentuer encore les amalgames et incriminer le religieux. Quelle belle leçon de courage intellectuel !

Et l’emploi du terme « beurettes », au corps défendant des concernées, loin de signifier le regard affectueux et compatissant de l’auteur nous renseigne sur le paternalisme fiévreux qui imprime cette prose.

Si les faits ne sont pas au rendez vous, les bourreaux, issus d’un casting digne des pires propagandes, sont là pour tenter de combler ces multiples défaillances. Vous allez me dire que le canard n’est pas édité par le CNRS, mais tout de même fonder toute une dénonciation sur des approximations, cela frise l’escroquerie intellectuelle.

Peu de faits …..Mais des bourreaux ! En veux tu ? En voilà !

Les personnages à présent mis en scène auraient pu rattraper (sait-on jamais ?) les errements laborieux de l’installation du décor mais là encore on se dirige vers un lamentable naufrage. Des protagonistes pour jouer le rôle des fameux « grands frères » et là notre chantre des libertés fut riche en précisions et autres appréciations : professions, tonalité de la voix, domiciliation, qualificatifs compromettants, etc. En effet la présentation et le contenu des propos est tellement soumis aux exigences de la démonstration de l’auteur qu’on finit par se demander si c’est tout simplement plausible.

MonsieurYassine comme moi-même avons d’ailleurs fait parvenir des droits de réponse (voir en annexe) tellement les propos qui nous été prêtés étaient grotesques et tendancieux. Quant à la formule mise dans la bouche de Tariq Ramadan, il n’y a plus d’inconscient pour espérer qu’il ait pu dire : « le voile islamique est constitutif de la femme ». Mais notre journaliste a des convictions fortes et la maîtrise de son ouvrage, qui pourrait bien le contester ou simplement le raisonner ?

Dans le monde de l’auteur, on ne tolère pas ne serait-ce que l’idée d’arguments contradictoires mais c’est tout le crédit de l’article qui disparaît dans le même temps.

Pour le lecteur averti (ou tout simplement marseillais), il n’aura pas échappé le fait que les protagonistes sont tous de Marseille et qu’ils sont tous impliqués dans le conflit qui oppose la municipalité aux musulmans sur le projet de Grande Mosquée.

Ainsi il est vanté l’expertise de Salah Bariki qui n’est ni sociologue ni même conseiller municipal ou chargé de mission. Simple conseiller d’arrondissement, la présentation erronée avait tout de même un caractère prémonitoire puisqu’il est depuis peu chargé de mission sur la Grande Mosquée. Ce personnage, membre fondateur de Marseille Espérance, dont la carrière progresse, est connu pour avoir dénigré très souvent les acteurs musulmans et pour jouer un rôle très peu positif dans les différents dossiers de l’Islam à Marseille. Il rentre sans difficultés, dans cette catégorie des Arabes de service, qui tantôt peuvent se retrouver en posture de parler au nom des musulmans, tantôt stigmatiser ces derniers. Des bons et des mauvais points distribués donc à la faveur de ce papier, des gentils et des méchants musulmans entre lesquels la municipalité doit choisir et s’arroger le droit de désigner qui mérite selon elle la responsabilité de réaliser la Grande Mosquée de Marseille.

Pourtant si notre auteur avait effectué une petite recherche et vérifié si l’une des personnes qu’il cite a été poursuivie en justice pour violence conjugale, il aurait peut être découvert réellement l’argument décisif qui annule tout ce qu’il a tenté de démontrer.

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Il serait trop long de revenir sur les contradictions, les interprétations, et autres approximations qui jalonnent cet article et qui tranchent avec la clarté des gros titres et des sous titres.

Evoquons à titre d’exemple la thèse à laquelle parvient notre limier sur le port du foulard. En fin d’article : « Reste pour elles une solution : se mettre sous la protection divine, en portant le foulard ». C’est à n’y rien comprendre. Les filles portent-elles volontairement le foulard ? Ou y sont-elles obligés par les islamistes convaincus ?

Le plus grave dans cette histoire est l’impact de l’œuvre (journalistique ?) dans le climat actuel, car elle conforte allègrement les sentiments anti-musulmans, et qu’elle est publiée dans un grand canard qui continue, malgré tout, à inspirer crédit et engagement citoyen sur de très nombreux sujets.

Pour finir la pénurie est telle que Bedos est convoqué lui aussi dans un de ses mots d’humour datant des années …70 !? Certains clichés ont la vie dure, mais nous sommes bien en 2002 et la réalité est bien différente avec cette constante tout de même : l’Islam est innocent de ce dont vous voulez l’accuser. Quand bien même des choses sont commises en son nom.

En effet l’Islam ne peut fonder de démarches sexistes, violentes ou injustes envers les femmes. Et devant des faits précis on se doit d’examiner une multitude de paramètres explicatifs souvent très éloignés de la religion sauf à risquer de faire de l’anthropologie bon marché. D’autant que les violences conjugales constituent une réalité sociologique abondamment explorée qui concerne un très grand nombre de foyers, (probablement pas en majorité de culture musulmane) et qui met très souvent en évidence le rôle joué par l’alcool ou la précarité.

Pour conclure, beaucoup de mauvais coups portés à la condition féminine- vulgairement exploitée-, aux banlieues qui n’en demandaient pas tant, et enfin à l’Islam.

Oserai-je rappeler que l’aube de tous les totalitarismes était souvent embrumée par les pires fantasmes et approximations ?

Convenons aussi que c’est un bien mauvais service rendu à la laïcité, qui si je ne m’abuse, a vocation à permettre le vivre ensemble dans la pluralité des convictions.

Youcef Mammeri.

Annexes

¨ Droit de réponse de Mohamed Yassine, porte parole du Conseil des Imams de Marseille (paru le 4 décembre 2002).

 [Suite à notre entretien je suis consterné de la manière dont vous utilisez, dans votre article, ce que j’ai pu vous dire, en tronquant certains passages, en en rajoutant d’autres parfaitement imaginaires. Dans le passage : « La Création est ainsi faite…… », je précise que j’ai évoqué cette idée de manière beaucoup plus complète en mettant en valeur que la femme, selon la tradition islamique, fut créée au paradis à partir de vie alors qu’Adam fut créé d’argile à l’extérieur du paradis. Vous vous faites aussi l’écho de considérations me comparant négativement à un autre personnage dont vous ne dites pas grand-chose. Cela sert votre démarche mais en toute subjectivité. Quant à la phrase « Dieu interdit aux femmes de commander aux hommes », je me demande qui a bien pu vous raconter de pareilles inepties, ce n’est certainement pas moi. Pour finir lorsque vous mettez dans ma bouche : « Les femmes ont tendance à vouloir être bien maquillées….. », ceux qui me connaissent ne sauraient retrouver l’élégance de mon parler dans cette façon de présenter les choses, cette formulation vous appartient]

¨ Droit de réponse de Youcef Mammeri, vice président de la Coordination des Musulmans de Marseille (paru le 31 décembre 2002). La version initiale de ce droit de réponse était plus virulente envers le journaliste. Cependant j’ai accepté la proposition des responsables du Canard Enchaîné, qui ont reconnu en toute bonne foi le « loupé » constitué par cet article, et j’ai donc atténué la mise en cause du journaliste concerné. En échange le Canard Enchaîné a publié ma riposte sans lui ajouter de réplique, fait exceptionnel. Ce qui prouve qu’on peut encore faire crédit à ce grand canard qui sait reconnaître et réparer ses erreurs ou celles des siens.

[Je récuse le qualificatif d’ « islamiste convaincu » dont j’ai été affublé. Pourquoi pas « musulman », terme plus adapté et surtout moins connoté ? L’article me fait dire que : « La femme a été créée pour adorer Dieu, elle doit vivre en ayant conscience de cette destination et en lui étant soumise… ».

J’ai voulu en réalité exposer une thèse contraire. Selon moi l’homme et la femme sont égaux devant Dieu. Donc d’éventuelles pressions ou violences qui seraient constatées à l’encontre spécifique des femmes musulmanes ne peuvent trouver de justifications dans l’Islam. Dans une seconde citation vous me prêtez l’usage de l’expression « Nos femmes ». Je ne saurais m’approprier, même symboliquement, toutes les femmes musulmanes. La formule possessive « Nos femmes » est particulièrement inappropriée et laisse penser que je suis un communautariste primaire. Je déplore qu’on ne puisse imaginer un musulman ne battant pas sa femme et n’opprimant pas ses filles. Scolarisé dans l’école publique et y exerçant aujourd’hui, je vous adresse mes salutations laïques.]

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