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Comment concilier islam et modernité?

« Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et al-Andalus, et que le dépérissement des connaissances scientifiques eut suivi celui de la civilisation, les sciences disparurent… On en trouve seulement quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à la surveillance des docteurs de la foi orthodoxe ».
Ibn Khaldoun, al-Muqadimma

La rationalité et la laïcité ne sont pas étrangères au Mouvement de la pensée arabo-musulmane ; les Arabes se sont épris passionnément de la philosophie grecque et ils ont largement contribué à la propager en Europe grâce à un formidable effort de traduction.

La curiosité intellectuelle, excitée par la traduction des ouvrages grecs, latins, indiens et pehlvis, aux VIIIe et IXe siècles, a entraîné la fondation de la première école théologique islamique importante, appelée Mo’tazilisme.

Cette doctrine s’appuyait sur la falsafa (philosophie musulmane) pour interpréter le Coran ; elle se base sur la raison, la logique rigoureuse et la liberté de penser.

Cette école est apparue dès la fin de l’époque omeyyade, mais a connu un véritable essor sous le calife Abbasside al-Ma’moûn. Ce dernier, se heurta à la résistance des milieux conservateurs menés par Ibn Hanbal, fondateur de l’école juridique la plus rigoriste de l’islam sunnite : « ne dire de Dieu que ce qu’en dit Dieu (dans le coran) et son prophète (dans la sunna) ». Ibn Hanbal a incité le calife al-Mutawakkil (848-861) à décréter la fin de l’ère de réflexion et d’interprétation du Coran. Cependant, l’école du Mo’tazilisme survivra plusieurs siècles après sa condamnation officielle et sa chute a laissé un vide dangereux face au hanbalisme triomphant.

La falsafa a permis la progression de la connaissance dans un grand nombre de domaines scientifiques : la médecine, la géographie ou l’astronomie, au service de l’astrologie. Il s’agissait de développer les esprits, de soigner les corps, de mettre les instruments scientifiques, tels que les mathématiques, au service du pouvoir (fiscalité, métrologie, la science des mesures…) et d’une meilleure compréhension de l’univers créé par Dieu.

Dans la lignée des Mo’tazilites, on retrouve Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Sina (Avicenne), Ibn Ruchd (Averroès), et bien d’autres. Tous, ont livré, un combat sans merci à ceux qui ont voulu enfermer la pensée dans le carcan du dogme et ont ouvert la voie à ceux qui, plus tard en Europe, ont permis à la pensée de s’affranchir de la tutelle des religions.

Ibn Taymiya redoutable héritier de Ibn Hanbal est apparue plus tard, au XIVe siècle. Après les croisades et leurs conséquences, l’invasion mongole a porté le coup de grâce et a entraîné la dislocation du califat abbasside ; c’était le point culminant d’une crise marquée pour l’islam par de terribles désastres dont la peur de voir disparaître l’islam a eu pour effet l’effondrement des structures religieuses traditionnelles et le réveil du hanbalisme via Ibn Taymiya .

Ce courant fondamentaliste va être repris par les Wahhabistes, mouvement fondé par Mohamed Ibn Abdelwahhabe (1703-1791). Le but de Ibn Abd Al Wahhab était de chasser les Turcs ottomans de la Péninsule arabique et d’instaurer en Arabie un islam purifié tel qu’il existait à l’époque du prophète Mohammed (570-632) puis de le propager à l’ensemble du monde musulman. A l’instar du hanbalisme et de l’école d’Ibn Taymiya, le mouvement wahhabite est une lecture littérale, rigoriste de l’islam qui refuse l’interprétation, la modernité, l’ouverture sur les autres civilisations et cultures : c’est l’islam strict et puritain.

L’islamisme ou « islam politique » contemporain est traversé par deux principales tendances qui sont le réformisme et le fondamentalisme, chacune de ces tendances développant des courants radicaux qu’il faut également distinguer les uns des autres.

Le fondamentalisme, qui est à distinguer du conservatisme, est le traditionalisme issu de la pensée et de l’action d’Ibn Abd al-Wahhab. Les fondamentalistes ont leurs groupes radicaux et leurs réseaux dont le plus célèbre et sans doute le mieux organisé est le réseau Al-Qaïda. Son foyer mondial, y compris sous sa forme radicale est l’Arabie Saoudite. L’action du fondamentalisme est une expression violente dirigée surtout contre l’Occident et les Etats-Unis.

Le réformisme lui, a été inauguré il y a plus d’un siècle par al-Afghani et Mohammed Abdou, continuée par Rachid Rida et surtout par l’Egyptien Hassan al-Banna, fondateur en 1928 du mouvement des Frères musulmans. Les réformistes ont, eux aussi, leurs mouvements radicaux par exemple celui de Seyyed Qotb et de La jama’at al-islamiyya, responsable de l’attentat perpétré en 1981 contre le président Saddate : « Vouloir commencer par guerroyer contre l’impérialisme, c’est une action inutile et futile, une pure perte de temps. Il nous faut nous concentrer sur notre problème musulman, à savoir l’instauration de la shar’ia dans notre propre pays avant tout, et tout y subordonner à la cause de Dieu. » Ainsi, l’action des réformistes se limite à la prise du pouvoir dans les pays musulmans pour y instaurer la shar’ia.

L’islamisme contemporain se présente donc comme un monde complexe qui s’est nourri du colonialisme et de ses conséquences, de la misère, de l’humiliation, des frustrations et de la succession des échecs dans le monde musulman, sans oublier la répression des régimes corrompus et dictatoriaux qui gouvernent ces pays.

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Ces mouvements se nourrissent aussi du mépris de ces polémistes qui présentent les musulmans comme des peuplades hors du « monde libre », bizarres et adeptes d’une religion obscurantiste et réfractaire aux valeurs de la liberté et de la démocratie du « monde civilisé ».

Cette islamophobie, fait la joie des islamistes et plonge le musulman modéré dans une « vision binaire, manichéenne », qui consiste à percevoir les sociétés occidentales comme étant globalement hostiles à l’islam et aux musulmans ; cette hostilité risque d’enfermer les musulmans dans un ghetto que les islamistes veulent maintenir à tout prix pour isoler les musulmans des influences extérieures afin de réussir leur programme d’endoctrinement.

La lutte contre l’extrémisme musulman commence d’une part par la volonté de comprendre la culture musulmane et d’instaurer un dialogue dans le but d’une coexistence et non pour une domination : « si elle est authentique, la volonté de comprendre les autres cultures exclut toute ambition dominatrice. Là est l’humanisme. Sinon la barbarie l’emporte » écrit Edward Said dans « l’orientalisme ».

D’autre part, un grand effort du côté des penseurs musulmans est à faire afin de réconcilier l’islam avec la modernité et la laïcité (l’école des Mo’tazilisme nous montre que c’est une chose possible et réalisable). Cette phase doit passer par une réforme de l’islam qui favorisera l’ijtihad (effort d’interprétation) et rejettera le littéralisme.

D’autre part, il faut que, malgré les préjugés, la volonté d’exclusion et les discriminations, les musulmans (surtout les jeunes) ne s’enferment pas dans des ghettos communautaires, mais s’impliquent davantage dans la société civile et deviennent ainsi des citoyens à part entière respectant les valeurs et les institutions des pays dans lesquels ils vivent.

Conclusion

“demander le savoir du berceau au tombeau”

1- Ceux qui disent : concilier islam et modernité est chose impossible sont des imposteurs (l’école des mo’tazilisme en est la preuve).

2- Après cette brève analyse historique, on se rend compte que le fondamentalisme musulman a toujours été une réaction face aux agressions extérieures.

3- ces imposteurs, qui utilisent l’islamisme pour jeter la suspicion sur toute une religion, ont pour but d’isoler les musulmans, les discréditer et surtout les diaboliser.

4- Les musulmans ne doivent pas tomber dans ce piège et doivent, pour se battre contre ces imposteurs, utiliser des moyens intelligents : s’impliquer dans les mouvements sociaux, s’éduquer, s’instruire et bannir les violences physiques et verbales ; ce sont, à mon avis, les meilleurs moyens pour combattre les préjugés, les discriminations et ne pas laisser le champ libre à ces hypocrites déguisés en humanistes qui osent justifier les nouvelles guerres coloniales.

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