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Comprendre le Coran. Le Coran et le temps (partie 2)

Comprendre le Coran. Historicité, littéralisme et littéralité (2/2)

HISTORICITÉ ET CIRCONSTANCES DE RÉVÉLATION OU ASBÂBU-N-NUZÛL

Avant que de poursuivre notre étude des « circonstances de révélation », asbâbu-n-nuzûl, selon le schéma classique : sources, quantification, fiabilité des apports, emplois et limites exégétiques, il convient d’approfondir une notion essentielle : Le rapport du Coran au temps.

Lors de la première partie, nous avions insisté, à propos de la définition des « circonstances de révélation », sur la signification ontologique du surgissement de la Révélation en la réalité des hommes. Le prolongement de cette réflexion implique à présent d’aborder le rapport au temps ; rapport au temps de la Révélation, le Coran, rapport au temps de l’homme, et plus encore rapport de l’homme au Coran en fonction des temps ; l’ensemble étant synthétisé par le concept de « rapport du Coran au temps ». De fait, les « circonstances de révélation » permettent et imposent concrètement l’étude de ces conjonctions temporelles.

Or, il est proposé plusieurs solutions à cette équation. En fonction des choix opérés, le rapport du Coran au temps sera traité diversement, en découleront directement des exégèses, ou des prétentions exégétiques, fort différentes. Conséquemment, notre trilogie : historicité, littéralisme et littéralité est au cœur même de ce débat. En effet, chacune de ces trois « lectures », nous le démontrerons, se fonde essentiellement et conceptuellement sur autant de définitions distinctes de ce « rapport du Coran au temps », il en découle logiquement autant d’approches exégétiques.

Ainsi donc, comprendre le Coran suppose et présuppose avoir défini le rapport du Coran au temps et, par voie de conséquence, à notre temps. Corollairement, il ne peut y avoir de réelle exégèse sans cette nécessaire analyse. Très concrètement, c’est à partir d’un propos célèbre de Umar au sujet des “circonstances de révélation” que nous initierons notre recherche.

Circonstances de révélation : Umar et le Coran.

En résumé : Concernant la compréhension du concept de « circonstances de révélation », nous avions montré[1] en la première partie que la Révélation ne connaissait d’autres causes que le seul dessein révélant de Dieu. Si une révélation semble dépendre d’un événement identifié, un fait historique, il ne s’agit là que d’une coïncidence temporelle. Plus exactement, une concordance, entre deux vouloirs de Dieu : l’une quant à Sa Révélation, l’autre quant à l’existentiation du fait en question. En aucune manière la transcendance de Dieu n’autorise à penser que Sa « Parole » puisse être tributaire de contingences humaines ou terrestres. En d’autres termes, un événement ne peut être cause d’une Révélation, les « circonstances de révélation » ne sont que des « événements circonstanciels  » non causals.

A cet abord théorique, l’on pourrait nous opposer la « réalité » des « faits », et nous rappeler la conception que les Compagnons du Prophète se faisait de la Révélation et tout particulièrement des « circonstances de révélation ». Une remarque de Umar à ce sujet est particulièrement instructive et, en l’esprit de nombre d’entre-nous, est formulée comme suit : « Umar a dit : A trois reprises la Révélation m’a donné raison. »

De prime abord l’argument paraît irréfutable et péremptoire : Dieu a confirmé l’avis de Umar. La Révélation est ici nettement dépendante d’une cause identifiée, les opinions personnelles de Umar. Ces dernières ont entraîné la révélation de trois versets dont deux au moins ont valeur prescriptive (Cf. infra). On pressent les conséquences exégétiques et juridiques d’une telle assertion, et ceci, précisons-le dès à présent, justifie que ce « hadîth de Umar » soit cité en exergue de tous les chapitres classiques réservés à l’étude des « circonstances de révélation », les asbâbu-n-nuzûl. Nous ne pouvons donc l’ignorer.

En voici le texte tel que rapporté par Al Bukhârî :

عنأنسقالقالعمروافقتربيفيثلاثفقلتيارسولاللهلواتخذنامنمقامإبراهيممصلىفأنزلتواتخذوامنمقامإبراهيممصلى. وآيةالحجابقلتيارسولاللهلوأمرتنساءكأنيحتجبنفإنهيكلمهنالبروالفاجرفنزلتآيةالحجابواجتمعنساءالنبيصلىاللهعليهوسلمفيالغيرةعليهفقلتلهنعسىربهإنطلقكنأنيبدلهأزواجاخيرامنكنفأنزلتهذهالآية.

Nous en proposons une traduction conforme aux commentaires classiques tel celui de Ibn Hajar al ‘Asqalânî (8ème siècle H), le grand commentateur du Sahîh de Al Bukhârî, en soulignant, comme en le texte arabe, le segment significatif. D’après Anas, Umar a dit : «  Mon Seigneur a confirmé mon opinion à trois reprises. Lorsque j’ai dit : Ô Messager de Dieu, pourquoi ne prendrions-nous pas la station d’Abraham comme oratoire, et il fut révélé : “ Prenez la station d’Abraham (maqâm Ibrâhîm) comme oratoire.”[2] De même pour le verset du « voile » (hijâb), lorsque je dis : Ô Messager de Dieu, pourquoi n’ordonnerais-tu pas à tes épouses de s’isoler derrière un rideau car leur adressent la parole aussi bien les pervers que les vertueux, et il fut révélé le verset du « voile ».[3] Et lorsque des femmes du Prophète furent toutes jalouses et qu’alors je leur dis : Il se peut que son Seigneur, s’il venait à vous répudier, lui donne des épouses meilleures que vous. Il fut alors révélé ce verset. »[4] 

Point ne serait nécessaire ici de discussions théologiques et conceptologiques, si un Compagnon de la stature de Umar a dit une telle chose, nous sommes dans l’obligation de reconnaître la véracité de son propos qui est on ne peut plus clair. Dieu confirme la volonté d’un être humain et accède à ses désirs car, dans les trois exemples donnés par Umar, il s’agit bien d’idées personnelles, de points de vue qui lui sont propres et non pas de pensées de type général. La Révélation apparaît ici assujettie et non pas indépendante, les sababu-n-nuzûl seraient donc de véritables causes de la Révélation, la transcendance et l’absoluité divine seraient effectivement parfois soumises aux contingences.

Problème 1 : Umar aurait dit ce que jamais le Prophète SBSL n’a dit. Jamais, alors que des centaines de versets ont trait aux difficultés, aux angoisses, aux craintes, aux espoirs du Prophète, jamais il n’a dit que Dieu révélait en fonction de ses états ou même de l’assistance dont il avait besoin. Bien au contraire, Dieu lui fait dire à de nombreuses reprises dans le Coran : “…dis : « Je ne fais que me conformer à ce qui m’est révélé par mon Seigneur…”[5] et non pas l’inverse : « la Révélation de mon Seigneur se conforme à mes besoins ou états d’âmes. »

Problème 2 : Nous serions selon cette conception des “circonstances de révélation” non plus tant en une historicisation du Coran mais bel et bien en une hyper historisation. Si Dieu fait « Loi » à partir de la pensée des hommes en un temps donné, la « Loi de Dieu » pour être éternelle devrait donc suivre l’évolution et les besoins des hommes, car ce qui était bon pour Umar ne l’est plus visiblement pour Mehdi ou Nadia d’un autre temps ou d’un autre lieu. La loi, celle des hommes, le droit positif, s’adapte par définition aux temps, et si la Loi de Dieu s’était adaptée à Umar, il faudrait admettre que la loi de Dieu doive à présent s’adapter à nos réalités. Les partisans de cette (non) lecture du Coran ont alors la part belle, le Coran est en grande partie dépassé, caduc.

Problème 3 : Valider sans condition l’opinion de Umar quant à la Révélation serait quasiment lui octroyer le statut d’infaillibilité. Quand bien même un mortel prétendrait que Dieu accède à ses désirs que cela demanderait en toute rigueur d’être examiné. Que cette relation influe sur le contenu d’une Révélation destinée à l’humanité imposerait pour le moins d’être circonspect. Que l’opinion d’un homme puisse devenir « Loi éternelle » exigerait une profonde réflexion sur la notion de « Droit » divin.

On le voit, le questionnement est tout aussi essentiel que contradictoire. Le sujet est bien nôtre, le rapport du Coran au temps. Le temps des hommes exerce-t-il une contrainte sur la Révélation ? La Révélation est-elle soumise au temps où elle se manifeste, et dans quelle mesure ? Dans ces conditions, comment la considérer comme intemporelle, comment faire coexister le fait que des mentalités arabes du 7ème siècle exerce autorité définitive pour tous les temps et tous les hommes ? Comment comprendre que l’universel soit bédouinité ? Comment, selon ces exigences, comprendre le Coran aujourd’hui ? Comment comprendre le Coran en son intégralité sans vouloir en déclasser, comme certains le prônent, bon nombre de versets ?

Présentement, nous n’aurons pas à solutionner cette problématique théoriquement, conceptuellement, ce que nous réaliserons par la suite. Pour l’instant, il nous suffira de nous reporter au texte même du propos de Umar dont nous avions volontairement donné une traduction « officielle ». En effet, elle est plus que discutable, erronée ! Précisons qu’il n’ y a pas à discourir sur l’authenticité du propos afféré à Umar. D’une part Al Bukhârî en donne deux versions selon deux chaînes de transmission, isnâd, bien différenciées et, d’autre part, Muslim pour ne citer que lui, en fournit une version abrégée[6] selon un autre isnâd, ce qui confèrerait à ce propos un haut degré de fiabilité, on le dit mutawâtir. Cependant, nous le signalons régulièrement, un hadîth est composé d’une isnâd et d’un texte, matn, et l’authentification des hadîths ne procède qu’en fonction de critères de sélection et de vérification de la chaîne de transmission. Rien ne dispense, bien au contraire, d’étudier de manière critique le texte ainsi transmis. Le cas qui nous préoccupe en sera l’illustration.

Portons donc attention au segment clef que nous avions souligné dans le texte :

 وافقتربيفيثلاثقالعمر ce qui a été traduit : Umar a dit « Mon Seigneur a confirmé mon opinion à trois reprises. » Plus que jamais, mais peut-il en être autrement, l’étude du texte en arabe s’avère nécessaire. Ainsi Umar dit-il : wâfaqtu rabbî, le verbe est wâfaqa conjugué au passé et à la première personne du singulier, rabbî signifie bien entendu « mon Seigneur », thalâth peut être traduit « à trois reprises », « en trois cas  ».

Le verbe wâfaqa joue un rôle essentiel en notre discussion, il est de forme III et, accompagné de la particule , il signifie quels que soient les lexicographes : s’accorder avec quelqu’un ou se conformer à ses désirs. Ce qui, littéralement, donne comme sens possible à notre phrase : « Je me suis accordé avec mon Seigneur à trois reprises » ou bien « Je me suis conformé aux désirs de mon Seigneur à trois reprises ». Visiblement selon la suite du texte, seul le premier cas est à retenir : Umar a donc dit : « Je me suis accordé avec mon Seigneur à trois reprises ».

Ce que l’on peut autrement exprimer : « J’ai eu la même opinion que mon Seigneur à trois reprises. »,c’est-à-dire à l’occasion de la révélation de trois versets. Les commentaires classiques que nous avions suivis en notre première traduction postulent l’inverse ou plus exactement la réciproque, à savoir : « Mon Seigneur a confirmé mon opinion à trois reprises  ! C’est pourtant cette « version » qui est impliquée ou sous-entendue lors de la mention systématique de ce propos au chapitre des « circonstances de révélation ».

Je le répète, du point de vue linguistique il n’ y a aucun doute sur le sens à donner à l’expression wâfaqtu rabbî fî thalâth, et la compréhension « officielle » exprime exactement le contraire de ce que le texte dit. Ceci explique que nous puissions trouver dans la traduction du Sahîh Al Bukhârî de O. Houdas et W. Marçais, abondamment et judicieusement corrigée par le Professeur M. Hamidullah, la traduction suivante : « J’ai eu la même idée que le Seigneur dans les trois circonstances suivantes »[7] mais, qu’en la traduction du Sahîh de Muslim par l’équipe de Fawzi Chaaban[8], l’on lise : « Dieu a été d’accord avec moi sur trois choses » !

Reste à comprendre, et nous sommes en droit de nous le demander, par quelles voies l’on a pu opérer un tel retournement de sens puisque, en quelque sorte, on nous propose l’égalité suivante ! :

J’ai eu la même opinion que lui = Il a eu la même opinion que moi.

Lorsque les deux acteurs d’une telle rencontre sont Dieu et un homme, lorsque l’opinion est la Révélation divine et non une simple spéculation humaine, l’on comprend la gravité d’une telle erreur. Mais est-ce une erreur ?!

Al ‘Asqalânî, la référence déjà citée, commente ainsi notre « hadîth » : wâfaqtu rabbî signifie mon Seigneur m’a confirmé, [9] c’est-à-dire qu’Il a révélé le Coran en accord avec ce que j’avais pensé. » l’on ne saurait être plus clair : Dieu a révélé le Coran en fonction de l’opinion personnelle de Umar. Nous avons évoqué les difficultés conceptuelles d’une telle compréhension, nous y reviendrons, mais, présentement, il est aisé de constater qu’une telle affirmation est en totale opposition avec les règles grammaticales de la langue arabe. En aucune façon le verbe wâfaqa n’a de connotation de réciprocité. Cette réciprocité est au demeurant exprimée par la forme VI tawâfaqa signifiant convenir mutuellement d’une chose, se mettre d’accord. Ce verbe ne s’emploie logiquement qu’au pluriel, tawâfaqnâ, c’est-à-dire : nous nous sommes mis mutuellement d’accord. Si le texte avait utilisé ce verbe, ce qui n’est pas fort heureusement le cas, Dieu et Umar se serait mis d’accord !

Mais il y a plus, le texte de ce « hadîth », ou plus justement à dénommer propos de Umar, n’est pas resté indemne de la pensée inductive des commentateurs. Ainsi, trouvons-nous toujours rapporté par Al Bukhârî et selon un isnâd légèrement différent, une autre recension de ce propos :

عنأنسقالقالعمر : وافقتاللهفيثلاثأووافقنيربيفيثلاث

« D’après Anas, Umar a dit : wâfaqtu rabbî fî thalâth « J’ai eu la même opinion que Dieu à trois reprises aw wâfaqanî rabbî ou bien« Mon Seigneur a confirmé mon opinion à trois reprises… » 

Sans être nécessairement arabisant, l’on peut constater l’adjonction dans le texte même du propos, du sens voulu par les commentateurs, mot à mot. Tout se passe alors comme si Anas ne sachant plus exactement ce qu’avait dit Umar nous proposa deux choix, ou, deuxième possibilité, qu’il indiqua pencher lui aussi pour ce curieux retournement de sens.[10]

L’interpolation, idrâj, d’un commentaire en un texte de hadîth est un phénomène bien connu et faisant l’objet de nombreux traités de sciences du Hadîth. En ce cas précis il n’est pas difficile de prouver qu’il s’agit réellement d’une interpolation, et non d’une version différente :

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– Premièrement, si Anas avait douté de ce qu’a dit Umar au point de professer tout et son contraire, alors l’on ne peut faire confiance à sa mémoire et, conséquemment, l’on ne peut accepter selon les critères d’inclusion de Al Bukhârî son témoignage, ce serait 2286 hadîths, par lui rapportés, qu’il nous faudrait invalider.

– Deuxièmement, s’il ne connaissait pas la langue arabe et confondait deux propositions de sens inverse, l’on ne peut de même prendre de lui le Hadîth.

– Troisièmement, les discussions sur le statut ontologique des « circonstances de révélation » sont bien postérieures à son décès (93 H), nulle raison de penser qu’il ait eu à analyser le propos qu’il tenait de Umar au point de proposer en alternative l’hypothèse privilégiée par les exégètes et conceptologues du 2ème au 4ème siècle.

– Quatrièmement, s’il l’on admettait malgré tout le doute, alors il nous faudrait nous en tenir à ce qui est le plus sûr. C’est-à-dire que nous devrions valider le sens obvie du texte en fonction des données régulières de la grammaire et des bases théologiques connues, lesquelles donnent suprématie à l’absoluité divine sur la volonté de l’homme. Conséquemment, nous ne pourrions retenir que sa première proposition : « J’ai eu la même opinion que Dieu à trois reprises. »

Nous ne serons donc pas étonnés qu’il faille fréquemment faire intervenir une version du propos de Umar rapportée par Al Bayhaqî ne comportant plus que les termes de l’interpolation, wâfaqtu rabbî fî thalâth ayant été remplacée par wâfaqanî rabbî :

أنسبنمالكرضياللهعنهقالقالعمربنالخطابرضياللهعنه : وافقنيربيفيثلاثعن

Ce « hadîth », fort heureusement, mais c’était logiquement prévisible, a été classifié inauthentique, da’îf, par les spécialistes, ce qui par ailleurs n’a guère limité son emploi. L’apparition de ce type de hadîths inauthentiques ou apocryphes n’est pas liée au hasard mais à la nécessité.

Au final, rien ne permet d’inverser le sens de ce propos de Umar qui donc se lit, et doit se lire, comme suit : «  J’ai eu la même opinion que mon Seigneur à trois reprises. Lorsque j’ai dit : Ô Messager de Dieu, pourquoi ne prendrions-nous pas la station d’Abraham comme oratoire, et il fut révélé : “ Prenez la station d’Abraham (maqâm Ibrâhîm) comme oratoire.” De même pour le verset du voile (hijâb) lorsque je dis : Ô Messager de Dieu, pourquoi n’ordonnerais-tu pas à tes épouses de s’isoler derrière un rideau car leur adressent la parole aussi bien les pervers que les vertueux, et il fut révélé le verset du « voile ». Et lorsque des femmes du Prophète furent toutes jalouses et qu’alors je leur dis : Il se peut que son Seigneur, s’il venait à vous répudier, lui donne des épouses meilleures que vous. Il fut alors révélé ce verset. »

Nous avions parlé de conjonction entre les événements et la Révélation comme définissant au plus juste les « circonstances de révélation », en voici un parfait exemple pleinement attesté par ce « hadîth ».

Ceci reste tout à l’honneur de la sagacité légendaire de Umar.

Conclusion.

Rien qui ne vienne infirmer notre première analyse des “circonstances de révélation”, la « Parole » de Dieu demeure transcendante et non contingentée. En aucune manière, et aucun argument probant ne vient le contredire, la Révélation du Coran n’est soumise à des faits historiques, y compris à l’égard du Messager de Dieu SBSL. Cela ne retire rien, bien entendu, au fait que des événements circonstanciels aient pu avoir été noté “contemporainement” à la révélation de certains versets. Telles sont les « circonstances de révélation », des événements circonstanciels non causals.

Puisque tel est précisément notre sujet, nous verrons par la suite les conséquences exégétiques d’une cette approche des “circonstances de révélation”, y compris en la résolution de difficultés juridiques affrontées aux temps présent.

Nous poursuivrons de même plus avant notre discussion, à peine esquissée en cet article, quant au rapport du Coran et du temps. Historisation, et sa base scripturaire les “circonstances de révélation”, mais aussi littéralisme et littéralité, s’inscrivent de plein droit en ce débat. Nous le répétons, nulle exégèse n’est possible sans avoir parfaitement établi le rapport du Coran au temps. Cela semble plus évident encore pour le “comprendre le Coran aujourd’hui ” mais, en réalité, cette étape essentielle a toujours été obligatoire. Nous distinguerons trois temps de la Révélation, plus exactement trois états, autant de rapports au temps et autant d’approches exégétiques, autant de « lectures » ayant accompagné la relation des hommes au texte révélé.

Une interrogation.

L’islam est religion du Texte et de raison, religion des textes et de la raison. Le Coran est irréductible et impose à la raison un exercice particulier, comprendre le Coran à l’intérieur de ses propres bornes de définitions. Les textes, nos acquis classiques et ou traditionnels, sont eux issus de l’effort de réflexion humaine, ils imposent que la dynamique les ayant enfantés soit perpétuée. La pensée humaine est le règne de l’incertitude, vision négative s’il en est, mais aussi de la perfectibilité, versant positif par excellence. L’étude de ces acquis doit donc être opérée rationnellement par l’argumentaire et la recherche probante, et ce hors de tout a priori. Quitte à devoir les remettre en cause lorsque leurs faiblesses sont ainsi mises à jour, il en fut ainsi durant des siècles avant que la sclérose de notre « Moyen-âge » ne vinsse succéder à notre « Âge d’or. »[11]

Que la chose soit claire, nous n’entendons pas par là promouvoir un certain esprit de réforme plus moderniste que réformiste ; l’Islam, avec une majuscule, n’est pas à reformer, il est un donné révélé intangible et non négociable. Nous disons seulement qu’il n’y a pas d’avenir sans revivification permanente de la pensée des musulmans et donc de la critique constructive de nos acquis passés, dont l’islam, avec une minuscule, fait partie. Cette saine volonté est parfois mal perçue par certains esprits peu au fait de la démarche intellectuelle musulmane. Elle est aussi régulièrement vouée aux gémonies par ceux qui, des quelques gouttes de leur savoir, font un océan de certitude ; voila bien le meilleur moyen de périr par noyade. Nous en appelons donc à l’effort d’honnêteté intellectuelle, rien d’autre.

Le cas présent, après avoir démontré le surinvestissement orienté du propos de Umar, c’est-à-dire après avoir écarté de la définition des “circonstances de révélation” une tentative de subordination de la Révélation au temps, l’on peut s’interroger sur la nature des positions conceptuelles ayant ainsi motivé nos prédécesseurs. Au delà du comment, le pourquoi. Pour quelles raisons on-t-il induit à dessein ce propos de Umar ? Pour quels objectifs a-t-on voulu asservir la Révélation à la pensée des hommes, Umar en étant ici un archétype parfait ? Quelles logiques se sont imposées au point de faire d’une telle définition des “circonstances de révélation” un pilier de l’exégèse ? Quelles en sont les conséquences exégétiques et juridiques ?

Alors même que dans la pensée du sunnisme, la transcendance de Dieu, sa non immanence, sa totale indépendance vis-à-vis de Sa création, sont affirmées sans concession. Alors même que la dépendance absolue de l’homme est postulée au point que la liberté lui est dogmatiquement et intrinsèquement déniée. Alors même que le temps et les actes ne relèvent que des prérogatives divines. Alors même que l’absoluité de Dieu est l’essence de notre conception du monde ; pour quelles raisons a-t-on voulu postuler que Dieu put asservir sa Parole, Sa Révélation à la pensée d’un homme, des hommes, au temps d’un homme, au temps des hommes ?

Question cruciale, cœur du rapport Coran-temps-homme, que nous vous soumettons et à laquelle, plaise à Dieu, nous apporterons réponse en la suite.



[1] Nous disons « nous avons montré » car, concernant le domaine ontologique de Dieu, il ne peut s’agir de démonstration.

[2] S2.V125.

[3] Signalons que le « verset du voile » auquel Umar fait allusion n’est pas celui que l’on croit (S24.V31) mais le V53.S33 imposant aux musulmans de s’adresser aux épouses du Prophète SBSL de derrière un rideau de porte, hijâb, d’où notre traduction et l’emploi de guillemets pour le terme « voile ».

[4] S66.V5.

[5] S7.V203.

[6] Elle diffère cependant par la liste des trois cas : La station d’Abraham, le « hijâb », le sort des prisonniers de Badr. Signalons l’existence d’autres versions, elles aussi authentifiées, sahîh, où il est fait mention de quatre cas différents des précédents, ce qui pose tout de même problème. Je ne parlerais pas des versions, certes défectueuses, mais régulièrement citées, multipliant les exemples à l’envi.

[7] Vol I, p. 151, Chap. XXXII : « De ce qui s’est passé au sujet de la Qibla ». Noter que M. Hamidullah a omis de signaler l’erreur « Le seigneur » pour « mon Seigneur ».

[8] Vol II, p. 434, Chap. II : « Des fastes de Umar ».

[9] En arabe il est écrit « wâfaqtu rabbî signifie wâfaqanî rabbî  ». Dans le texte original Umar est le sujet du verbe wâfaqa, dans l’explication donnée c’est Dieu qui est sujet !

[10] En arabe le aw ici employé a même fonction que le ou de coordination du français, ceci ou cela, mais peut aussi signifier c’est-à-dire, d’où présentement l’ambiguïté d’une telle assertion.

[11] L’histoire de la civilisation musulmane, rappelons-le, est unique en son genre. Elle est la seule épopée humaine dont le Moyen-Âge ait fait suite à son apogée.

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