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Comprendre la crise ukrainienne

Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter au démantèlement de l’URSS en 1990-91. L’Union des Républiques socialistes soviétiques était composée de 15 républiques : la Russie, les trois républiques baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie), les quatre républiques d’Europe centrale (la Moldavie, la Transnitrie, la Biélorussie, l’Ukraine), les trois du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie) et les républiques d’Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan).

En deux années, toutes ces républiques se déclaraient indépendantes et, le 25 décembre 1991, Gorbatchev annonçait la fin de l’URSS et quittait le Kremlin. Restaient seulement sous le contrôle exclusif de la Russie les armées, les armes nucléaires, l’industrie spatiale et le KGB. Si la Russie conserva son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, le pays était en plein chaos avec la privatisation de l’économie qui déboucha sur un capitalisme oligarchique. La Banque mondiale, la BERD, l’agence américaine USAID soutinrent cette gigantesque opération qui profita à quelques-uns, ceux que l’on nomme « oligarques » tandis que l’État russe était en faillite.

Finie la guerre froide qui durait depuis 1947 et s’était traduite par la création de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) en 1949, suivie, du côté russe, par la création du Pacte de Varsovie en 1955 qui regroupait les pays du bloc soviétique : la RDA, la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Roumanie. Tandis que le Pacte de Varsovie fut dissous en 1991, l’Otan ne le fut pas et rassemblait toujours, avec les Etats-Unis et le Canada, douze pays de l’ouest européen ainsi que la Turquie.

Les promesses faites à Gorbatchev

Tout ce qui suit s’appuie sur des documents diplomatiques américains déclassifiés et publiés par le site « lescrises ». Avec le démantèlement de l’URSS, deux questions restaient à régler : la réunification allemande et l’assurance pour la Russie de sa sécurité en Europe. Dès le « sommet » de Malte, en décembre 1989, le président Bush assurait Gorbatchev que les Etats-Unis ne profiteraient pas des révolutions en Europe de l’Est pour nuire à la sécurité de la Russie. En janvier 1990, Genscher, le ministre des Affaires étrangères ouest-allemand, dans un grand discours public, affirmait que la réunification allemande ne devrait pas porter préjudice à la « sécurité soviétique » (à cette date, l’URSS existe encore théoriquement). Le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain, James Baker, rencontrait Gorbatchev et déclarait : « Pas un pouce à l’est pour l’Otan » ; formule qu’il répéta plusieurs fois. Si le chancelier ouest-allemand, Kohl, obtint l’accord de Gorbatchev pour la réunification allemande, c’est que Genscher avait déclaré à son homologue soviétique, Chevardnadze : « En ce qui concerne la non-expansion de l’Otan, cela vaut de manière générale.

Tout au long des années 1990 et 1991, tous les dirigeants occidentaux, de Bush à Thatcher, ont répété qu’il n’était pas question de séparer l’Europe de l’Est de l’ex-Union soviétique. Quant à François Mitterrand, il était en faveur d’un « démantèlement progressif des blocs militaires ». On aurait donc pu penser qu’entre l’Europe de l’Ouest et la Russie, de nombreux pays d’Europe centrale seraient restés non-alignés.

Cependant, dès septembre 1993, l’administration Clinton commençait à établir des plans d’élargissement de l’Otan. Eltsine répliqua qu’une telle expansion de l’Otan à l’Est de l’Allemagne « saperait la sécurité en Europe ». Pourtant, l’administration américaine évoquait, en décembre 1994, une expansion de l’Otan « progressive, réfléchie […] avec des discussions franches et approfondies avec la Russie à chaque étape de ce processus ».

L’élargissement de l’Otan

Dans les années 1997-1998, l’État russe était au bord du gouffre financier, incapable de résister aux pressions occidentales. Le 27 mai 1997, un accord était conclu entre la Russie et l’Otan qui ouvrit la voie à l’expansion de cette dernière. La Pologne, la Hongrie et la Tchéquie furent invitées à entrer dans l’Alliance atlantique. La Russie protesta vainement. Puis les pays dit du « groupe de Vilnius » ont adhéré à l’OTAN en 2004 : la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie et les trois pays baltes ; ensuite, en 2009, l’Albanie et la Croatie ; le Monténégro en 2017 et la Macédoine du Nord 2020. Soit un total de 30 pays.

Ajoutons qu’avec la guerre dans l’ex-Yougoslavie, l’Otan n’hésita pas, en 1999, à bombarder la Serbie, alliée historique de la Russie. Et les Etats-Unis patronnèrent alors la création d’un nouvel Etat, le Kosovo, cependant, le Kosovo n’est pas reconnu par une majorité d’Etats et n’a pas été admis à l’ONU. Ainsi, l’Otan, créée pour défendre l’Europe de l’Ouest face au bloc socialiste de l’Europe de l’Est, a non seulement survécu à l’effondrement de ce bloc mais s’est élargi et cette alliance défensive, dirigée par les Etats-Unis, a entraîné nombre de pays européens dans la guerre en Afghanistan.

La Russie en quête de sécurité

On comprend que la Russie de Poutine ait été inquiète de l’entrée dans l’Otan des pays baltes qui jouxtent son territoire mais son inquiétude fut encore plus grande pour l’Ukraine dont la frontière avec la Russie dépasse les 1 500 kms de longueur. A son tour, l’Ukraine allait-elle entrer dans l’Otan ? La division de l’Ukraine entre une partie ouest europhile et parlant l’ukrainien et une partie est russophone offrait les conditions pour semer la discorde.

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Poutine avait d’ailleurs, le 10 février 2007, lancé un avertissement aux Occidentaux à la conférence sur la Sécurité qui se tenait à Munich : « Il me semble évident que l’élargissement de l’Otan n’a rien à voir avec la modernisation de l’Alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé ». Mais l’Occident, sûr de sa prépondérance, n’a pas voulu entendre. 

En Ukraine, la situation s’est dégradée. En 2014, la Crimée s’est proclamée indépendante et, après un référendum, a proclamé son rattachement à la fédération de Russie. Puis c’est la guerre du Donbass menée par les Ukrainiens russophones. En décembre dernier, Moscou avait présenté un projet de traité sur la sécurité en Europe visant à limiter l’influence de l’Otan. Non seulement l’Alliance devait s’engager à exclure l’adhésion de l’Ukraine mais aussi à ne se livrer « à aucune activité militaire sur le territoire de l’Ukraine, de l’Europe de l’Est, du Caucase ou de l’Asie centrale ». L’Occident a répondu par le mépris à ces exigences.

Est-ce dire que Poutine a eu raison d’envahir l’Ukraine ? 

Non ! Poutine devrait être bien placé pour savoir comment les expéditions militaires à l’étranger se terminent. L’occupation de l’Afghanistan, l’expédition américaine en Irak et celle des Franco-britanniques en Libye ne sont pas si anciennes pour qu’il les ait oubliées. Est-ce le « nationalisme grand-russe » dénoncé par Lénine qui ressort aujourd’hui ? En tout cas, la Russie qui était dans son bon droit, il y a quelques jours, est devenue un pays agresseur qui ressuscite la guerre froide telle que les Américains la veulent pour maintenir leur hégémonie sur l’Europe de l’Ouest.

De nouveau, en France et ailleurs, on va avoir peur des Russes, les haïr alors qu’ils n’ont plus depuis longtemps un couteau entre les dents ! Poutine vient de faire renaître l’hystérie anti-russe qui fut si longue à s’estomper. De nouveau, on aura de bonnes raisons de grossir les budgets militaires, d’excuser toutes les entorses aux droits de l’homme de la part des Américains : « Et les Russes en Ukraine ? » Serions-nous revenus à Prague en été 1968 ? En tout cas, nous avons régressé. 

Les grands gagnants de l’opération sont les Etats-Unis  – qui n’ont pas tiré un coup de feu ! –  et l’Otan qui, hier « moribonde » selon Macron, ressuscite. Il y a deux jours, à une réunion de son commandement, deux pays neutres ont demandé à assister aux débats : la Suède et la Finlande. L’opération russe en Ukraine va provoquer aussi un plus grand rapprochement de ce pays avec la Chine. Elle s’imposera de plus en plus comme l’arbitre de la vieille querelle entre l’Occident et la Russie. Pour tous les peuples, il faut s’attendre à la hausse des prix, voire à des pénuries, qui seront mises sur le compte de la Russie. 

Le rêve d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, comme l’évoquait de Gaulle, s’éloigne. Tous ceux qui ont cherché à combler le fossé entre l’ouest et l’est de l’Europe ont, aujourd’hui, perdu une grande bataille. 

Martine Sevegrand

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2 commentaires

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  1. Salam, bonjour. A l’heure qu’il est, l’auteur devrait savoir qu’il n’y eut pas que des promesses verbales, encore qu’elles engagent, mais il y a un acte écrit que les dirigeants de l’OTAN ont nié jusqu’à sa réapparition dans les archives Britanniques, divulgué par la presse Allemande. Peut-être que cet acte écrit n’était pas encore divulgué ou que l’auteur n’en avait pas connaissance au moment de cet article. Les paroles s’envolent dit-on, enfin pas les paroles officielles de dirigeants dûment enregistrées, mais les écrits qui engagent restent.

    Merci pour votre résumé historique, moi-même et beaucoup de lecteurs d’Oumma savaient peu de choses sur ce conflit, parce que le public de ce site s’intéresse à d’autres causes, c’est probablement un tort, on ne peut pas s’intéresser à tout, mais tout est lié, ce conflit impacte d’une manière ou d’une autre les pays de Musulmans, ne serait-ce que par le renchérissement du blé et forcément des autres céréales sur les marchés mondiaux, le tarissement prévisible du tourisme Russe, la hausse du prix des énergies fossiles et autres matières premières. Mais aussi parce que l’état Sioniste s’affiche délibérément hostile à la Russie ce qui pourrait avoir des conséquences que j’espère heureuses pour nous si des dirigeants de pays de Musulmans encore à peu près debouts, augmentent et perfectionnent la coopération avec la Russie nonobstant la problématique des sanctions auxquelles des alternatives et parades se dessinent déjà.

    Croissant de lune.

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