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« Comment peut-on être breton et musulman ?

Titre du livre "Comment peut-on être breton et musulman. Humanisme, diversité et libération en islam"

Étant donné le caractère composite du thème traité (langues minoritaires, langues de France, langue bretonne, brezhoneg, islam, islam progressiste, réforme de l'islam…), le titre complet, plus pertinent mais un peu trop long, pourrait être « Comment peut-on être breton (indigné) et musulman (critique) ? Humanisme, diversité et libération en islam ».

 

Breton indigné ?

 L'auteur est indigné depuis toujours de voir les langues de Bretagne (breton et gallo) menacées de disparaître dans leur pratique quotidienne, comme les autres langues de France (pour le moins, occitan, alsacien, basque, catalan, flamand, corse) de façon quasi programmée. Il l'est tout autant d'ailleurs par le même sort qui attend à court terme la moitié des langues du monde (Unesco).

Musulman critique ?

Le Coran, texte fondateur de l'islam, a clairement édifié une éthique humaniste de la diversité et de la libération. L'islam des débuts était effectivement un islam progressiste, voire révolutionnaire, pour son temps, basé sur une lecture libératrice du Coran. Mais il faut reconnaître qu'il a bien changé avec les siècles et s'est éloigné de sa source par soumission au pseudo-clergé illégitime des oulémas qui bloquent toute innovation dans l'interprétation du texte. La Sunna, tradition du Prophète, pourtant simple envoyé, a ainsi été sacralisée et l'éthique initiale a beaucoup souffert de l'instauration d'un droit artificiel extérieur à l'esprit du Coran (charia) qui est même tristement devenu le symbole dévoyé de l'islam.

Jean-Marie Seiget nous décrit cette évolution de 14 siècles, perpétuel combat interne à l'islam entre des forces réactionnaires et des forces progressistes. L'aboutissement contemporain est sévère : une telle trajectoire a abouti à un « islam traditionnel » (orthodoxe, majoritairement pratiqué) qui ne possède plus ses qualités originelles d'humanisme et de recherche de la diversité. Cette déviation est encore renforcée depuis plus d'un siècle par le développement de formes encore plus réactionnaires et très médiatisées par l'actualité : Frères musulmans, salafistes et wahhabites de tout genre.

Pourtant, dans cette même période, une formidable réforme progressiste a vu le jour, est toujours en pleine effervescence mais est trop souvent occultée. Jean-Marie Seiget nous décrit cet impressionnant travail de réforme qui aboutit à amener l'islam à la modernité en réglant toutes les questions « qui fâchent » dans l'islam traditionnel (droits de l'Homme, droits des femmes, démocratie, laïcité, liberté de conscience…).

Mais de façon beaucoup plus fondamentale encore, un certain nombre de réformateurs, de Mohammad Iqbal (Pakistan, début du XXe siècle) à Mahmoud Mohammed Taha (Soudan, pendu en 1985 par les Frères musulmans au pouvoir) puis à Farid Esack (Afrique du Sud, un des ardents combattants anti-apartheid puis inlassable militant des causes progressistes) ont travaillé à reconstruire la pensée de l'islam à partir d'une lecture novatrice du Coran en liaison avec leurs luttes. Ce faisant, ils ont construit ce qu'on pourrait appeler la « théologie islamique de la libération ».

Le tawhid (unicité de Dieu et donc de l'humanité, principe fondamental en islam) aboutit à la revendication d'égale dignité de tous les humains. Une telle démarche islamique débouche sur la prise en charge de la diversité humaine sous toutes ses formes. Elle porte les revendications de justice dans le domaine des luttes pour l'égalité sociale, des races (ou entités vues comme telles par les forces de domination), des genres (aboutissant au féminisme islamique), des orientations sexuelles (et la lutte contre l'homophobie)… Elle donne ainsi une dimension spirituelle et intégrée aux luttes contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion.

Breton indigné et musulman critique ?

Le Coran soutient que la diversité linguistique est une richesse pour l'humanité, alors que la plupart des autres options convictionnelles ne voient dans cette diversité qu'obstacle à la communication humaine (voir le mythe biblique de la Tour de Babel) et au progrès (voir, entre autres, les divagations mal documentées de Jean-Luc Mélenchon ou Michel Onfray). L'islam pourrait-il être une réponse au problème de l'exclusion des langues minoritaires ? L'islam peut-être, mais pas n'importe quel islam. Jean-Marie Seiget replace dans ce contexte de réforme de l'islam les luttes pour les langues minoritaires.

L'islam peut effectivement être une réponse, non pas de soumission (comme c'est souvent affirmé à tort), mais une réponse d'appel à la lutte pour la dignité. Une lutte pour toutes les langues et cultures menacées dans le monde, et bien évidemment pour les langues de France, dont le breton et le gallo, lutte qui présente depuis plusieurs décennies une dynamique impressionnante et clairement progressiste (écoles Diwan, presse en breton…). Cette lutte s'intègre parfaitement dans la logique de la « théologie islamique de la libération » en ayant d'ailleurs toutes les justifications coraniques propres à cette démarche.

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Dans ce contexte, il apparaît alors tout à fait naturel et cohérent d'aspirer à être, comme Jean-Marie Seiget, « breton indigné et musulman critique ». Libre à chacun de remplacer dans cette expression le terme « breton » par celui d' « occitan », de « basque » ou de « mapuche »….

Sur la couverture du livre une question quelque peu dubitative est posée en breton à une jeune femme particulièrement enthousiasmée par sa lecture du Coran :

« Sur out ? Gant ar C'horan e vo savetaet ar brezhoneg hag ar gallaoueg ? »

(en gallo : « Tu n'n és-ti seùre ? Mézei o le Corân, le berzonet e le gallo vont s'erchomë ? »)

(en français : « Tu es sûre ? Avec le Coran, le breton et le gallo vont être sauvés ? »).

La réponse est évidemment : « Non, mais le Coran va donner une dimension spirituelle et intégrée aux luttes pour ces langues. En revanche, pour les sauver, il va falloir lutter. Ça aussi c'est dans le Coran »

E doare pe zoare, bec'h dezhi !

Jean-Marie Seiget a été professeur de l'université de Nantes. Il est locuteur du breton et du gallo et milite pour les langues
de Bretagne depuis près de 50 ans. Il est par ailleurs musulman depuis plusieurs décennies. Il vit dans le Pays de Retz en Sud-Bretagne, en Loire-atlantique, département arbitrairement nié dans sa bretonnité, en opposition frontale avec l'opinion majoritaire des populations concernées. Jean-Marie Seiget est un surnom, le nom de l'arrière grand-père de l'auteur qui a eu un rôle déterminant dans la formation de son identité bretonne.

Le titre de cet article est un clin-d’œil à 2 ouvrages porteurs de revendications résolument progressistes : celui de Morvan Lebesque « Comment peut-on être breton ? » (1970), fondateur de la nouvelle revendication bretonne et celui de Mohammad Iqbal « La reconstruction de la pensée religieuse de l'islam » (1934), initiateur de la réflexion qui a conduit à ce qu'on pourrait appeler la « théologie islamique de la libération ».

Titre du livre "Comment peut-on être breton et musulman. Humanisme, diversité et libération en islam"
 

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