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Chrétiens, musulmans : vivre sa foi entreprise ?

Il y a eu les événements du 11 septembre 2001, les élections en France qui semblaient signifier un racisme grandissant, il y a eu aussi la volonté de comprendre ce qui s’était passé, et d’échanger, le souhait d’approfondir le dialogue islamo-chrétien, la volonté d’avancer…autant d’éléments qui nous ont donné envie de nous rencontrer et de fonder une entité de réflexion entre cadres chrétiens et musulmans : le Forum des Cadres Chrétiens et Musulmans.

Un dialogue déjà existant entre le frère d’un moine de « Tibérine » et un Imam d’une mosquée de la région parisienne nous a séduit…alors que de nombreux événements semblaient vouloir confirmer que tout les éloignait. Ils nous ont donné l’élan de se connaître et de comprendre. Ces deux personnalités font partie intégrante de notre groupe de réflexion constitué pour une part du MCC (Mouvement Chrétien des Cadres) et pour une autre part de l’Association France Plurielle (mouvement rassemblant des cadres musulmans notamment).

Animés par le désir de vivre sa foi aussi dans son environnement professionnel, désireux de mieux se connaître et de s’ouvrir à l’autre, nous avons souhaité dépasser les a priori et les attitudes de rejet, les conclusions trop hâtives d’incompatibilité et apprendre à se comprendre pour avancer ensemble, et plus particulièrement au sein de notre milieu professionnel.

Après un an de rencontres, il nous a paru intéressant de livrer nos premières réflexions notamment sur la place de nos valeurs et de nos convictions au sein de notre milieu professionnel : nous nous proposons dans un premier temps de parler de notre vision du comportement en entreprise pour un cadre chrétien ou musulman et ensuite d’exposer la manière dont nous vivons nos pratiques religieuses en entreprise.

I – QUEL COMPORTEMENT EN ENTREPRISE POUR UN CADRE CHRETIEN OU MUSULMAN ?

En franchissant la porte de notre bureau, nous sommes immergés dans un monde où les maître-mots sont : résultat, atteinte des objectifs, rentabilité, profits, performances…etc.

Faut-il pour autant que, chrétien ou musulman, nous abandonnions sur le perron de l’entreprise les valeurs qui nous animent : solidarité, intégrité, objectivité, sincérité, pardon, transparence… ?

1- Ethique dans l’entreprise :

L’un des points clés sur lesquels nous nous sommes tous retrouvés c’est que, comme croyants, nous aspirons à une cohérence entre une “éthique” et notre foi, et à témoigner de nos valeurs à tout moment et en tout lieu … y compris en entreprise.

Dans une société qui relativise l’héritage et les valeurs religieuses, qui peut les porter mieux que ceux qui y croient ? Chaque jour, nous sommes confrontés à des situations qui nous appellent à concrétiser notre foi. Il nous paraît important de vivre notre foi aussi dans les actes.

2- Convergence dans les objectifs :

Cadres croyants, nous pouvons tout à fait vivre en symbiose avec nos valeurs et celles de nos entreprises, dans la mesure où celles-ci ne sont pas forcément antagonistes !

Par exemple, la notion de “solidarité” nous apparaît comme l’essence du “travail en équipe” où chacun apporte sa contribution pour faire gagner la collectivité. La solidarité comporte aussi une dimension d’entraide et de collaboration constructive pour l’atteinte des objectifs.

De même, le “pardon” joue pleinement dans la reconnaissance par le collaborateur du droit à l’erreur. En effet, toute prise d’initiative comporte des risques, y compris celui de se tromper. Le droit à l’erreur ne justifie bien sûr pas tout, et ne peut être invoqué dans les situations où la compétence d’un collaborateur est réellement en cause ou bien dans les situations d’inadéquation au poste occupé.

Par ailleurs, la notion de “concurrence” au sein de l’entreprise est souvent à l’origine de comportements agressifs. Cette concurrence dégénère parfois en “coups bas” !

Mais pour un chrétien ou un musulman, la fin ne justifie pas les moyens !

La concurrence, la volonté de progression ou l’ambition personnelle sont légitimes. Mais il nous semble qu’elles doivent être régulées par le mérite, basées sur la compétence et soumises à des principes de justice et d’équité, vers lesquels nous souhaitons tendre aussi au sein de notre milieu professionnel.

De même, il nous paraît important d’attirer l’attention sur la “dimension humaine” de notre collaborateur dans l’entreprise ! Ce dernier est attentif à la “sanction” en cas d’échec. Il est aussi très sensible à la “récompense” en cas de succès : nous devrions savoir dire “merci” quand l’objectif fixé a été atteint !

De la même manière, nous nous efforçons de faire la différence entre l’”autorité” légitime et “autoritarisme” parfois abusif dans nos actes de management : le manager chrétien ou musulman se retrouve pleinement dans cet équilibre à tenir vis à vis de ses propres collaborateurs.

3- Vigilance vis à vis des dérives :

Parmi ces dérives figure le profit à n’importe quel prix !

Faut-il dans ce cas suivre les directives d’un patron sans scrupules pour la promotion d’un produit obsolète ?

Faut-il se laisser aller au “mensonge par omission” pour ne pas tout dire sur un produit ou un service ?

Faut-il céder au “mensonge” tout simplement quand d’autres collaborateurs ne se privent pas de le pratiquer ?

Les valeurs de transparence, d’honnêteté et d’intégrité l’interdisent.

En tant que cadres chrétiens ou musulmans nous souhaitons êtres fidèles à nos valeurs !

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Ceci porte un nom au sein de l’entreprise : c’est l’exemplarité ! … l’exemplarité dans les convictions et dans l’action. Cette démarche s’accompagne aussi de l’humilité de reconnaître que l’on a mal agi parfois et de définir des axes de progrès.

II – Comment vivons – nous nos pratiques religieuses dans l’entreprise ?

Nos religions respectives se traduisent par des rituels et des pratiques qui se heurtent souvent à la neutralité de l’entreprise. Nous avons identifié trois cas qui se posent à nous et impliquent de notre part un choix de dire, faire et souvent expliquer :

  • le jeûne du Ramadan et le Carême

  • le voile

  • l’expression explicite de notre foi

Le jeûne du Ramadan et le Carême

Le Ramadan, au delà de ses aspects spirituels, se traduit en pratique par un jeûne total du lever au coucher du soleil. Dans l’entreprise, les rituels du café, du repas pris en commun deviennent, par l’absence du cadre musulman, les moments d’expression concrète de la pratique religieuse. Le cadre musulman, s’il veut être fidèle à sa religion ne peut se soustraire à cette pratique. Elle apparaît d’ailleurs être bien vécue par les cadres musulmans et est une occasion où l’identité de musulman s’affiche.

A l’inverse, le Carême s’accompagnant uniquement de privation et de jeûne partiel permet de ne pas manifester systématiquement une pratique religieuse pourtant réelle : cela relève du choix personnel de l’individu de parler des privations qu’il observe ou non. Il est de ce fait plus facile à vivre en milieu professionnel.

Le voile

Le voile, dont le port est une obligation pour une musulmane est toujours considéré comme un signe ostentatoire dans l’entreprise, il constitue même souvent une « barrière » à l’accès à l’emploi et son acception en milieu professionnel est l’objet de nombreux échanges au sein de notre groupe. Ensemble nous avons évoqué la signification profonde du port du voile pour une femme musulmane, et le fait qu’il n’est pas un signe de provocation.

L’expression de notre foi

Le témoignage explicite de notre foi est au cœur de notre interrogation commune. Doit-on montrer sa foi au grand jour par le port d’une croix par exemple ? Dire que l’on est croyant n’est-il pas un début de prosélytisme et une violation de notre obligation de neutralité envers notre entreprise. Pouvons nous laisser courir des convictions ou opinions erronées que l’on peut entendre chez nos collègues dire, à propos de nos religions respectives ?

Les conclusions de nos rencontres montrent que les cadres musulmans affichent et expriment plus facilement leur religion que les cadres chrétiens en entreprise.

La dimension d’amour et d’écoute dans nos deux religions s’est imposée à nous rapidement et nous a donné l’envie de nous écouter et de témoigner ensemble. La meilleure connaissance des uns et des autres nous donne l’élan de crier que tout nous est donné pour nous apprécier, nous respecter et avancer ensemble.

Les préjugés existant de part et d’autre peuvent être dépassés pour la plupart et les différences peuvent être mieux appréhendées : nous voudrions en finir avec l’amalgame entre terrorisme islamiste et musulmans. Le « Jihad » trop souvent considéré comme une guerre déclarée contre les autres religions alors qu’il est défini dans le Coran avant tout comme une guerre sur soi, pour lutter contre ses propres faiblesses. L’Islam ne semble pas si contraignant…

Jésus christ : il est difficile de le diviniser pour les musulmans. …Autant de sujets que nous évoquons et qui nous permettent de mieux comprendre et accepter les différences entre nos deux religions.

Nous comprenons ensemble que l’objectif n’est pas de convaincre l’autre que sa religion est mieux ou, que l’un a raison sur tel point, mais que nos religions sont différentes, toutes deux tournées vers l’amour et le respect de son prochain, et qu’il s’agit de comprendre et connaître leurs différences fondamentales. Elles sont avant tout source d’enrichissement pour chacun.

La tolérance guide nos réunions et nous permet de créer au sein du groupe une écoute sans jugements permettant de dépasser certains préjugés : c’est signe qu’un dialogue en vérité peut s’instaurer et cela renforce notre conviction qu’un tel travail et chemin en commun sont sources d’enrichissement.

Ces rencontres nous donnent de l’élan parce que nous découvrons comment l’on peut construire ensemble dans un monde où la croyance religieuse est suspecte et n’est pas toujours entendue. Nous voudrions que notre démarche soit une sorte d’échantillon qui montre que l’on peut construire un monde humain et fraternel, spécifiquement au sein de nos milieux professionnels.

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