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Cheïkh Mouloud Ben Houssaïne Chou΄aïbi

Fasciné par les grands repères de mon pays et d’ailleurs, mon intérêt se décuple toujours quand il s’agit de géants qui risquent de plonger, sans la moindre chance de refaire surface, dans les abysses de l’oubli surtout si ce dernier est entretenu par diverses motivations. J’ai déjà évoqué Ahmed Al-Makarri Tilimçani, le Chahid Si-Kacem un des cerveaux du 1er Novembre 1954 assassiné le 6 du même mois, le Chahid Adda Boudjelal, le légendaire Khalifat Mohamed Ben Allal de Koléa (dit Sidi Embarek) ainsi que d’autres. Aujourd’hui je me  propose de tenter de dépoussiérer le souvenir de l’un des plus grands Oulama d’Algérie : Le Cheïkh Chou’aïbi. Je me dois de préciser que le présent article était bouclé définitivement au soir du jeudi 19 septembre 2013. Il me restait juste de recevoir les photos de l’école de ce grand Maître et de sa tombe pour lancer sa publication. Une semaine d’attende tirait à sa fin mais rien ne me parvenait. Après plusieurs lectures du texte, un goût d’inachevé planait. Je compris que mon message ne passerait que si j’y ajoutais  les impressions que me laisserait la visite des lieux qui ont cet inconvénient d’être très peu précisés dans la documentation à ma disposition. Une question me tourmentait : si je retrouve le lieu, ce qui n’était pas évident, l’école existe-elle pour autant ainsi que la tombe du Cheïkh qui est mort depuis 9I ans ? Trop d’éléments non maîtrisés militaient en faveur de cette crainte de me retrouver face au néant.  Je pris ma décision : aujourd’hui j’ai pris la  route de Ténès   pour essayer de retrouver quelque vestige ou des personnes qui peuvent m’apporter quelque éclairage. J’avais un avantage : ce que je recherche dépend beaucoup plus d’un citoyen Lambda que d’une quelconque administration et, sur cet aspect précis, le résultat fut au-dessus de mes espérances. La visite fut pleine d’une intense émotion.  Ce que je vis me commandait, toutes affaires cessantes, de reconsidérer mon texte que je livre ici aux aimables lecteurs. Je ne m’attendais nullement à retrouver cette école de manière presque enfantine et ce grâce à quatre personnes dont le dévouement était tel que j’en fus gêné. Le spectacle du site me donnait l’impression que le temps avait depuis longtemps figé son cours là.

Un premier constat.

Dans un pays qui compte une  université dans chacune de ses quarante-huit Wilayate et l’on annonce même que certaines Daïrate en seront pourvues, ce travail devrait être accompli,  avec plus de chance de réussite,  par un chercheur aux dents longues, qui aurait l’avantage sur moi d’accéder à d’éventuelles archives si tant est qu’elles existassent et émarger au budget alloué pour la recherche. Force est de reconnaître que chez nous les Universités sont réalisées pour leurs infrastructures qui remplissent les espaces et pour un besoin de statistiques pour la consommation populaire et rien d’autre ! Mais l’homme auquel je m’intéresse aujourd’hui n’a pas laissé de traces écrites à l’exception de quelques « ijazates » (reconnaissances d’aptitude à l’enseignement) décernées à des étudiants qui l’ont sollicité et qu’il a pris soin de mettre à l’épreuve comme la coutume l’exigeait et quelques annotations en marge d’un certain nombre de livres selon ce que rapporte notre source. De plus il est né, a grandi, étudié (dans une première phase) et enseigné exclusivement, en milieu rural extrêmement enclavé mais desservi aujourd’hui par des routes modernes. Penser à la situation de ceux qui se trouvaient là il y a plus de quatre-vingt-dix ans à la disparition du Cheïkh, c’est mesurer toutes les terribles difficultés auxquelles ils étaient confrontés et continuent sûrement de le faire. S’il n’a pas écrit, c’est parce que, à travers l’Histoire, les hommes de science ont été divisés entre ceux qui écrivaient et ceux qui privilégiaient l’enseignement estimant que, par leur grand savoir, leurs prédécesseurs avaient « tout » dit.

L’idée d’écrire ce que je sais sur lui remonte à environ  deux  années. Je m’en suis ouvert à l’un de mes cousins, très versé sur le patrimoine national. Il m’avait mis au courant que l’actuel Ministre des Affaires Religieuses, Monsieur Ghoulamallah, dont le père aurait été élève du Cheïkh Chou’aïbi, aurait écrit un livre sur notre auteur sur la base de ce que lui en avait narré son père. Après de longues recherches, nous n’avons pu obtenir ni confirmation ni  infirmation de l’existence de ce livre. N’ayant aucun moyen d’accéder au Ministre, je me suis décidé de regrouper ce que je sais. Or, lors de ma visite de ce jour, j’apprends que le Ministre s’était rendu à cette école dont le responsable, Cheïkh Abdelkader Ben Saadia dont le grand – père paternel était le neveu du Cheïkh Chou’aïbi, s’était inspiré exactement des mêmes sources (que celles qui m’ont servi)  pour parler Au Ministre dont le père n’a jamais étudié auprès de son prestigieux aïeul et les raisons d’éviter Cheïkh Chou’aïbi étaient connues : rester loin des confréries maraboutiques même si, comme les grands de l’Islam, il devait sûrement être imprégné du soufisme d’Abi Hamid El Ghazzali ou El Jounaïd Etta’i entre autres.

De gauche à droite : Cheïkh Aïssa Messaoudi Imam à Aïn Mériane (Ex-Rabelais) ,  Cheïkh Abdelkader Ben Saadia, descendant de Cheïkh Chou’aïbi  et Monsieur Tahri Miloud sans qui je n’aurais rien  pu faire.

Mes sources.

La principale source que j’ai utilisée – parce que je n’en connais pas d’autres et ne suis pas certain qu’elles existent  –  est ce qui est rapporté par  mon grand-oncle paternel, le Fqih Si Tayeb El-M’haji, un des membres fondateurs de l’Association des Oulama Algériens, dans son autobiographie  intitulée :   « الذخائر وأطيب المآثر في أهم ما اتُفِقَ لي في الماضي والحاضرأنفس» (Les précieux bienfaits et les mémorables souvenirs de ce que j’ai vécu d’important au passé et au présent), 1èr
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édition,  Société Algérienne d’Edition et de Papeterie, Oran, 1966,  où il consacre une poignée de pages à ce grand Alem. J’ai jugé nécessaire d’apporter quelques précisions sur certains de ses maîtres en donnant en plus des éclairages succincts sur les matières qu’ils lui ont enseignées et tenu compte d’anecdotes rapportées par le Fqih Si Tayeb.

Qui fut ce Cheïkh ?

Dans la « ijaza » qu’il établit au Fqih Si Tayeb El-M’Haji (ajoutée en annexe),  il se présente  comme étant : Mouloud ben Ali ben Mouloud, ben Mohamed, ben Al-Houssaïne ben Maamar ben El Biskri, ben Abi-Choaïb, ascendant de la septième génération de Chou’aïbi, enterré dans ce qui s’apparente à un mausolée situé à quelque cent mètres en contrebas de l’école de notre auteur. Par ailleurs, aucune source – pour le moment du moins – ne situe exactement sa date de naissance.

         

Mausolée de Abi Choaïb (XVIIIème siècle).

                                                                                                 

Fqih Tayeb El M’haji.

Espérons que nos jeunes loups auront plus de chance pour circonscrire ces éléments. Toujours est-il qu’il est né, ainsi que ses quatre frères dont l’un, Maamar ne laissera pas de descendance,  à Sbih  qui se trouve être une vaste région englobant douars et hameaux qui, selon toute vraisemblance, tirerait son nom de celui des tribus dites Sbih, qui s’étendaient de part et d’autre de l’Oued Chlef. Le lieu où il vit le monde s’appelle aujourd’hui « parcelle de Chaïb ». C’est donc à quelque 30 km de Ténès, 13 de Mazouna et 13 de Boukadir qu’il a acquis tout l’enseignement qui y était dispensé. Après quoi, il se dirigea vers la Zeïtouna où les élèves de sa trempe ne dépassaient guère trois années d’études au lieu des cinq programmées pour des élèves normaux. Il quitta la Tunisie au cours d’une année de grande famine pour Al Azhar, au Caire. Cela se passait en 1867. Si l’on estime qu’un étudiant extrêmement doué comme lui dépasse rarement l’âge de vingt / vingt-deux ans pour sortir de la Zeïtouna, on peut avancer, sous toute réserve, qu’il serait né aux environs de 1847 (à plus ou moins trois à cinq années). Le responsable de l’école soutient qu’il a toujours entendu dire qu’il s’était éteint à quatre-vingts ans ce qui peut corroborer, à quelques petites différences, ce que nous avons avancé ci-avant.

Comment le Fqih Si Tayeb a connu Cheïkh Chou’aïbi.

Notre Fqih avait déjà terminé tout ce qu’il pouvait apprendre dans son douar natal : El-Gaada, à quarante kilomètres au Sud – ouest d’Oran, qu’il quitta en 1906 une année après s’être consacré à l’enseignement. Il apprit que le Cheïkh Mohamed  Belguendouz qui enseignera durant 14 années à El Gaada, originaire de Sbih et n’ayant connu comme seul Maître que le Cheïkh Chou΄aïbi, s’était installé à Sig pour y enseigner. Il décida d’aller le solliciter pour réviser avec lui tout ce qu’il avait appris. Il demeura chez lui une année durant laquelle il repassa en revue l’essentiel du « Résumé » de Sidi Khalil (mort 13 Rabi’e I 776 / mardi 22 août 1374), la « Ajroumia » résumé sur la grammaire écrit par Mohamed Ben Daoud le Sanhaji Ajroum (672-723/1274-1323) résumé connu dans l’ensemble du monde musulman et enseigné à nos jours, « Les gouttelettes de rosée »   قطر الندى d’Ibn Hicham Al Ansari (708-761/1309-1369), « La Alfia » de Mohamed Ibn Malik (Jaén- Andalousie : 600 – Damas 672/1203-1273) qui englobe toute la grammaire arabe en1 002 vers, « la lamia » des verbes composée par le même Mohamed Ibn  Malik en 114 vers dont la rime se termine par la lettre « l » et le « livre d’Isagoge »  en logique d’Al-Athir  Eddine al- Abhari (mort en 663 / 1264) et sur lequel nous reviendrons à la fin de la présente étude. Selon toute vraisemblance, cette année se situerait au cours du deuxième lustre du XX ème siècle. Si Abdelkader Ben Saadia nous a déclaré que le Fqih et ses camarades du Sig (avec eux le grand Cheïkh Bouchentouf d’El Gaada) sont arrivés à Sbih en 1907. Après les avoir testés, Cheïkh Chou’aïbi demanda à trois d’entre eux – dont Si Tayeb et Si Bouchentouf de ne pas rester chez lui puisqu’ils avaient toutes les aptitudes nécessaires. Devant leur insistance, il céda.

Au cours de cette année  passée auprès du Cheïkh Belguendouz, Si Tayeb El-M’Haji fut captivé par ce que ce maître racontait sur le sien (Cheïkh Chou’aïbi). Convaincu qu’il s’agissait d’une perle rare, il décida d’aller connaître cette sommité de plus près et pourquoi pas ? En obtenir une ijaza. Accompagné par des camarades, il fit le voyage de Sig à Sbih à pied. Dans son autobiographie il dit de lui : « Maître des Maîtres et Maître des critiques avertis, il portait l’étendard de  la suprématie scientifique en territoire algérien. » Le décor était planté par cette reconnaissance en une seule phrase (qui, dans sa version arabe est composée de dix mots et d’une conjonction de coordination) que des volumes entiers ne parviendraient peut-être pas à restituer si la vie et la pensée  de cet homme n’avaient, dans une grande proportion, sombré dans l’oubli. Les hommes de cette stature n’avaient qu’un défaut : ils ne savaient pas caresser dans le sens du poil aussi, tout témoignage émanant d’eux était considéré, avant tout, un témoignage en Dieu. Ils n’en ont jamais exprimé hors de cet esprit.

La formation du Cheïkh Chou’aïbi.

Nous l’avons déjà abordée  succinctement et avons  noté qu’il reçut sa formatio
n initiale à Sbih d’où il partit pour la Zeïtouna première étape avant d’échouer aux bords du Nil, à Al-Azhar. La précision des noms des maîtres qu’il a eus au cours de ce périple et les matières étudiées auprès d’eux peut faire émerger  des  questionnements chez d’éventuels sceptiques pour un érudit dont je viens de dire qu’il n’avait pratiquement pas écrit. La raison en est fort simple : lorsqu’il retourna à son école à Sbih, un de ses élèves lui demanda de lui citer les noms des Maîtres qu’il a connus et ce qu’il en  a reçu en Tunisie et en Egypte. Sous la dictée du Cheïkh, l’élève consigna sa réponse et, la montrant au Fqih Si Tayeb au cours de son séjour, celui-ci lui demanda de la lui recopier. C’est ce qu’il fit de sa main au dos de la ijaza que Cheïkh Chou’aïbi délivra à Si Tayeb (Voir annexe).

En Tunisie, ce grand Maître eut comme professeur  Cheïkh Mohamed Tahar Ben Achour, auteur d’un commentaire sur le poème mystique d’Al-Bourda, écrit par le Maghrébin Al-Boussaïri (1213 – 1295). Quelques années plus tard son petit-fils, portant le même nom que lui, recevra un autre prestigieux algérien comme élève  qui a développé l’enseignement et la prise de conscience d’un grand nombre de ses compatriotes et à un très haut niveau : Abdelhamid Ben Badis (Constantine le 5/12/1889 – ibidem le 16/4/1940). Ce petit-fils de Ben Achour (Tunis, septembre 1879 – La Marsa, le 12 août 1973),  fut moderniste et recteur de la Zeïtouna. C’est lui qui signera le diplôme d’Al-Ahlya, entre autres, à bon nombre d’algériens, parmi eux le Chahid Si Kacem fils du Fqih Si Tayeb. Il est dûment établi que cette famille est d’ascendance idrisside qui, après avoir fui l’Andalousie pour le Maroc, a fini par émigrer de Figuig en Algérie en passant par ce qui fut l’incontournable métropole culturelle du Sud- ouest algérien (1) : Boussemghoun, passage obligé pour les flux migratoires, qui fera que  Ben Achour, le deuxième du nom, qui écrivait abondamment dans la revue Al-Manar (qui a édité du vendredi 29/03/ 1951 au vendredi 01/01/1954 quelque soixante numéros avec des plumes, et non des moindres, des trois pays du Maghreb et même d’Egypte). Le siège de cette revue se trouvait au n°28 de la rue de Mulhouse à Alger. Ben Achour ajoutait toujours après son nom : « Essemghouni » ou signait par ce seul qualificatif. Cheïkh Chou’aïbi poursuivit ensuite ses études auprès des Chouyoukh Tahar En-Naïfar de Sfax, Al-Baroudi Al-Hanafi, Hassouna Abbès Al-Hanafi, Al-Maghribi Es-Salhi et Al-Bachir Ez-Zouaoui, correcteur de l’Imprimerie Tunisienne. Tous ces Chouyoukh ont été élèves de Mohamed Tahar Ben Achour Premier du nom.

Comme signalé plus haut il arriva au Caire en 1284/1867. En cette année-là un élève entamait sa deuxième année d’études dans cette Université pour les terminer dix années après et qui sera l’un des fondateurs du mouvement En-Nahdha : c’était le Cheïkh Mohamed Abdouh (1849-1905). C’est au cours de la dernière année de sa vie que Mohamed Abdouh visita l’Algérie pour y rencontrer les précurseurs d’El-Islah.  Le premier Maître de notre Alem ne fut autre que le Grand Cheïkh Mohamed Alliche (1802 – 1882) celui-là même qui rédigea une Fetwa à l’Emir Abd-El-Kader lui « indiquant » l’attitude à prendre vis-à-vis du Sultan du Maroc Moulay Abderrahmane et l’encourageant à le combattre. Cette Fetwa faisait suite à une longue lettre dans laquelle l’Emir, consulta avec précision les oulémas d’Egypte sur l’attitude à observer vis-à-vis du Sultan qui, en dépit de ses propres difficultés, avait livré des milliers de bovins à l’ennemi, intercepté et saisi 1500 fusils anglais, 400 tenues et interdit à ses sujets d’accorder toute aide à l’Emir auquel il a ordonné d’abandonner le combat etc.…

La réponse lui parvint donc de Cheikh Alliche, alors Muphti malékite d’Al Azhar, commentateur du « Résumé »  « Mokhtassar » de Sidi Khalil dans un monumental ouvrage ayant pour titre : منح الجليل شرح مختصر خليل Signalons que les grands parents paternels de Cheikh Alliche étaient originaires de Alalcha, une tribu de la région de… Fès !Son père vit le jour en Lybie et sa mère en Egypte. Le grand Muphti fut surpris par les agissements du Sultan et il confirme une à une les positions de l’Emir et les sources qu’il a citées dans sa propre lettre jusqu’à ce qu’il dise :

  وَ الْمَقْـــتُولُ مٍنْكُمْ فٍي قٍتَاِلهِ كَالْمَقْتُولِ فِي قِتَاٍل الْكُفَارِ، لَيْسَ بَيْنَهُ وَ بَيْنَ الْجَنَّةِ إِلَّا طُلُوعُ الرُّوحِ فَصَـمِّمُوا عَـلَى قِــتَالِــــهِ وَ أعِدُّوا لَهُمْ مَا اسْتَطَعْتُمْ مِنْ قُوَّةٍ، نَصَرَكُمُ اللهُ تَعَالَى عَلَيْهِ وَ عَلَى أعْدَاءِ الدَّينِ وَ بَارَكَ فِيكُمْ وَ فِي كُلِّ مَنْ أعَانَكُمْ مِنَ الْمُسْلِمِينَ وَ خَذَلَ كُلَّ مَنْ عَادَاكُمْ وَ جَعَلَ كَيْدَهُ فِي نَحْرِهِ.                                                                        

   « En le combattant, toute victime parmi vous est assurée du même mérite que celle qui périt dans le combat des Infidèles. Ne la séparera alors du Paradis que l’ascension de l’âme. Résolvez-vous à le combattre et opposez-lui toute énergie dont vous serez capable. Dieu vous fera triompher de lui et des ennemis de l’Islam. Puisse-t-Il vous bénir ainsi que ceux qui vous soutiennent d’entre les Musulmans et puisse-t-Il faire échec à quiconque vous sera agressif et causer sa perte par ses propres pièges. (2).

 Et le hasard voudra que ce soit son fils, Abderrahmane, qui accomplit la toilette mortuaire de l’Emir. Tous les Maîtres que Cheïkh Chou’aïbi aura au Caire ont tous écrit et toutes leurs œuvres font référence jusqu’à nos jours. Des nombreux titres – plus de quinze – que Cheïkh Alliche a légués à la postérité, je ne me suis limité à ne signaler que le monumental commentaire du « Résum&eacu
te; » « El Moukhtassar » de Sidi Khalil sur le Fiqh Malékite. Signalons enfin que Cheïkh Alliche mourut en prison en 1882 lors de la révolte du Ministre de la guerre ‘Arabi Pacha (1839-1911) qui, appuyé par l’armée et cautionné par les Oulémas, se dressa contre la présence des Anglais qui finirent par le défaire et l’arrêtèrent en septembre1882. Accusé de l’avoir soutenu, Cheïkh Alliche fut arrêté à son domicile et  transporté, malade, à l’infirmerie de la prison où il décéda. Les autorités refusèrent de remettre sa dépouille à sa famille et ses enfants furent exilés : il fut enterré près de ‘Abdellah  Al Manoufi (686 –Ramadhan 749 / 1287-décembre 1348) de parents marocains.  Il est établi que son fils Abderrahmane a été enterré près de lui dans un cimetière réservé principalement aux Malékites et où sont également enterrés le Sultan Mamelouk Kaytbay (1416 -1496) qui gouverna avec panache durant vingt-huit ans, son épouse ainsi que le philosophe Abd El Wahid Yahya (15/11/1886  – 7/01/1951), philosophe français originaire de Blois, converti à l’Islam sous l’autorité de Abderrahmane Alliche, et mondialement connu sous le nom de René Guenon qui nous a légué plus de vingt ouvrages.

« Cheïkh Alliche  fut comparé à son contemporain marocain Cheikh Kannoun le tangérois ainsi qu’à l’Imam  Mohamed Choukani le Yéménite de Sanaa (1173-1255/1759-1834) et le célèbre Irakien Chihab Eddine Al Aloussi (1217-1270/1803-1854) ».

Auprès de lui, notre Alem étudia « Oum El Barahine »,  (du grand théologien tlemcénien Es-Sanoussi (732/1428- 795/1490) œuvre connue dans tout le monde musulman et  venue à point nommé le secouer de sa profonde léthargie. Puis il étudia, toujours avec le même Maître, « La Samarcandia » en rhétorique d’Abou El Kacem Al-Laïthi mort en 888/1483. Il passa ensuite chez Ahmed Er-Refa’i  connu pour avoir rédigé une gnose (hachia)  sur le commentaire qu’avait publié le yéménite Bahrek (869 – 930 / 1465 – 1524)  sur « La Lamia » des verbes citée ci-dessus et acquit auprès de lui « Mokhtassar Sâad » dans les sciences de la langue, Sâad étant le diminutif de Sâad Eddine Taftazani du XVème siècle qui a vécu à la même époque qu’Ibn Khaldoun qui en parle dans son Histoire sans l’avoir jamais rencontré. Nos pères directs connaissaient tous ce Mokhtassar de Sâad. Après quoi il étudia le Sahih de Boukhari  et l’exégèse du Coran auprès du Cheïkh Omar le Constantinois pour se retrouver entre les mains du Cadi d’Alexandrie le Cheïkh Abdelouahab avec lequel il étudia « Er-Rahbiyya » qui traite des droits successoraux puis entre celles  du Cheïkh Es-Saoui et du Cheïkh Ismaïl, auteur d’une gnose sur le commentaire d’El-Kafraoui sur «Al-Ajroumia »  et enfin le Cheïkh Al-Ajhouri (1237-1293/1822-1876), auteur  d’annotations sur la gnose d’Al-Baïjouri sur «La Substance » écrite par Al-Lakkani (mort en 1047 / 1632) sur l’Unicité.

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L’apport de Cheïkh Chou’aïbi.

Salle de cours.

De retour à Sbih, il se consacrera exclusivement à l’enseignement tout en s’occupant des nécessiteux et prodiguant conseils et réconfort. Il rédigeait divers contrats dont ceux de mariage ce qui l’amènera à passer trois mois en prison suite à une dénonciation par un Cadi à la solde de l’Administration coloniale qui, à la libération du Cheïkh fut atteint « de maladies chroniques » et incommodantes qui lui donnèrent l’aspect d’un authentique pestiféré au point où ses proches le désertaient. Très vite le lien fut établi entre ce qui lui arrivait et sa dénonciation du Cheïkh.

Au cours des dernières années de sa vie, notre Cheïkh prit pour habitude de passer tous les mois de Ramadhan à Blida. Il assura des cours dans diverses disciplines qu’il dispensait de jour et spécialement l’exégèse du Coran qu’il entamait après la prière des Tarawih. Ses interventions se faisaient toujours dans le calme, la sérénité et le respect de tous les intervenants ou interlocuteurs. Parmi les sommités de Blida figurait le Cheïkh Abdelkader Ben Jelloul de Ghriss, spécialiste de la « Alfia » qui avait troqué définitivement les plaines de Mascara pour  la ville des roses. Un jour, ce Cheïkh  fit une remarque sur l’aspect grammatical d’une expression figurant dans la «Samarcandia ». Cheïkh Chou’aïbi lui fit une démonstration ahurissante par sa simplicité lui faisant admettre qu’il était dans l’erreur. Un autre jour, on annonça la venue d’un éminent professeur, Cheïkh Abdelhalim, de l’Ecole Thâalibiyya d’Alger qui rendait très souvent  visite à Blida. Les Blidéens, assez habitués à lui, n’en demandaient pas tant. Le professeur aborda un thème très pointu en Fiqh (Quand la matière, objet de souillure évoluant par une autre matière souillée, se purifie) – traduction à prendre avec précaution –  et, une fois l’intervention terminée, il demanda aux membres de l’assistance de poser leurs questions. Cheïkh Chou’aïbi émit une objection et le face-à-face allait devenir captivant. Se rendant à l’évidence, le Professeur Abdelhalim s’adressa à l’assistance lui disant : « Ô Blidéens !  Le rang de votre ville est trop bas pour qu’un tel Alem y prenne la parole. »  Il faut bien saisir que c’est lui-même qui se remettait en cause et ne visait point les Blidéens. Et c’est ainsi qu’au mois de Ramadhan 1340/1922, continuant l’exégèse du Coran, il arriva à la sourate d’El Kehf ce qui, en volume, représente la moitié du Livre Sacré. Il repartit à Sbih où il rendit l’âme le mercredi 8 Dhoul Hijja 1340/2 août 1922 et fut enterré le jour de ‘Arafat dans sa mosquée. Les notables de Blida demandèrent alors à son brillant élève Mohamed Belguendouz de terminer l’exégèse du Coran ce qu’il accepta. Cinq années plus tard, en 1927, il reposera auprès de son maître. Abdelkader, fils de Cheïkh Chou’aïbi, qui prendra les destinées de l’Ecole de son père les rejoindra en 1929. Dans son autobiographie, le
Fqih Si Tayeb El M’haji rappelle, à propos de l’exégèse du Coran qu’un seul cas similaire a été vécu dans le monde musulman. Il s’agit  de l’exégèse  entamée par Jalal Eddine El Mohala (791-864) qui décéda quand il atteignit la moitié du Coran et c’est son élève, Jalal Eddine Es-Sayouti (mort en Rajeb 849/ Septembre 1445) qui termina la seconde moitié faisant que leur exégèse allait porter le nom de « Tefsir Al-Jalalaïne » ou « Exégèse des deux Jalal Eddine. » Six mois et cinq jours après le décès du Cheïkh Chou’aïbi, naissait, à Oran, le futur Chahid Si-Kacem, fils de Si Tayeb El M’haji. Signalons que Cheïkh Chou’aïbi laissa six enfants dont un El-Houssine mourra assassiné par l’armée française en 1957 et dont le corps ne sera jamais retrouvé.

 

Tombes de Chou’aïbi au fond et Belguendouz.

   

Tombes de Belguendouz et celle de Abdelkader fils de Chou’aïbi.

Le livre d’Isagoge متن إيساغوج.

Isagoge est un terme grec signifiant « introduction », sous-entendant «aux catégories (logique) d’Aristote », écrit en 268 à Saïda (Liban)  par le Phénicien Porphyre né vers 223 et mort vers 310, élève de Plotin (Egypte 205 ? – Naples 270). « Porphyre y définit les prédicables : genre, espèce, différence, accident propre et accident commun. » Ces prédicables sont sûrement à l’origine du nom arabe donné à cet ouvrage :  المقولات الخمس. Ce livre connaîtra un rayonnement sur plusieurs siècles. Il fut traduit à l’arabe par Mohamed Ibn Al-Mouqaffaâ, fils de celui qui a légué à l’Humanité le célèbre «Kalila et Dimna » : Abdullah Ibn Al-Mouqaffaâ (106 – 142 / 724 – 756) et qui aurait lui – même composé un « Isagoge ».

Or l’Isagoge qui a fait école chez les Musulmans est celui de Athir Eddine Al-Abhari (mort en 1264) soit presqu’un millénaire après  Porphyre et environ un demi-millénaire après la traduction de Mohamed Ibn Al-Mouqaffaâ de l’œuvre du Phénicien. Ce livre au nombre de feuilles très réduites recèle des notions extrêmement complexes suscitant des interprétations  auxquelles peuvent être liées les raisons qui ont dicté la mise à mort des Ibn Al-Mouqaffaâ, père et fils, celle du père ayant été d’une cruauté telle qu’il serait très indiqué de ne pas en parler.

Ceci m’amène à dire que le livre d’Isagoge a été étudié dans toutes les « écoles » que fréquentaient nos grands-parents directs. Et à ce titre je signale qu’à côté de son autobiographie, le Fqih Si Tayeb El-M’haji nous a légué cinq opuscules dont un sur la logique. J’ai l’intime conviction – et je peux me tromper –  qu’il y fut «  poussé » par sa connaissance parfaite de l’Isagoge d’Ibn Al – Athir Al-Abhari d’une part et, d’autre part, par Abou Hamid Al-Ghazali et notamment son livre « El-Kistas El moustakim » qui s’articule essentiellement par l’outil utilisé dans toute étude de logique : le syllogisme. Nous envisageons de reprendre ce thème que nous n’avons fait qu’effleurer ici en alignant les pensées (sur la logique) abordées ci-dessus avec davantage d’éléments en y adjoignant Aristote, Abou Hamid Al-Ghazali, Ibn Sina et l’Anti- logique (نقص المنطق) écrit par le grand polémiste hanbalite Abdelhalim Ibn Taïmiyya ainsi que son livre «Minhaj Es-Sounna En-Nabaouiyya » .

Nous avons écrit au début de notre introduction que Cheïkh Chou’aïbi était un des grands Oulama d’Algérie. Je laisse le dernier mot au Fqih Si Tayeb qui dit de lui : « Il choisit volontairement d’enseigner en zone rurale où l’ignorance était très importante. S’il avait opté de le faire en milieu citadin, nul doute qu’il aurait été universellement connu. » Il est recommandé de lire dans cette phrase celles qui, bien que sous – entendues n’apparaissent pas moins plus explicites sur ce jugement du Fqih Si Tayeb. Enfin signalons que sa position vis-à-vis des confréries qu’il n’a jamais cachée ou tue le mettait sous surveillance, certes discrète, mais non moins continue. Son grand élève Belguendouz n’a-t-il pas abouti à Sig après avoir claqué la porte de la Zaouïa de Bentekkouk de Mostaganem ? Identité de vues entre Maître et élève ? Tout le laisse croire.

(1): «الـدر الـنثير فيمن اشتهر وصح نسبه من شرفــاء الـــوادغير  » (La perle disséminée de ceux qui se sont rendus célèbres par leurs  appartenances prouvées de Chorafa Ouadaghir) écrit en 1847 par Mohamed Ben Mohamed Ben Hassan El-Makhloufi où un travail d’excellente facture a été accompli, revu par notre ami et spécialiste généalogiste Larbi El- Hilali de Figuig.

(2): Les demandes de Fetwas de l’Emir et les réponses qui lui ont été adressées existent toutes. Celles adressées aux Oulama de Fès (Sidi Mohamed Boudjelal – partageant le même arbre généalogique que Mohamed Tahar Ben Achour – qui fut à l’avant-garde lors de la deuxième libération d’Oran – 1791 – des Espagnols à la tête de son Ribat) fut chargé par l’Emir, le 19 Dhoul Hijja 1252 – 27/3/1837, d’une mission diplomatique auprès du Sultan Moulay Abderrahmane et avoir le point de vue du Faqih Muphti de Fès, Abdesslam Medchiche Tsouli sur un certain nombre de questions inhérentes aux préoccupations de l’Emir et de son entreprise. La demande de l’Emiret les réponses faites par Cheïkh Tsouli ont été récemment publiées. Quant à celles adressées à Al Azhar en 1847, elles peuvent être consultées dans le livre écrit par le fils de l’Emir, Mohamed, livre  publié la première fois en 1905 et réédité en 1964, ayant pour titre تحفة الزائر.

Maîtres tunisiens et égyptiens de Cheïkh Chou’aïbi, document &eacut
e;crit par un de ses élèves.

Ijaza de Cheïkh Chou’aïbi au Fqih Si Tayeb. En Marge, à droite une autre de  Cheïkh Belguendouz.

Remarque :

Quand on lit le manuscrit comportant les noms des Maîtres du Cheïkh Chou’aïbi et ce  qui est rapporté dans notre texte on peut aisément déceler des différences. Ceci tient au fait que nous nous sommes basé sur le contenu de l’autobiographie du Fqih qui souligne qu’il a pris la précaution d’éliminer certaines erreurs dans le document qui lui a été présenté. Nous n’avons donc pas touché au document qui a été repris au dos de l’ijaza de Cheïkh Chouaïbi et sommes très au courant de l’attitude du Fqih dans de  pareilles situations qui foisonnent dans son itinéraire. Quoi qu’il en soit, que tous ceux qui ont permis que le souvenir de ce grand Alem que fut Cheïkh Chou’aïbi perdure puissent émarger à la récompense du Seul Rétributeur. Tout le mérite leur revient. Et ma dernière pensée ira aux quatre personnes qui m’ont reçu aujourd’hui, soutenu et guidé au cours de ma visite éclair à Sbih et qui furent honorées de rencontrer un desendant du Fqih Si Tayeb El M’haji sans qui la mémoire nationale aurait perdu à tout jamais le souvenir de cet inégalable érudit que fut Cheïkh Chou’aïbi. Inutile de dire que cet honneur fut partagé puisque j’ai eu l’immense satisfaction de constater  que le flambeau porté jadis par notre grand Alem est désormais entre de bonnes mains.

Dépensant toute son énergie à enseigner utilement, et sans absolument rien enlever au mérite de certains, je m’autoriserai à conclure qu’il a du être une référence pour les défenseurs de l’Islah. Me tromperai-je si je disais qu’il le fut avant eux, eux qui ont pourtant porté l’enseignement comme il ne le fut jamais chez nous ? Ils ne sont plus là mais ils vivent et vivront toujours dans les cœurs des enfants férus des nobles repères de  notre cher pays qui n’en a jamais manqué.

Sidi-Bel-Abbès, le 21 septembre 2013.

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