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C’est l’ensemble de la classe politique française qui se trompe…

Face à la violence dans les banlieues, on a vu l’autorité politique se questionner, hésiter : que faire face à une amplification de la violence aussi surprenante que dramatique ? Depuis plus de dix jours, les banlieues de la marge viennent déstabiliser le cœur de la République et posent une série de questions qu’il faudra bien regarder en face. On peine, à droite comme à gauche, à appréhender l’ampleur d’un phénomène qui requiert une véritable révolution intellectuelle dans la façon dont les termes du débat sont aujourd’hui posés.

Il ne fait aucun doute que la violence n’est pas la solution et que la dégradation des biens publics, des bus et des voitures doit cesser et devra être sanctionnée. Il ne fait aucun doute non plus qu’un certain nombre de jeunes versent dans le pur vandalisme et la violence sauvage. Le rétablissement de l’ordre est évidemment une priorité et notamment pour les habitants des banlieues qui sont les premières victimes de ces violences. Il reste néanmoins que ces mesures seront insuffisantes et inefficaces si l’on n’entend pas la nature du message que renvoie à la France cette flambée de violence. L’entretien, quasi consensuel entre les partis, d’une politique de l’autruche concernant les banlieues aura à terme des conséquences dévastatrices pour la paix sociale.

En amont du débat sur la fracture sociale, il est urgent d’engager une critique rigoureuse de la façon dont, depuis quinze ans, la classe politique et les intellectuels français abordent les questions de l’unité de la République et de l’intégration. On a assisté à des débats passionnés, et répétitifs jusqu’à l’obsession, sur la laïcité, l’école, la compatibilité de l’islam avec les valeurs républicaines, en passant par la représentation ou la formation des imams. On va d’un sujet à l’autre, quasiment en boucle, comme si tous les problèmes qui fragilisaient l’unité idéalisée de la République trouvaient là leurs résolutions. Non contents de constater l’inefficience de ces joutes, certains politiciens ont découvert un filon propre à relancer sous de nouveaux habits un débat éculé : ils proposent de revoir la loi de 1905, et nous entraînent, de fait, vers les mêmes fausses nouvelles questions.

Les politiciens et les intellectuels français ont cette capacité surprenante d’entretenir pendant des mois des débats assourdissants autour de questions mal posées et/ou, dans les faits, déjà réglées. Il en résulte un climat malsain de confusion générale quant aux traitements des questions de fond. Prendra-t-on enfin acte en France que l’islam est une religion française. Certaines questions religieuses sont certes importantes (et les musulmans doivent s’y pencher) mais entendra-t-on, loin des effets de manche médiatiques, que la question religieuse – quant à la place de l’islam – est réglée. Il n’y a pas à réformer la loi de 1905 ; il est question, simplement et urgemment, de l’appliquer complètement et égalitairement. Entendra-t-on enfin qu’il existe un quasi consensus parmi les Français de confession musulmane sur le fait qu’ils sont liés par le respect strict et intégral de la Constitution et de la législation françaises : ils le prouvent depuis plusieurs décades. Les musulmans doivent bien sûr continuer à être autocritiques vis-à-vis des lectures littéralistes poussant au replis communautaire, à la radicalisation et/ou à la violence mais il est aussi impératif que la société française remédie à sa propre méfiance et à sa surdité en les écoutant et en cessant d’exiger d’eux une perpétuelle justification.

La France des années deux mille a besoin de la voix d’un Jaurès qui ait le courage de dire : la question de l’islam est réglée et ne menace en rien l’avenir de la France. C’est la question sociale qui est le vrai danger pour l’unité de la République. La gauche est totalement déconnectée des réalités du terrain. Ses leaders, soucieux de rester présents sur le terrain médiatique, ont, entre autres, créé des associations dites « représentatives des banlieues » qui, pour se faire entendre sur les plateaux de télévision, acceptent les termes des débats politico-médiatiques des salons parisiens qui sont à mille lieux des réalités du terrain. Ainsi SOS Racisme ou Ni Putes ni Soumises (créations socialistes) surfant sur les thèmes médiatiques de la laïcité, de l’islam, de l’intégration et de l’islamisation, sont autant entendues par l’élite parisienne qu’elles sont disqualifiées au sein des populations qu’elles sont sensés représenter. Dans le journal anglais The Independent, le président de SOS Racisme se plaignait de n’avoir pas été appelé à la rescousse par le gouvernement afin d’agir contre la vague de violence dans les banlieues : on pourra reprocher à la droite d’être inefficace en matière sociale mais on ne pourra pas lui faire grief d’être mal renseignée sur les voix qui ont quelque légitimité sur le terrain. Hormis la critique de la politique sécuritaire du gouvernement actuel, la gauche ne propose rien et est en panne de projet politique pour des populations dont elle ne connaît presque rien et dont elle parle dans les mêmes termes que la droite.

L’unité de la République, idéalisée jusqu’à l’ivresse dans le discours politique, est, sur le plan social, un mythe et un mensonge. Les débats sur l’islam, l’intégration et l’immigration, avec en toile de fond, l’entretien de la peur, sont des stratégies quasiment idéologiques permettant de ne pas regarder en face la réalité : des citoyens français sont traités comme des citoyens de seconde classe auxquels on envoie des enseignants débutants et inexpérimentés, à qui on offre des écoles ghettos, des habitations indignes et la perspective d’un marché de l’emploi verrouillé et inaccessible. Un univers sinistré et sombre. La France devient, sous nos yeux, une nation socio-économiquement communautariste avec des aires résidentielles pour citoyens riches très protégés, une classe moyenne enclavée qui cherchent de plus en plus à se mettre à l’abri des ghettos des laissé-pour-compte. Le racisme institutionnel est une réalité quotidienne sur le marché de l’emploi et de l’habitat, le système scolaire est à trois vitesses et la présence dans les milieux politiques et médiatiques des citoyens issus des banlieues tient de la dérision ou, au mieux, de l’alibi grotesque qui n’en finit pas d’utiliser des Arabes ou musulmans de service.

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Une révolution des mentalités s’impose d’urgence : la France a changé et il faut que ses programmes d’enseignement l’intègre et l’exprime. Ceux qui constituent la nation d’aujourd’hui ont droit à une reconnaissance officielle : loin d’une compétition malsaine des mémoires, une approche objective et respectueuse des histoires s’impose. Un nouveau souffle de créativité en matière de politique éducative est nécessaire quant à la formation des enseignants et à l’administration des écoles de banlieues : l’égalité des chances passe par un triplement des investissements dans les zones scolairement sinistrées de la République.

Envoyer la police précédée d’un discours qui mêle l’insulte à l’irrespect est contreproductif. On ne verra de changement que lorsque les citoyens des banlieues seront respectés comme Français à part entière, écoutés et considérés comme partie prenante des solutions et non pas seulement comme expression des problèmes. La confiance s’est délitée et seules des initiatives locales basées sur le dialogue, la citoyenneté, la démocratie participative et accompagnées de l’établissement de services sociaux effectifs et de plans emplois et habitations à long terme sont de nature à renverser la spirale du pire.

La France a besoin de politiciens déterminés et courageux qui regardent en face les peurs et les racismes qui traversent ce pays. De politiciens au souffle long dont la vision et les horizons politiques dépassent les échéances déjà tristement obsessionnelles de 2007 et affirment avec force leur refus de continuer à pervertir et à fausser les débats en « islamisant » les questions sociales. Des politiciens qui respectent la dignité égale de tous les citoyens et qui refusent au nom de l’unité sociale de la République de continuer à parler de « Français d’origine immigrée » quatre générations après leur installation. Des politiciens qui savent que si la France a besoin que l’ordre soit rétabli dans les banlieues, elle ne parviendra à garantir la paix sociale que si elle reconnaît et luttent contre les injustices qui la minent. C’est ce que crient « les voyous » et « les sauvageons » des banlieues et ce sont les partis qui, somme toute, se discréditent de ne pas les entendre et de les traiter ainsi.

* Une version plu scourte de cet article a été publiée dans dans le quotidien suisse « Le temps » .

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