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Carnet américain – Obama 2008 : écran total

Divine platitude du monde de l’écran ! Ce que l’on dissimule, qui apparaît en trompe-l’oeil, fait exprès pour empâter l’esprit. Les sondages en rajoutent, tout en sachant qu’ils sont inexacts parce que l’écrasante majorité des moins de trente ans aux États-Unis utilisent seulement le portable, et échappent donc aux listes d’électeurs domiciliés d’après les lignes de téléphone traditionnelles. Le matraquage médiatique se perpétue sur des cycles de plus en plus courts, qui laissent aussi de moins en moins d’espace à la vérification et à la réflexion. Les candidats, Obama comme Clinton, en sont passé par tout un florilège de rumeurs, d’intentions, de combinaisons de déclarations convenues d’appeler le discours de campagne, qui évoque le plus souvent un déluge de mots et d’images préfabriqués.

Avant se rendre à la raison et admettre sa défaite face à Obama, Clinton nous a gratifiés d’un pas de deux : j’ai perdu mais… Conversion publique d’une femme dévorée par l’ambition politique, non pas que les hommes soient plus vertueux sur le sujet. Hillary Clinton, elle, avait disons élaboré sa campagne sur le motif que l’investiture lui était dûe. Preuve en est, elle fut prise de cours après février quand Obama commença à amasser les victoires dans les primaires. Aujourd’hui Clinton quitte la scène en prévenant qu’il faudra compter avec elle, plutôt ses électeurs. Encore une fois, le sens de la propriété a le beau rôle, si ce n’est comme ultime option qui pourtant dépasse rarement les considérations d’ordre subjectif.

Les blogs politiques et les chaînes de télévision cablées, acteurs de premier plan dans le jeu de l’information en continu où la mémoire ne retient plus grand chose, lui font déjà un enterrement de première classe. Hillary Clinton qui a envisagé tranquillement qu’elle était faite pour siéger aux plus hautes responsabilités nationales n’a pas peut-être pas saisi que l’absolu dans lequel elle s’était enfermée n’était pas ou plus celui de la nation. Les Clinton c’est le passé. Dans son discours de fin de campagne Hillary Clinton a fait encore mention des attaques terroristes de septembre 2001.

Obama n’en a pas parler une seule fois. Tout est dit : une pression excercée par l’histoire sans remise en question doctrinaire ou idéologique. De même aujourd’hui 55% des Américains interrogés affirment qu’il est nécessaire de dialoguer directement avec l’Iran pour débloquer la situation sur le programme d’enrichissement nucléaire. Mais pendant sa campagne, Clinton a préféré jouer sur un nationalisme qui ne dit pas son nom, comme si on en était encore à la crise des otages de 1978.

Dans le réceptacle de l’imaginaire américain la politique s’est établie en mode de l’image, fortuite, sans début ni fin. Obama est un orateur né, doté d’un pragmatisme qui le distingue des politiciens de la générations des baby-boomers. Tandis que Clinton et McCain saisissent par la manche les fantômes de la guerre du Vietnam jusqu’aux années Reagan, Obama montre qu’il est habité par les défis de l’avenir. Ainsi a-t-il façonné les obstacles de sa vie personnelle en véritables objets de contestation et aussi d’espoir, et ce dans un pays lourdement éprouvé par l’incompétence monumentale du président Georges W. Bush. Quand il aura perdu, McCain devra trouver autre chose pour effacer l’énorme absurdité de suivre la ligne politique de l’administration Bush. Obama n’a guère besoin d’appuyer là où ça fait mal pour souligner la connivence idéologique entre les deux républicains.

Pour l’électeur américain la campagne présidentielle c’est d’abord l’expérience directe. Privilégier la pleine mesure d’un candidat, presque les yeux dans les yeux. Il faut donner forme au mythe du président, commandant en chef, non plus porte-parole de parti Mais là encore on demeure dans le traditionnel, dans le mode des présentations officielles au peuple, qui comprend, ne serait-ce que pour un bref laps de temps, une attention absolue. Obama joue très bien de ces mises en scène dans ses discours de campagne ; il fabule, dans le sens où il offre un modèle. “My name sounds funny, and I am not a Muslim”, s’applique-t-il à préciser à la moindre occasion, en détournant ainsi de leur sens les chicanerie de la droite.

D’aucuns diraient qu’Obama verbalise l’identité. Le soir de son investiture les grandes chaînes télévisées ont servi des gros plans d’électeurs noirs, en pleurs, fiers et émus de voir enfin l’un des leurs en bonne voie vers la Maison Blanche. C’est triste aussi que les médias n’aient pas trouvé autre chose pour souligner les progrès faits depuis le début de la lutte pour les droit civiques dans les années 1960. Pour gommer la morale honteuse de l’Amérique blanche protestante on se gargarise d’Obama qui a dès lors une mission à remplir. Obama devient soudain la contrainte du Bien. On peut parler d’un Noir sans qu’il soit joueur de basket-ball, trafiquant de drogue, ou soldat engagé en Iraq pour bénéficier d’une bourse d’étude.

Pourtant la visibilité comme valeur s’efface étrangement dès lors qu’elle passe par internet. L’unité de valeur de l’hypervisuel se manifeste dans des débris d’images où il est improbable qu’une seule émerge. L’idée, elle, semble retourner à son étymologie grecque : on pense par ce que l’on voit. Et comme l’on ne voit plus rien, ou à peine, reste à imaginer qu’on pense relativement peu. On aime donc à se convaincre que le match se jouera entre un héros de la guerre du Vietnam et un jeune sénateur exceptionnellement doué, qui en outre se présente avec l’atout d’un vrai multiculturalisme au pays de l’immigration par excellence.

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Tandis que l’esprit de l’instantané règne sur internet et les médias, on néglige la place de la critique. D’un côté, un McCain complètement incompétent sur les questions économiques, et dont le fer de la lance programmatique est toujours plus d’unilatéralisme accompagné d’une inflation budgétaire du Pentagone. Rappelons que depuis 2006 le budget annuel de la défense des États-Unis est supérieur à celui de toutes autres nations réunies. Puis il y a Obama, tribun sérieux, qui joue à se poser au dessus des luttes partisanes, sans qu’il ait pourtant proposé de vrai programme économique. Sa politique au Proche-Orient consiste à prévoir un retrait d’Iraq et à renouveler le soutien inconditionnel américain à Israel.

On a bien vu au fil des mois que le caractère révolutionnaire de la candidature d’Hillary Clinton n’était qu’une simplification réalisée par un appareil médiatique, lui même en quête d’un nouveau fétiche héroïque. C’est bien ça en vérité, l’Amérique fonctionne à l’héroïsme, l’Europe au militantisme. Ici le héros aujourd’hui c’est Obama, nul débat sur la question. Comme dans la Bible avec Ishmael, le candidat démocrate est l’enfant illégitime enfin réuni avec sa famille. On le reconnaît, comme à travers une exigence passive divine qui a longtemps laissé croire que seuls les blancs, chrétiens devaient être élus à la fonction suprême. L’élite mise en peinture, tirée en timbres, imprimées sur billets de banque n’aura qu’à bien se tenir, un fils d’Afrique est sur le point de se joindre au club.

Youtube est devenu la caisse de résonnance en boucle de la métamorphose politique, un peu comme si Hermès-Mercure des Anciens avait été frappé de la maladie d’Alzheimer. Sur internet, à la télé, la politique, celle qui se joue dans la première puissance du monde, est réduite à des formules générales, compassées, diluées de leur sens dans un mélange de répétition et d’ignorance, et sans plus d’immédiateté ni force cognitive. Obama transparaît alors en héros parce qu’il est noir, ancien pauvre propulsé dans l’élite, citoyen multiculturel, bref un anticorps à l’anti-américanisme quasi universel. Après McDonald’s, Indiana Jones et autres produits, pourquoi pas le premier président américain planétaire ? Dans la petite ville d’Obama au Japon, on a déjà préparé les kimonos imprimés, un vidéo-clip musical, etc.

La voie n’en est pas dégagée pour autant. On sait que Lyndon Johnson est le dernier candidat démocrate à l’avoir emporté grâce à une majorité blanche. Difficile défi pour un Obama tout à la fois habille, pragmatique, intellectuel, qui apparaît pourtant installé sur une ligne de fracture idéologique. Ses qualités personnelles et le rude apprentissage durant la campagne contre Hillary Clinton suffiront-ils à en faire un vainqueur qui rassemble autour de lui ?

La fanstamagorie médiatique d’un super candidat ne leurre plus pour peu que l’on s’interroge sur ce qui se passerait le jour après l’investiture à la Maison Blanche. Si mythe il y a autour du candidat Obama, il doit être pourvu d’une nécessité interne. Par exemple, redonner à l’Amérique cet élan de la manifest destiny, soit en prenant les rênes du combat pour une écologie progressive et véritablement mondialisée, soit en menant les partenaires du Proche-Orient à une paix juste et durable.

Des conservateurs pur jus, tel Rupert Murdoch, le patron de Fox Television dont le journal et autres émissions politiques ont de longue date enterré toute déontologie et souci d’honnêteté, prédisent déjà un raz-de-marée en faveur d’Obama en novembre. Serait-ce qu’au fond du naufrage de l’administration Bush on contemple la possibilité, non pas du bien, mais du meilleur ? Une sorte de transcendance contre l’abject ratage américain au XXIème siècle. Encore faut-il que cette vision ne soit pas un agrément hypervisuel pour imbéciles heureux, qui confondent se faire entendre et se faire voir. C’est dans cette authentique contradiction américaine, passer du président le plus médiocre de l’histoire des États-Unis à un candidat qui à lui seul concrétise la condition historique nationale, que l’on rapportera l’idéal démocratique qui consiste à céder devant la majorité pour mieux incarner l’idée de l’homme.

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