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Caricatures danoises, « La dernière tentation du Christ »…

La publication d’une douzaine de caricatures danoises, représentant le Prophète Mohammed, dont une le montrant coiffé d’un turban en forme de bombe, provoque depuis une semaine une série de réactions. Des ambassadeurs postés au Danemark sont rappelés. Dans certains pays du Golf les produits danois sont retirés de la vente. En Palestine, à Gaza, un groupuscule armé menace l’Union Européenne[1], etc.

En réaction à ces évènements, le rédacteur de la section « culture » du journal danois (Jyllands-Posten) à l’origine de la publication en septembre des caricatures, déclare « nous sommes témoins d’un choc des civilisations entre l’Occident sécularisé et les sociétés islamiques ».[2] Le rédacteur en chef du même quotidien, interviewé sur une chaîne de télévision britannique récemment, explique que la culture journalistique au Danemark a l’habitude de caricaturer librement des figures religieuses tels que les Apôtres, Marie, Jésus ou encore Dieu, et que l’islam, dans le contexte danois, n’échappe à la règle. Quant au rédacteur en chef du magazine norvégien, à l’origine de la nouvelle publication le 10 janvier, il déclare : « J’en ai marre de l’érosion de la liberté d’expression qui se produit en catimini. Avec le meurtre de Theo van Gogh (cinéaste néerlandais assassiné en 2004), on a vu qu’il ne s’agissait pas de menaces vides », et d’ajouter juste après « On sait que la liberté d’expression dans notre région du monde est menacée par une religion qui n’est pas étrangère au recours à la violence. »[3]

Au regard de ces déclarations, définissant cette polémique en termes de « choc des civilisations », il devient dès lors intéressant de se poser la question suivante : la liberté d’expression à l’égard de la religion est-elle problématique uniquement pour les musulmans ? Par exemple, chez nous en Europe, peut-on parler de Jésus comme on l’entend et sans courir le moindre de risque ?

Caricatures danoises, La dernière tentation du Christ,… : des passions communes

Sans remonter à l’époque de l’Inquisition, pour rappel en 1983, le films « Je vous salue Marie » de Jean-Luc Godard, suscite une polémique intense dans les milieux catholiques français. Des hommes politiques et des responsables religieux demandent purement et simplement son interdiction. [4]

En 1988, la sorti du film de Martin Scorsese, « La dernière tentation du Christ », déchaîne les passions tant en Europe qu’aux Etats-Unis. En France, « Après trois semaines de diffusion dans dix-sept salles parisiennes, les projections devenant trop menaçantes, seules deux salles poursuivirent la distribution. […] L’on assiste à des manifestations, à des jets de gaz lacrymogènes, de bris de glaces, de cocktails Molotov, à la destruction de salles de cinéma, à des menaces écrites, orales… Le cinéma Saint-Michel [Paris], qui projette le film, est détruit, l’incendie provoqué par un groupe intégriste faisant une dizaine de blessés. Des radios encouragent les fidèles à déchirer les sièges de salles qui diffusent le film. Des actes similaires sont commis dans les villes de province, toute la France est ébranlée, alors que le Front National déclare l’urgence de s’emparer des bobines d’un tel film, et de les détruire coûte que coûte. »[5]

Plus récemment, l’an dernier en Angleterre, suite à l’annonce de la diffusion télévisée d’une comédie musicale intitulée « Jerry Springer – the Opera », mettant en scène un Christ, obèse, en couches-culottes qui reconnaît être « un peu homo », la BBC a reçu 45.000 lettres et coups de téléphones. Plus de 7.000 plaintes ont été déposées devant l’autorité de régulation de l’audiovisuel britannique. Ce nombre est supérieur aux plaintes émises contre le film « La Dernière tentation du Christ », qui en avait récolté 1.554 après sa diffusion télévisée en 1995.[6]  Des centaines de manifestants chrétiens se sont rassemblés devants les bâtiments de la BBC avant et pendant la diffusion du spectacle. Des parlementaires conservateurs catholiques se sont également joins aux protestations.[7]

L’indignation des musulmans, d’Europe et d’ailleurs, n’est ni plus ni moins « passionnée » que celle, par exemple, de leurs concitoyens chrétiens. Le journaliste, pour le quotidien The Independent, et écrivain britannique, Robert FISK, le fait remarquer en ces termes : « D’ailleurs nous pouvons exercer notre hypocrisie sur les sentiments religieux. Je me rappelle justement comment, il y a plus de dix ans, le film intitulé « La dernière tentation du Christ » montrait Jésus faisant l’amour à une femme. A Paris quelqu’un a mis le feu à un cinéma diffusant le film, tuant un jeune homme ». Il ajoute : « Je me souviens aussi dans une Université américaine qui m’avait invité à donner une conférence trois ans auparavant. Le titre était, « 11 septembre 2001 : demandez qui l’a fait mais, pour l’amour de Dieu, ne demandez pas pourquoi ». Quand je suis arrivé j’ai découvert que l’Université avait effacé la phrase « pour l’amour de Dieu », car « nous ne voulions pas offenser certaines sensibilités ». Et il conclut par : « Ah-ha, donc nous avons une sensibilité, aussi »[8].

« Touche pas à mon opinion » versus « touche pas à mon indignation »

Remarquons que les religions ne sont pas les seules susceptibles de développer un rapport passionné vis-à-vis de la liberté d’expression. L’exemple le plus frappant est l’affaire du foulard en France. Les personnes concernées expliquaient « cela fait partie de ma liberté d’expression » et les autres, au nom d’une certaine vision de la laïcité, répondaient « nous avons le droit de protester et d’exprimer notre indignation à l’égard de ce foulard », car estimant qu’il ne respecte pas les principes de loi de 1905.

Ainsi l’expression libre d’une opinion risque par moment de provoquer de l’indignation et des protestations. Il est en effet difficile de demander à ceux qui se sentent malmenés par une « liberté d’expression » de ne pas, à leur tour, exprimer librement leur indignation. Dire aux uns « vous avez le droit d’exprimer votre opinion » et aux autres « vous n’avez pas le droit d’exprimer votre indignation », est évidemment absurde et anti-démocratique.

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Si les musulmans d’Europe et d’ailleurs ont le même devoir, que leurs concitoyens, de dénoncer et de condamner publiquement toutes les formes d’expression diabolisant, et incitant à la haine et à la violence (« fatwa » contre Salman RUSHDIE, menaces de mort contre les caricaturistes danois, antisémitismes, etc.), ils ont aussi le droit de s’indigner, de protester et de critiquer librement les caricatures en question.



[1] En référence à ces déclarations de représailles, le journal Le Monde rapporte qu’« Après les menaces proférées contre les lieux de culte chrétiens de Gaza, l’un des responsables du Hamas à Gaza […] s’est rendu ostensiblement dans l’une des rares églises que compte la ville, celle de la Sainte Famille […], pour offrir les services de miliciens de son mouvement afin d’assurer la protection de l’édifice. » Le quotidien remarque aussi qu’à « Hébron, un bastion du Hamas, qui y a remporté les neuf sièges en jeu le 25 janvier, aucun acte d’hostilité n’a été signalé envers les observateurs déployés dans la partie de la ville où cohabitent des Palestiniens et des colons extrémistes. Plus d’un tiers de ces observateurs sont pourtant de nationalité norvégienne ou danoise. » (Le Monde, le 3th février 2006).

[2] The Independent, 4th February 2006.

[3] http://www.lci.fr/news/monde/0,,3281359-VU5WX0lEIDUy,00.html

[6] http://news.bbc.co.uk/1/hi/entertainment/tv_and_radio/3327039.stm

[7] http://news.bbc.co.uk/1/hi/entertainment/tv_and_radio/4154071.stm

[8] The Independent, 4th February 2006.

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