Mais que sont les intellectuels devenus ? Où donc sont les chantres de l’altérité, de la défense du droit de l’autre à être ? En tant que musulman je ne peux trouver en l’Islam de fondement véritable au port de la burqa, ici ou ailleurs, ma religion a libéré la femme. En tant que musulman je suis intiment et fermement attaché au Coran et à la Sunna. Mais je suis libre d’accepter telle ou telle tradition séculière sachant qu’il n’ y a pas en la matière de libre choix, mais l’expression d’une dépendance culturelle.
Je suis capable de dépasser cette relation ou pas, c’est selon et pour chacun. Je n’en discuterais donc pas, lorsqu’elle est partisane la dialectique peut tout justifier, y compris l’injustifiable.
En tant que musulman je ne puis accepter que l’on transgresse les principes universels de respect de la dignité humaine. Mon frère, ma sœur, en religion ou en humanité, ont le droit à l’erreur que mon point de vue soit argumenté ou non. Il en est pour moi de même.En tant que musulman je suis viscéralement attaché au droit à la différence. Dieu n’a-t-il pas dit à Son Prophète : “…Contraindrais-tu les gens à croire !(1)
Je suis barbu mon épouse est voilée, nous assumons. Femme emburquanée ou Femme érotisée, il en va donc de même, une intrusion en la perception de l’autre. Ni les uns ni les autres ne lèsent cependant la liberté de l’autre. Cependant, que l’on vienne à m’imposer une rupture, une déchirure, une incompatibilité entre moi et le regard de l’autre et me voici, être de souffrance, en proie à une schizophrénie déconstructive.
L’amour et l’intérêt ne détruisent pas l’altérité, je suis alors riche de l’autre. Éloge de la différence que le Coran formule ainsi : “ Hommes ! Nous vous avons tous créé d’un même couple. Si Nous vous avons assigné en peuples et nations, c’est afin que vous enrichissiez de vos différences…” (2)
Peu importe, ou non, que je pense, ou non, que la burqa ne soit pas une pratique de l’Islam mais un symbole bilatéral d’une lourde opposition et d’une sourde intention. Je pourrais m’interroger sur la signification citoyenne d’un tel affichage vestimentaire, exhibitionnisme paradoxal. Je pourrais, de même, m’interroger sur la médiocrité d’opportunistes en mal d’auditoire.
Peu importe, en ce marécage politico-socio-religio-médiatique, nos arguments. Le droit élémentaire d’être, exige de nous que nous soyons en cohérence avec nos convictions personnelles. L’on connaît l’adage qui fait suite : “la liberté s’arrête ou l’autre commence”.
Peu importe, les véritables enjeux sont tout autres, et d’une toute autre importance.
Les politiques jouent sur l’état d’amnésie des peuples. Lorsque la France, à l’image d’un Atatürk ou d’autres grands illuminés de la laïcité, réglementa contre le port du voile à l’école elle franchit le Rubicon. Il n’y a pas à discuter des arguments des uns ou des autres, de l’Islam ou de la laïcité, il ne s’agissait déjà que d’un faux débat.
Souvenons-nous que pour avoir prétendument “sauvé” quelques innocentes Blandines des griffes des lions islamistes, l’on en cloîtra des centaines hors de toutes voies d’accès à la culture. Plus encore, des milliers s’emprisonnèrent dans leur dilemme face à leur lecture du Coran. Ce que raison ne sut admettre fut par les faits prouvés : l’on ne vota point une loi d’égalité mais le droit à l’inégalité. Une loi contre le Droit.
La république, en méprisant le droit le plus élémentaire à la liberté, a incidemment permis -mais est-ce un hasard non calculé- à la bêtise des peuples de s’exprimer au quotidien, abondamment relayée par la voix de son maître, les médias.
Amère liberté, l’on ouvrit les portes à la haine ordinaire, au mépris banalisé ; sur une affichette de banque l’on interdit l’entrée aux femmes voilées et aux chiens, comme en un nouveau Far West, chinois dédouanés et star décrépie à la rescousse de la gent canine.
Pour quelques foulards qui ne flotteront plus au vent l’on instaura l’âge brun de l’islamophobie.Ce mot si courant à présent, et qui n’est pas un délit, n’existait pas dans les dictionnaires avant que l’on ne légiférât contre la Loi et contre la dignité humaine. Chaque mesure prise à l’encontre d’une communauté la stigmatise et offre à l’autre une latitude “légale” à déverser ce que tout être comporte de refoulé.
L’homme n’est ni Ange ni Démon, il est, soit l’un soit l’autre. La haine naît du fait que je perçois mon identité menacée par l’altérité. Situation constante que seule une éducation et des principes supérieurs peuvent réguler. Les lois, acceptées ou imposées, contrôlent cette ambivalence intrinsèque, l’Etat est donc le garant des uns et des autres, des uns contre les autres.
Une société, une nation, n’est qu’un instant d’équilibre précaire, elle provient de la barbarie et se dirige vers la barbarie. Lorsque l’Etat faillit à sa fonction de régulateur et favorise l’expression des pulsions primaires et primitives, la horde de nos sauvageries se met en branle, funeste présage. Je ne hurlerais donc pas avec les loups mongols dont on dit qu’ils ont les yeux bleus steppe.
Lorsque le législateur aux ordres du politique édicte la loi contre l’autre, la nation, ancien domaine d’égalité et de sécurité républicaine et démocratique, devient jungle, des chasseurs et du gibier. La haine ordinaire a de terrible d’être ordinaire.
Les peuples ne naissent ni fasciste ni démocrate, ce sont les Etats, c’est-à-dire la Loi et les politiques qui font d’eux qu’ils soient l’un ou l’autre. Le fascisme ne se construit que sur deux principes : premièrement une définition de l’être de référence, le peuple supérieur, deuxièmement, l’infériorisation de l’autre. En d’autre temps il fut Juif, homosexuel, communiste, Palestinien, peu importe l’étoile, il est autre, il est l’autre. Le fascisme c’est le dénie de l’autre.
Un pas en avant en la longue marche, la burqa est devenue le nouvel épouvantail. Il est vrai, comme le disent les paysans de la politique, que l’été venu il convient de protéger les récoltes. Qui ne prendrait donc pas parti pour ces victimes, quand bien même seraient-elles consentantes. Il faudrait donc les sauver de l’ostracisme quitte à ce que cela soit contre leur gré.
Les musulmans, au nom de l’Islam, ne devraient-ils point tolérer que de tels enturbannés offensent l’islam et la laïcité. Union sacrée et alliance des contraires à laquelle benoîtement je devrais souscrire. Le simplisme n’est pas de mise. Ces quelques femmes, en leur combat inutile et vain, ne doivent pas être les têtes de Turc d’un front larvé virant au sombre. Devrai-je échanger ta burqa contre leurs brunes chemises !
Je puis être personnellement interpellé en mon islamité, en ma connaissance de la religion, en ma conception des droits fondamentaux, et je comprends que d’autres soient choqués, mais je ne peux accepter la manipulation. Il ne s’agit pas de quelques emmurées vivantes, mais bien d’une intolérable progression dans la flétrissure de l’autre. Non pas une atteinte à la Loi mais, bien plus, à la liberté essentielle. Je le précise, cette dernière phrase peut se lire en miroir selon l’angle choisi, elle traduit toute l’ambiguïté du sujet, le double jeu de tous les acteurs.
Nous ne pouvons être solidaires de cette morbide mascarade qui, pour quelques manœuvres politiciennes, décide de la non existence de plusieurs millions de musulmans en terre de France. Les conséquences de la chasse aux foulards sont depuis lors visibles au quotidien ; regards, mépris, rejet, difficulté dans les études, inégalité à l’emploi, rue soupçonneuse, discours d’intolérance. Tenir, sourire, faire profil de plus en plus bas, se fondre et se confondre, changer jusqu’à son nom, ne reste que la douceâtre moiteur de nos ghettos, ou bien à arborer la burqa.
Derrière la noire burqa, c’est Fatima c’est Muhammad qui sont visés, la fatma et le mahomet de l’autre. Tout un peuple en république offert à l’opprobre médiatique et confronté au dédain quotidien si ce n’est à l’arrogance. Je ne peux accepter que l’on dénie ce que je suis, car exister c’est être et être c’est exister tel que je me définis. Je reconnais ce droit à l’autre il doit, pour une société de paix et de justice, en faire de même à mon égard. Exister en niant l’autre, tel est le négationnisme. Ne pas accepter la burqua, nous dit-on, serait donc admettre que l’on légifère contre. Sombre erreur et grave mystification. Dialectique manichéenne, le bien contre le mal, nous contre eux, choisir impérativement son camp.
Je dis, clairement et sereinement, en tant que musulman, qu’intellectuel, et qu’être d’humanité, que ne je ne veux me laisser piéger en cette rhétorique dichotomique. Ni vous, ni nous n’en sortirons gagnant. Tous avons à perdre, à préférer la haine au respect, et le rejet au dialogue.
Je dis, sans ambages et sans faux-fuyants, que je n’ai pas à défendre la burqa mais que je ne puis accepter cette nouvelle cabale. Je suis solidaire de toutes celles et tous ceux qui sont victimes de ces sordides menées quand bien même leur attitude me heurterait. Nous appartenons tous au même corps, même si nous le vêtons différemment, que l’on ne s’y méprenne pas. Je ne peux, ne fût-ce que par un mouvement d’humeur, soutenir l’insoutenable.
Je ne peux souscrire en aucune manière à cette campagne dont les visées et les enjeux constituent une violation flagrante de la dignité humaine, une atteinte à la liberté fondamentale des hommes et des femmes. Une dérive dont on ne dit pas le nom et dont, chose certaine, nul ne connaît la destination.
Notes :
(1) S10.V99.
(2) S9.V13. Ou, autrement traduit : “que vous entre-connaissiez”.
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