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Bernard Kouchner et les pieds nickelés de l’ingérence adoptive

Bernard Kouchner avait fait du Darfour l’illustration emblématique du devoir d’ingérence. Mais en jetant un pavé monumental dans la mare du ” french doctor “, la parodie humanitaire de l’arche perdue a fait la démonstration involontaire d’une logique prise à son propre piège. Car loin d’être les adeptes dévoyés du docteur Kouchner, ces pieds nickelés de l’ingérence adoptive en sont bien les fidèles disciples : las de rester les bras croisés devant ce que leur gourou qualifiait sans ambages de ” génocide “, eux, au moins, ils sont passés à l’action.

” Faire du Darfour une priorité reste l’objectif partagé par le ministère que vous représentez et notre organisation humanitaire “, écrivait Eric Breteau au Quai d’Orsay le 13 juillet, à un moment où il préparait ouvertement le kidnapping humanitaire. Une connivence d’ordre pratique qui résultait d’une osmose idéologique parfaitement résumée par Gilbert Collard, l’avocat des inculpés de N’djamena : ” Leur opération était un coup d’Etat humanitaire, dans la droite ligne de ce qu’a fait M. Kouchner au Biafra. “

Lors du meeting à la Mutualité en mars dernier, Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy se livrèrent à des incantations sur le ” génocide ” perpétré par Khartoum, embrassèrent sur l’estrade les chefs de la rébellion et appelèrent à l’action musclée contre le Soudan. Manifestement, l’engrenage fatal qui conduisit au rapt collectif de l’Est tchadien s’est alimenté à cette rhétorique belliqueuse imitée du néoconservatisme américain.

Il suffit de consulter le site de l’arche de Zoé. Le Darfour y est décrit de façon apocalyptique : un effroyable ” génocide ” frapperait des ” millions ” de civils, les ” Arabes ” extermineraient les ” Africains “, et le seul coupable de ces atrocités ne serait autre que la ” dictature islamiste soudanaise “. Pour finir, une condamnation rageuse de l’impuissance onusienne, assortie d’un appel à l’action directe pour appliquer le ” droit international ” en sauvant des milliers d’orphelins.

Mais le plus étrange est que cette frénésie collective n’ait pas été entamée par la volte-face de Bernard Kouchner lui-même. Car le génocide dénoncé en mars disparut comme par enchantement avec le printemps, lorsque le transfuge socialiste arriva aux affaires. De retour de Khartoum, le nouveau ministre s’empressa de préciser que la France, à l’instar de l’ONU, refusait de parler de ” génocide ” au Darfour. Comprenne qui pourra. Les illuminés de l’arche, eux, manquèrent l’épisode. Et l’hystérie interventionniste de la campagne antisoudanaise a déclenché un spectaculaire déni de réalité qui mena tout droit au ” coup d’Etat humanitaire “.

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Non sans dommages collatéraux pour la politique française. Frustré de ses ” corridors humanitaires “, Bernard Kouchner veut convaincre ses partenaires européens de participer à une force multinationale. Au lendemain du fiasco d’Abéché, c’est plutôt mal parti. Et les rodomontades du président français ont eu pour principal effet de jeter de l’huile sur le feu. Effet boomerang d’un activisme qui faisait bon marché de la souveraineté des Etats, le Tchad entend bien prendre une revanche symbolique en faisant respecter la sienne.

Dernier enseignement de cette aventure : la prédilection des forcenés de l’ingérence humanitaire pour la mise en scène, un goût pour le trompe-l’œil qui est l’envers de leur indifférence à la réalité. Car tout était faux dans cette histoire à dormir debout : les enfants n’étaient pas soudanais mais tchadiens, ils n’étaient pas orphelins mais avaient des parents qui les ont laissés partir pour un centre éducatif (parfaitement irréel), et non pour une destination étrangère.

Jusque dans les moindres détails, l’arche mystérieuse a bâti un monde virtuel propice à toutes les manipulations. Elle a adopté un nom d’emprunt pour avoir les coudées franches. Travestissement d’identité, mais aussi maquillage des victimes : les enfants ont été affublés de faux pansements, preuve que l’opération ne pouvait se déployer que dans le mensonge et requérait cet artifice. Au final, et en guise d’action humanitaire, on y découvre avec consternation une sinistre parodie. Le syndrome du sac de riz porté devant les caméras a encore frappé, au risque d’engendrer sa propre caricature.

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