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Banque islamique : de la propagande à la réalité (2/3)

 « Pourquoi les intérêts sont-ils interdits en Islam ? »

 « Je voudrais m’acheter une maison, est-ce-que vous pouvez me faire un prêt ? »

 « Comment la finance de marché pourrait-elle devenir islamique ? »

 « Vous autres musulmans passez votre temps à critiquer le système existant, mais qu’avez-vous donc à proposer ? »

 « Peut-on être musulman et capitaliste ? »

 « Pourquoi les pays africains ne peuvent-ils jamais rembourser leur dette ? »

 « Existe-t-il une économie musulmane ? »

 « Un frère m’a dit que c’était “haram” de prendre une assurance, est-ce vrai ? »

 « Pourquoi est-ce-que je ne pourrais pas investir en bourse ? »

 « Si vous n’êtes pas content du système ici, pourquoi n’allez vous donc pas dans un pays musulman ? »

 « Moi je veux bien investir, mais ça ne m’intéresse pas si c’est risqué. N’êtes-vous pas d’accord ? »

Autant de questions notées sur des bouts de papier au détour d’une conférence, d’une discussion, d’un repas, qui sont autant de facettes du problème économique, social et moral auquel nous devons faire face sans trahir notre religion et (donc) notre éthique.

Si ces interrogations semblent être très hétérogènes dans leur forme, elles appellent le même débat de fond :

Comment définir les bases d’un système économique juste et garantissant des relations équitables entre chaque intervenant du système, du consommateur occidental (ou pas), à l’agriculteur du bout de la planète, en passant par les gouvernements, les entreprises, les familles, etc… ?

Le Coran et la Sunna du Prophète Muhammad (asws) nous donnent un mode opératoire précis et efficace permettant l’établissement d’un tel système, duquel on peut préciser ici quelques lignes directrices :

1 -Interdiction absolue des intérêts

2 -Interdiction de la spéculation

3 -Introduction d’une responsabilité morale dans les relations socio-économiques

4 -Définition de contrats-cadres entre des intervenants économiques pour garantir l’équité des transactions

5 -Système de redistribution des richesses et de prise en charge des personnes en difficulté via la Zakat (incluant également une contribution spécifique de la part des non-musulmans)

6 -Promotion de relations économiques fortes entre pays voisins

7 -Régulation des prix de marché par la priorité donnée à l’économie réelle sur l’économie spéculative

8 -Usage de valeurs de référence (étalon-or notamment)

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9 -Schémas de résolution concertée pour les litiges commerciaux

10 -Responsabilité de chaque homme et femme quant à l’acquisition de ses richesses et à l’usage qu’il/elle en fait

11 -Etc, etc…

Toutes ces mesures et recommandations sont applicables immédiatement pour peu qu’on ait l’entière et profonde conviction de leur ultime sagesse (ce qui est le cas de l’auteur), et l’engagement moral suffisant pour s’y conformer, avec la sincérité et la constance que nous devons à notre foi (ce qui manque encore aujourd’hui à la majorité d’entre nous, à commencer par l’auteur).

Une fois d’accord sur l’objectif à atteindre (justice économique et sociale garantie pour tous et toutes par un système socio-économique respectant l’éthique et le droit musulmans), deux chemins (ou plutôt deux attitudes) s’offrent à nous, que je présente ici comme le feraient leurs défenseurs respectifs :

1) « Le système actuel est mauvais et injuste, mais il est trop largement répandu et accepté pour qu’on puisse le changer brutalement. Si on veut vraiment influer positivement sur le cours des choses, il faut accéder aux leviers de pouvoir de cette société pour pouvoir enfin la réformer de l’intérieur. Cela ne veut pas dire que nous devons trahir nos idées, mais il faut être réaliste et comprendre les défis auxquels nous devons faire face pour pouvoir y répondre : le problème du logement qui touche tant de familles musulmanes, la circulation d’argent en direction des pays pauvres qui serait complètement paralysée si le système bancaire disparaissait, le coût de la vie qui exploserait si on bloquait les rouages de l’économie globale, etc…

Le système économique peut être adapté, pour devenir au fur et à mesure pleinement conforme à notre éthique et à notre religion, et nous permettre ensuite d’atteindre notre objectif de justice sociale et économique à l’échelle planétaire. Bien sur, ce n’est pas pour demain, et il va falloir du temps avant que tout soit parfait (autant que quelque chose puisse vraiment l’être dans ce monde), mais au moins nous aurons posé la première pierre dans la reconstruction d’un édifice auquel nous aspirons tous : un Islam fort, conscient des défis de notre temps, sans pour autant renier la richesse de son passé. »

2) « Nous rejetons le système capitaliste actuel. Et avec lui tout ce qu’il représente : ses valeurs, les intérêts des puissants auxquels il profite exclusivement et, plus que tout, la servitude à laquelle il condamne tant de nos frères et sœurs à travers le monde sans que l’un de nous lève le petit doigt. Le système bancaire et financier d’aujourd’hui a remplacé les chaînes et les fouets d’autrefois. La colonisation physique et militaire a laissé place à une colonisation économique et culturelle dont nous sommes le plus souvent, musulmans d’Occident, d’inconscients et fidèles serviteurs.

Faire des compromis avec un tel système pour pouvoir s’acheter des maisons et des voitures, c’est faire très précisément ce que le système attend de nous : devenir quelques millions de consommateurs de plus dont la religion est devenue une identité-marketing, accepter la situation des malheureux de ce monde tant que notre confort personnel n’est pas remis en cause, échanger une intégration de façade contre une désintégration de notre intégrité morale et religieuse.

Un autre système est possible, mais il nécessite d’être construit de zéro, pour ne pas être corrompu par les idées du système capitaliste actuel et rester fidèle à l’Islam. Pour peu que nous soyons cohérents avec nos idées, d’autres viendront nous aider et nous soutenir, qu’ils soient musulmans ou non, quand ils auront vu pour eux même la réelle justice de ce que nous avons à proposer. Le système capitaliste d’aujourd’hui implosera alors de lui même. »

Le lecteur ressentira peut être une affinité naturelle avec l’un de ces discours plus qu’avec l’autre, mais il m’est personnellement bien impossible de dire lequel est celui que nous devrions suivre, en tant que communauté de croyants. Bien que mon cœur penche plutôt vers le deuxième choix (surtout parce qu’il nous renvoie à notre examen de conscience et appelle en nous une envie de réforme et un refus de l’injustice), je comprends également les arguments du premier, même s’il se drape souvent dans le langage des dominants fait de réalisme, de pragmatisme et de sens du compromis.

Il appartient aux gens de Science (je ne parle ici ni d’orientalistes voulant nous soigner pour notre salut, ni d’experts en économie visionnaires, mais de savants musulmans capables d’interpréter de manière authentique le message de l’Islam à la lumière du contexte actuel) de nous préciser la (ou les) marche(s) à suivre sur cette question.

Comment répondre aux attentes de millions de familles musulmanes européennes pour qui l’acquisition d’un logement est le premier facteur de stabilité, ainsi qu’un élément déterminant dans leur qualité de vie et celle de leurs enfants ? Quelles réponses pratiques apporter concernant le financement des voitures, les contrats d’assurances, l’épargne et les services bancaires de la vie quotidienne ?

C’est pour enfin agir concrètement sur ces questions que les musulmans britanniques ont approuvé en grande majorité la création de l’Islamic Bank of Britain (IBB), fondée par des musulmans dans le respect de la Shari’a et du droit financier britannique (dont le législateur a concédé quelques aménagements pour faciliter les transactions immobilières conformes à l’Islam). La banque offre aujourd’hui une large gamme de solutions d’épargne et de financement, ainsi qu’une série de services bancaires plus généraux (internet banking, cartes de paiement, comptes multidevises, etc…).

Bien sûr, il reste encore pas mal d’efforts d’ingénierie financière et juridique à réaliser afin que les solutions apportées soient plus que de simples contournements des services financiers classiques. Mais au moins, les dirigeants d’IBB font preuve de suffisamment d’honnêteté et de sincérité pour reconnaître les imperfections de leur offre et l’améliorent au fil de leur expérience.

Ces considérations font qu’il existe un gouffre (moral et éthique) entre une banque créée par des musulmans comme IBB (avec parfois des erreurs et des manques) et une succursale d’une banque classique tentant maladroitement (voire hypocritement) de séduire le « marché-musulman » à coups de logos et de calligraphies orientales sur leurs prospectus.

On peut (légitimement) être insatisfait de ces solutions bancaires transitoires, mais elles ont le mérite de répondre à de larges demandes de manière acceptable, quoique parfois discutable sur leur impact économique et moral à long terme. Elles sont impatiemment attendues en France par des milliers de musulmans désireux de pouvoir enfin « avoir une banque à qui parler » sans que quelqu’un appelle la sécurité à chaque mention des mots « musulmans », « halal », « haram » ou tout simplement « responsabilité morale » dans le bureau d’un chargé de clientèle.

Côté pratique, les femmes musulmanes portant le hijab qui se sont vues refuser l’accès au sas de sécurité d’agences bancaires en France apprécieraient également d’être traitées avec un minimum de respect de leur dignité humaine, dans un pays où chaque défenseur d’une certaine vision de la laïcité se sent profondément et personnellement investi du devoir d’expliquer aux musulmans, par la pratique si possible, qu’ils ne sont pas les bienvenus ici s’ils espèrent pratiquer sincèrement leur religion.

Insatisfaits du système bancaire classique, il reste à proposer, insha Allah, une alternative crédible et novatrice qui remette en cause les valeurs mêmes sur lesquelles ce système repose, en lui faisant porter les injustices et contradictions qu’il contient, puis en montrant, sur quelques exemples pratiques, comment un groupe d’individus, sans distinctions, peut trouver des solutions justes en matière de financement d’entreprises et de logement, d’assurance mutualisée ou de gestion de collectivités.

La plus grande force du système est de nous convaincre (presque) tous de son inéluctabilité et de sa toute puissante rationalité. Soyons, si Dieu (swt) nous y autorise, un petit grain de sable accessoire de son déraillement…

(La suite dans la 3e partie insha Allah)

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