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Banque islamique : de la propagande à la réalité (1/3)

Banque : entreprise dont l’objet est le commerce de l’argent. Elle est chargée de collecter les dépôts et l’épargne de ses clients, de trouver des solutions de financement à leur projet, d’effectuer des paiements pour leur compte et de gérer des valeurs boursières.

Dans cette définition très générale du rôle de la banque, nous trouvons une description réaliste de ses activités et de la fonction qu’elle remplit dans notre société, occidentale et « moderne ». L’essentiel de ses revenus provient de son aptitude à « gérer » de l’argent et à produire un certain nombre de services financiers reliés à cette gestion, de manière plus ou moins directe.

Interrogés sur le rôle présume de la banque, la majorité de ses clients identifient les deux activités suivantes :

1) la gestion des dépôts (salaires, épargnes, etc) et des paiements (virements, retraits, chèques et cartes)

2) le « prêt » immobilier

Le lecteur remarquera probablement que le mot « prêt » est dans ce texte toujours accompagné de guillemets dès lors qu’il s’agit de crédit. Il y a, à mon sens, un abus de langage dans la pratique banalisée de cette association sémantique entre prêt et crédit. Dans le dictionnaire, « prêter » consiste à « confier provisoirement quelque chose à quelqu’un ». Il n’apparaît pourtant dans le même dictionnaire aucune mention d’un quelconque versement d’intérêts en échange du dit prêt.

En fait, dans le cas des banques, il semble plus approprié d’utiliser le terme « location ». Une personne ayant recours au crédit bancaire dira alors « j’ai loué de l’argent pour acheter la maison, ça valait mieux que de la louer… », ou encore « les locations d’argent sont l’une des activités principales des banques de détail… », ce qui correspond bien mieux à la réalité que vivent chaque jour les consommateurs endettés.

Un observateur paranoïaque pourrait également se demander si le choix du mot « prêt » dans le marketing des banques est vraiment si innocent qu’il en a l’air. « Prêter », c’est ce que fait un ami quand on a un coup dur ou ce que fait un enfant quand il apprend le partage. Les organismes de crédit ont-ils voulu s’approprier cette part inconsciente d’entraide et de sympathie que le mot « prêt » porte en son sens ? En regardant certaines publicités pour les crédits à la consommation par exemple, le même observateur paranoïaque pourrait être pris de vertiges : la représentation qui est faite du crédit est toujours très enfantine et innocente : un doigt bienfaiteur donnant des « coups de pouce » aux emprunteurs, ou encore un bonhomme vert jouant au frisbee avec les enfants sur la plage des vacances, payées à crédit.

On ne voit pourtant nulle part le drame que vivent de nombreux ménages surendettés, ni les huissiers qui saisissent les biens de ceux qui ne peuvent plus payer leurs mensualités, les chargés de recouvrement menaçants, ou encore les commerciaux insistants qui expliquent que « tout est possible » sur les coins de tables en contreplaqué du « pays où la vie est moins chère », à condition qu’elle se paye en plusieurs fois bien sûr…

Il est paradoxal, lorsque l’un d’entre nous a besoin d’argent, qu’il lui soit plus naturel de demander à la banque de « l’aider » plutôt qu’à ses proches (familles, amis, collègues, …) et cela même quand il s’agit de sommes relativement petites. Il semble acquis, dans l’imaginaire collectif, que la banque contrôle l’argent et qu’elle est donc l’interlocuteur le plus crédible pour le « prêter » ou le « gérer ».

C’est la nature profonde de la mission de la banque qui est ici en jeu.

Pourvoyeuse de financement en échange d’un taux d’intérêt, la banque participe à un système structurellement inflationniste : pour consommer on « emprunte », pour rembourser ce que l’on « emprunte », on augmente le prix de ce que l’on vend (y compris son travail), pour faire face à cette augmentation de coût, notre acheteur augmente les prix ou « emprunte », etc etc

Offrant un taux d’intérêt à ceux qui lui confient leur épargne et leur trésorerie, la banque centralise des réserves qui auraient pu être prétées (dans le vrai sens du terme) ou investies dans des projets ayant un impact social et économique positif, même s’ils sont financièrement moins « rentables » qu’un placement à intérêts.

Faisant miroiter aux consommateurs l’accès à un monde matériel dont leur pouvoir d’achat réel les exclut, la banque fait partie d’un système qui les encourage a s’endetter pour pouvoir satisfaire leur conformité à une norme conçue pour être juste un peu au- dessus d’eux… On voit ainsi apparaître un univers de biens et services accessibles à crédit qui démultiplie les possibilités de possessions matérielles, offrant un accès virtuel à la classe de pouvoir économique supérieure à chaque individu solvable (ou non) dans la société de consommation.

C’est dans ce contexte qu’est discutée l’ouverture (déjà effective dans certains pays) de « banques islamiques » en Occident. Tous les journaux financiers de la place vantent les mérites de ce « nouveau marché » qui pèse entre 300 et 600 milliards de dollars selon les estimations et l’évolution assez fluctuante de la monnaie américaine. Cette « demande islamique » n’inclue pas encore réellement celle des « musulmans vivant en terre non musulmane », et est essentiellement constituée de riches investisseurs et d’organisations du Golfe et d’Asie du Sud Est.

Cette demande à forte capacité d’investissement est traitée déjà depuis plusieurs années par les banques traditionnelles qui ont même, pour certaines, créé des filiales dédiées afin d’endosser un marketing plus « oriental » sans remettre en cause l’appartenance culturelle de la maison mère au modèle bancaire occidental classique. Des ingénieurs spécialisés sur les produits prétendus conformes à la Shari’a ( prononcer « charia-complayante ») planchent du matin au soir pour « halaliser coûte que coûte l’inhalalisable », au moins sur les jolis prospectus bordés de calligraphies arabes…

Discussion sur un “desk” de “trading” d’une grande banque d’investissement française :

 Un ingénieur-naïf : Et ce produit, comment tu vas le rendre « charia-complayante » ?

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 Un ingénieur-plus-naïf-depuis-longtemps : Facile, on remplace les actions « aram » (pour « haram », interdit en Islam) comme Heineken par des actions autorisées, comme Coca Cola ou Nestlé. Ensuite, pour les paiements d’intérêts, on fait un achat-vente de matière première ou on paye au client le portage… Il ne reste plus qu’à le soumettre au « charia-borde » (pour « Shari’a board », conseil religieux chargé de valider les produits vendus à une clientèle « Shari’a »).

 Un ingénieur-naif : Ah d’accord…

Autre extrait dans une équipe d’ingénierie d’une (très) grande banque d’investissement anglo-asiatique :

 La chef : Alors, dans les demandes qu’on a cette semaine, y’a du « charia ». Qui s’en occupe ?

 Un ingénieur-encore-un-peu-naïf : Il faudrait vraiment regarder dans le détail ce qu’ils nous demandent pour être sûrs que ça correspond vraiment à ce qu’ils espèrent, ça va prendre un peu de temps…

 La chef : Non, ne te casse pas la tête, ils savent pas vraiment ce qu’ils veulent de toutes façon. Utilise la présentation qu’on avait faite la dernière fois pour Bank-Arabian-American ou Saudi-British-Investments, je ne sais jamais qui est qui !

 Un ingénieur-encore-un-peu-naïf : Ah d’accord…

Ces extraits de conversations montrent deux choses : la première est que la norme légale et l’éthique économique musulmane sont considérées par les banques comme des caractéristiques marketing du client, ni plus, ni moins, un peu comme une préférence culturelle ou un goût particulier pour certains styles vestimentaires (sans même parler de l’homogénéisation de ladite clientèle a une entité arabo-islamisante floue à laquelle on peut indistinctement servir les mêmes « solutions personnalisées » en changeant le nom en haut de l’offre…).

La seconde est que la décision et la structuration de l’investissement est morcelée entre plusieurs intervenants au sein même de la banque. Le projet soumis pour approbation au Shari’a board est donc bien souvent truffé d’omissions et d’imprécisions (involontaires ?), afin d’obtenir la validation tant convoitée du produit. La responsabilité du Shari’a board se limite à l’avis qu’ils ont rendu, compte tenu des éléments dont ils disposaient, bien souvent incomplets (les éléments).

Une banque islamique, c’est comme un Mac Donald’s halal : un concept dont le sens même est à questionner.

Le rôle que joue la banque aujourd’hui dans le contrôle des pays en développement, la réalisation de richesses pour des investisseurs déjà largement dotés au détriment des autres, l’assujetissement des consommateurs “frustrés” à une servitude quasi-volontaire par la dette, la rend tout simplement incompatible avec l’éthique musulmane. Comment donc faire coéxister ces deux idées sans entrer sur le terrain des compromis innacceptables ?

Fleurissent aujourd’hui dans la communauté musulmane occidentale d’ardents défenseurs de cette « nouvelle finance », prêts à supplier les banques classiques de répondre à leur appel de consommateur. Ces dernières, naturellement attirées par l’intérêt financier que cette nouvelle clientèle représente, doivent répondre de manière stratégique à la question suivante :

« Dans le climat actuel, où les musulmans ne sont pas très populaires dans notre société, les bénéfices générés par cette nouvelle clientèle compensent- ils, à moyen terme, les retombées négatives sur notre image de marque pour avoir cédé à ce que certains appellent déjà “la pression communautariste” ? »

On voit bien que la réponse à cette question change d’un pays à l’autre, dépendant de la place que les musulmans occupent dans ce pays, de leur perception par les autres citoyens et par les gouvernants, de leur pouvoir économique, de leur stratégie d’influence (si elle existe), etc…

Si les banques françaises n’ont pas encore répondu a cette question, alors on se permettra de nous en poser une autre : Est-ce une mauvaise nouvelle ?

Cet article est le premier d’une série de 3 articles.

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