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Au miroir du terrorisme

Il est évidemment exclu de trouver l'ombre d'un début de circonstances atténuantes aux assassinats commis le 7 janvier dans la rédaction de Charlie Hebdoet dans le magasin casher. Nulle multiplicité d'interprétations n'est possible face à la violence extrême dans l'idéologie et les actes qu'elle chorégraphie sur nos écrans. La barbarie s'est démocratisée. Son mot de prédilection, et l'un des plus redoutables de la langue française, est le mépris. On méprise la dignité, les droits, puis c'est la vie qui y passe.

            Il existe néanmoins un fil conducteur qui structure ce dérèglement social, culturel et historique qui saisit la France depuis les années 1990 déjà. D'aucuns se gargarisent de la fin de la civilisation, de dépeuplement, de suicide national, et autre terminologie épique qui pourtant évite le vrai sujet. La France ne se meurt pas, elle n'est pas morte, elle s'est simplement laissé emporter dans un sommeil des Lumières. Décréter Liberté-Égalité-Fraternité ne suffit plus. Il faut appliquer la devise, s'y atteler, suer sang et eau pour maintenir le noble mandat républicain, plutôt que de verser dans la bien-pensance et les bêlements des plateaux de télévision où les experts-minute s'autocongratulent sur la société de consommation qui prenait jadis le nom de nation. Michel Houellebecq ne s'y est pas trompé avec son plan communication pour nous fourguer un mauvais roman sur l'air du temps. Hier l'antisémitisme, aujourd'hui l'islamophobie. Mais il faudra bien que quelqu'un lui dessille les yeux: n'est pas Céline qui veut et l'abjection n'a jamais garanti le talent.

            Ces Lumières donc qui ont éclairé le colonialisme d'un jour nouveau, avec sa mission civilisatrice et son assimilationisme, ont fini par aveugler la France dans sa condition postcoloniale. On parle de cités de non-droit comme autrefois de territoires indigènes. Au nom de la loi on somme la citoyenne majeure et vaccinée de se vêtir d'une manière et pas d'une autre. Complètement dévoyée de l'esprit de 1905, la laïcité aujourd'hui formule l'exigence de se cramponner à un monde sur lequel seules les fables nationalistes semblent avoir prise. C'est cette incompréhension face à la réalité française qui constitue le sens de la fracture et en représente aussi le terme. Plutôt que de respecter la différence, de s'en enrichir, on vit dans l'illusion pathétique de l'assimilation. La France du XXIème siècle c'est Gribouille qui se jette à l'eau pour éviter d'être mouillé par la pluie. Mais en finit-on jamais avec l'identité? Dans ce kaléidoscope postcolonial français il y a un désir d'être qui renforce le choix d'exister ici et maintenant, et faire construire une mosquée, par exemple, c'est avant tout déclarer: mon pays, ma religion! Pas d'exclusive.

            Le refus du compromis face aux sirènes de l'assimilationisme a croisé le chemin de la violence politique et médiatique. On choisit le rapport de force, bref, la stratégie qui tourne court. Dans ces mêmes cités créées de toute pièce pour une certaine population, les gens, c'est-à-dire ces autres Français, n'attendent ni rachat ni pitié. Et que l'on se moque d'eux parce qu'ils massacrent la langue française, ils vous rétorqueront que c'est normal car elle ne leur appartient pas encore tout à fait, ou déjà plus. Ils savent aussi que si l'on condamne Dieudonné à cause de son antisémitisme, on devrait appliquer le même principe chez ceux qui traînent leur religion et leur Prophète dans la boue. La simplicité de la liberté d'expression est qu'elle sert une cause absolue, n'est-ce pas? Dans la cité justement, on ne médite pas sur le Beau ou le Bien, on leur préfère le vrai et le juste, tout ce dont on sait combien il coûte quand on a la mauvaise couleur de peau, un patronyme de là-bas, ou que l'on prie dans une autre religion. Puis il y a les chiffres ahurissants du chômage qui devient la niche du décrochage social et citoyen.

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            Ce que l'extrême droite, puis les autres politiques dans son sillage, prennent pour l'arrogance des musulmans français n'est en vérité que l'exceptionnalisme de leur isolement. On continue à parler au nom des musulmans, ce serait presque comique de démontrer comment dans les journaux, à la télé, l'altérité peut être poussée à son point de non-retour. Plus d'une semaine après le massacre à Charlie Hebdo et dans le magasin casher, on n'a entendu que les musulmans de service, ceux dont on est sûr qu'ils ne remettront pas en question cette illusion sociale et culturelle qui pourtant a débouché sur une catastrophe. Cette censure du discours de la diversité révèle combien on est encore loin d'une résolution. Sans voix médiatique, ni représentation politique,  les musulmans se retrouvent destitués de toute transcendance nationale. Jamais assez prés du centre de gravité citoyen. Français, oui mais… Dans le pire des cas, il y a ceux qui sombrent dans la haine de soi comme nous le disait Frantz Fanon sur les nègres qui se rêvent blancs. Puis il y a ceux qui sont emportés dans le terrain glissant de l'héroïsme virtuel et nihiliste. Ne connaissant pas grand chose à l'islam, ils croient prendre en charge Dieu dans l'espoir de faire renaître l'homme en eux. Projet hélas réel et tellement contraire à l'ontologie islamique de la modération et de l'amour. Oui, le croyant sait que Dieu est le plus grand et que l'homme est son plus beau projet. A l'opposé de ce message central, l'extrémisme, la tyrannie, eux, sont l'emblème de la pire des souffrances, celle qui, même superficielle, est entière parce qu'elle nie tout espoir.

            La plus durable expression du terrorisme porte en elle l'indication de sa propre fin, aussi doit-on rappeler que le plus grand nombre de victimes du radicalisme islamiste est musulman, et de loin. Ces convulsions violentes de l'islam sont le néant de la métaphysique. Si la Révolution française a tenté d'éliminer Dieu, l'extrémisme religieux, lui, met en lumière la véritable absence de foi. Ce dogme du néant, que l'on retrouve dans les idéologies totalitaires, se nourrit de l'illusion du monopole de la vérité. Dans l'islam, au contraire, la religion consacre le pouvoir de trouver sens en soi et vers autrui: croire c'est aimer. Il s'agit d'un voyage dans la miséricorde divine, et tourn&eacu
te; vers la connaissance, l'humilité, et la fierté aussi. A ce titre, les imams de pacotille que l'on traîne devant les caméras de télé pour réciter leur plaidoyer officiel, après chaque tragédie, finissent par rajouter au sentiment de honte, d'être pris pour des demeurés. D'un côté, des illuminés qui prennent l'islam pour un manuel de géopolitique, d'un autre une communauté en crise de représentation et sans voix authentique. C'est un roman français dans lequel on ne s'entend plus sur les mots. Liberté-Égalité-Fraternité pour qui?

            Aussi il faut comprendre que le terrorisme rejette tout, sauf la haine qu'on lui renvoie. Il dit l'impuissance de l'homme à surmonter son destin, presque comme la France qui a manqué le virage de la mondialisation en son propre sein. En 2015,  les Français de confession musulmane se désintéressent de la repentance, de la mémoire coloniale, des musées de l'immigration, des stars du football ou des comédie-clubs, ou même de la tragédie qui se joue en Palestine: ils veulent aimer Dieu tout comme leur pays, en paix, sans compromis identitaire ni déchéance assimilationiste. Le fait est que du coin de votre rue ou à partir d'un satellite, jamais vous ne verrez deux mille ans d'histoire, brisez ce miroir aux allouettes d'un passé pur et idéalisé, regardez enfin votre voisin, présence décisive et fraternelle. L'heure est grave, où sont les hommes et les femmes de bonne volonté?

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