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Après l’opération d’In Amenas, les premières leçons

Maintenant que le rideau est tombé sur l’opération spectaculaire d’In Amenas et le matraquage médiatique qui a suivi, place à l’analyse des retombées de ce qui pourrait constituer un véritable tournant dans ce qui a tout l’air d’une guerre de déconstruction/reconstruction géopolitique régionale, une guerre qui semble voir son centre de gravité se déplacer progressivement du Moyen Orient vers la zone Maghreb-Sahel alors qu’elle n’est peut-être que l’autre facette d’une même guerre impériale qui vise le contrôle des deux plaques tectoniques eurafricaine et eurasiatique dont l’Algérie et la Turquie constituent les deux centres névralgiques. Parmi les nombreuses leçons que l’on peut tirer de cette opération qui n’a pas encore divulgué tous ses dessous, retenons les principales.

1. L’attaque terroriste d’In Amenas a laissé transparaître des lacunes sécuritaires impardonnables qui n’ont pas manqué de donner lieu aux explications les plus farfelues de la part des adeptes de la théorie du complot. Même s’il ne faut pas s’attendre à connaître de sitôt les résultats de l’enquête de la commission d’enquête, le ministère algérien de la défens va sans doute sortir des tiroirs le projet de clôture électronique des frontières pensé il y a quelques années. En attendant la mise en œuvre d’un tel projet, l’armée et la gendarmerie algérienne vont sans doute renforcer le dispositif de surveillance aérienne et terrestre mis en place dans le sillage du conflit libyen.

Mais quels que soient les systèmes de surveillance choisis, le risque zéro ne sera jamais atteint. L’Algérie doit se préparer à répondre énergiquement à toute intrusion sur son territoire d’où qu’elle vienne. Quand on voit ce qu’une attaque d’un commando d’une quarantaine de personnes a mobilisé comme forces et équipement militaire, on peut d’ores et déjà prévoir que le programme de rééquipement de l’armée algérienne va être revu à la hausse dans les années qui viennent.

Nul doute que la réponse fulgurante d’In Amenas fera réfléchir plus d’un avant qu’il ne vienne se frotter une nouvelle fois à l’Algérie. Mais le signal était supposé atteindre plus que ses destinataires du jour. Si l’Algérie veut envoyer comme signal au monde, par ces temps troubles, qu’elle est déterminée à vendre cher sa peau, il est grand temps qu’elle se penche sur la réactualisation de sa doctrine de défense héritée de feu Houari Boumediene fondée sur un principe fondamental : l’Algérie est un pays pacifique qui n’attaquera personne en dehors de ses frontières mais si elle est attaquée, elle ne se contentera pas de se défendre bec et ongles. Elle se réservera le droit d’exporter le conflit et de frapper des objectifs en territoire ennemi.

Retour sur la doctrine militaire algérienne

La question stratégique qui se pose au lendemain de l’opération d’In Amenas est celle-là : oui ou non l’Algérie a-t-elle les moyens de cette doctrine ? Si le contrat d’armements signé avec la Russie en 2006 d’une valeur de 7,5 Milliards de dollars a pu être décrit comme un « contrat géant » notamment par les sites spécialisés dans la dénonciation frauduleuse du « surarmement » algérien, force est de constater aujourd’hui que la donne a radicalement changé à la lumière du conflit libyen, nécessitant un renforcement aussi bien des capacités de dissuasion stratégiques de la DAT et de l’armée de l’air que des capacités de manœuvre et de combat que requiert la nouvelle guerre asymétrique dans laquelle pourrait être entraînée l’armée algérienne sur plusieurs fronts.

Les nouvelles orientations de l’état-major de l’armée algérienne en faveur de la mise en place d’une force d’intervention rapide interarmées vont sans doute reposer la question d’une ALAT dotée de moyens conséquents. L’arrivée récente des premiers hélicoptères de combat russes MI28, la longue expérience des équipages et des techniciens algériens avec le MI24, l’acquisition de nouveaux MI171 et leur modernisation en partenariat avec le sud-africain ATE ajoutées à la commande d’une douzaine d’hélicoptères géants MI26 sont autant d’indices qui vont dans ce sens et qui permettent d’espérer que l’Algérie s’est donnée les moyens adéquats pour le traitement des menaces à venir.

Mais les menaces qui se profilent à partir des frontières poreuses ne doivent pas être déconnectées des bras de fer diplomatiques qui pourraient opposer l’Algérie à des puissances qui se contentent pour le moment de pressions « amicales ». Face à des puissances qui disposent d’une supériorité aérienne, navale et balistique écrasante sans parler de l’outil de dissuasion nucléaire, la doctrine algérienne est fondée sur un réalisme froid qui se résume en trois points : Premier principe. Tenir aussi longtemps que possible pour rendre le coup financier et militaire de l’agression étrangère aussi élevé que possible et pour permettre à la diplomatie algérienne et des pays amis d’arriver à un cessez-le-feu. Pour un pareil scénario, l’Algérie a investi dans des moyens de dissuasion stratégiques qu’elle a réussi à avoir malgré les pressions qui ont été exercées sur le partenaire russe. Il convient aujourd’hui de les renforcer.

Second principe. Une fois attaquée, l’Algérie ne se contentera pas de se défendre. Elle attaquera à son tour. Les bombardiers tactiques Sukhoi qui ont toujours fait partie intégrante du dispositif de l’armée de l’air algérienne n’ont pas qu’un r&o
circ;le d’appui et de pénétration derrière les lignes ennemies. Ils ont aussi pour rôle de frapper des objectifs stratégiques lointains. La présence du SU24 a constitué un élément de dissuasion important durant la décennie noire.

A l’époque, le président Zeroual a dû menacer de les faire intervenir à deux reprises contre deux Etats voisins qui ont exploité le fait que l’Algérie avait un genou à terre pour tenter une incursion en territoire algérien dans ce qui s’apparentait à un ballon de sonde que des puissances étrangères autrement mieux dotées auraient sans doute exploité pour s’inviter de la partie. L’armée de l’air algérienne, qui se préparait doucement à anticiper le remplacement de ses SU24 à l’horizon 2020, sera sans doute appelée à bousculer son agenda et accélérer l’acquisition d’un nombre conséquent de bombardiers tactiques SU34 parallèlement au renforcement de son parc de SU30MKA en attendant la maturation industrielle du futur avion de cinquième génération russo-indien à l’horizon 2020-2025.

A côté des moyens de dissuasion aériens et de défense aérienne, l’Algérie qui a été un des premiers pays arabes à se doter d’une capacité sous-marine est appelée à la renforcer tant il est évident que face à une agression aéronavale émanant de puissances atlantiques, la marine algérienne ne pourra compter que sur la guérilla sous-marine et les batteries de missiles mobiles de défense côtière, les autres frégates et corvettes ne peuvent que constituer des cibles flottantes pour l’ennemi même si leur intérêt dans une guerre régionale limitée ne saurait être amoindri.

Troisième principe. Dans une guerre asymétrique face à un adversaire doté d’une puissance stratégique absolue, l’Algérie ne se contentera pas de la guérilla aérienne et sous-marine. Elle a une arme de destruction massive qui n’est pas interdite par le droit international et qui s’appelle le peuple algérien.

Il ne s’agit pas ici du peuple considéré sous l’angle d’un quelconque romantisme métaphysique mais d’un peuple historiquement constitué et dont la longue expérience multiséculaire de guerre et de souffrance a permis d’intérioriser dans sa personnalité nationale des valeurs d’endurance et de résistance incomparables. C’est une raison supplémentaire pour donner la plus grande attention aux conditions de renforcement du front intérieur algérien que tout agresseur potentiel cherchera d’abord à diviser, à démoraliser et à affaiblir avant même d’engager son agression.

Attention aux mauvaises tentations

2. L’attaque d’In Amenas a montré que le commando a bénéficié d’une double complicité, en Libye où il a pu se procurer des armes de guerre chez des habitants de la tribu des Zenten et sur place à l’intérieur du complexe gazier où une dizaine de travailleurs auraient aidé les assaillants à organiser leur coup. Ces deux faits graves que l’Etat algérien ne saurait ignorer doivent être gérés avec circonspection.

La complicité des groupes djihadistes ou de trafiquants installés dans les pays voisins, si elle est un fait qui demande l’activation d’une coopération sécuritaire régionale sérieuse ne doit en aucun dévier vers une politique d’intervention sur les territoires des Etats voisins comme le conseillent certaines voix dans la presse algérienne sur fond d’une campagne chauvine dirigée contre les pays voisins qui ont connu le « printemps arabe ». S’il doit y avoir un « droit de poursuite », cela ne saurait être que le fruit d’un accord préalable avec l’Etat voisin concerné dans la cadre d’une coopération régionale sous peine d’empoisonner les relations de voisinage et de donner un prétexte facile à l’ingérence des puissances étrangères.

De la même façon, le renforcement de la surveillance et des conditions de circulation, de séjour et de travail dans les régions pétrolières et gazières du sud risque de dégénérer en chasse aux sorcières renforçant ainsi le climat répressif contre les populations locales qui ne peut que servir en fin de compte les forces occultes qui investissent dans les tensions sociales qui affectent certaines localités du sud algérien à des fins géopolitiques. Aucune exigence sécuritaire ne doit justifier l’atteinte aux droits humains fondamentaux de nos concitoyens surtout les plus faibles.

Aucune justification budgétaire ne saurait retarder la prise en charge urgente des dossiers sociaux les plus brûlants dès lors que la mafia de l’import-import arrive à sortir chaque année des centaines de millions de dollars sous forme de surfacturations. Le renforcement et l’accélération des projets de développement des régions les plus pauvres via l’activation des microcrédits en soutien aux projets portés par des jeunes sont une nécessité sociale aux dimensions sécuritaires évidentes de la même manière que les comportements inadmissibles des services de sécurité que l’on croyait révolus et qui consistent à harceler et à réprimer les syndicats et les comités de chômeurs en lutte pour leurs droits légitimes apparaissent aujourd’hui comme des provocations gratuites susceptibles de porter atteinte à la paix civile.

Quel partenariat avec l’Otan ?

3. Les critiques diplomatiques et médiatiques qui ont suivi l’assaut des forces spéciales algériennes ont cédé la place à des déclarations &eacut
e;logieuses. Faisons attention au baiser qui tue. Les déclarations élogieuses qui magnifient la célérité et l’efficacité de l’armée algérienne peuvent être parfois aussi sinon plus dangereuses que les déclarations scélérates et infondées qui pointaient du doigt l’incompétence sinon la complicité de cette même armée dans les massacres de la décennie noire.

L’objectif stratégique reste inchangé : il s’agit de pousser l’Algérie dans les bras de l’Otan soit par la pression et l’intimidation soit par l’attraction diplomatique. Le succès de l’intervention des forces spéciales que le nombre d’otages tués, aussi déplorable soit-il, ne saurait éclipser, a son revers de la médaille. Les Américains qui ont apprécié ne peuvent qu’être plus réceptifs à la position française qui cherche absolument à entraîner l’armée algérienne dans sa guerre au Mali. Comment l’Algérie va-t-elle désormais gérer la rançon de son succès d’In Amenas ? Au cours de sa dernière conférence de presse du 21 janvier, le premier ministre algérien a rappelé que l’Algérie n’enverra pas un seul soldat au Mali. Jusqu’à quand l’Algérie pourra-t-elle tenir sur cette position inconfortable ? La question divise aussi bien les dirigeants que l’opinion publique algérienne.

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Le traitement d’une question stratégique aussi sensible ne devrait pas s’embarrasser de débats idéologiques surannés et encore moins d’un sentimentalisme déplacé. L’attachement viscéral à la doctrine algérienne de non-intervention en dehors des frontières sauf en cas d’agression caractérisée contre l’intégrité territoriale du pays ne relève pas d’un simple choix idéologique mais d’une lecture assez réaliste des enjeux des guerres actuelles que l’Empire et son sous-traitant français cherchent à commercialiser dans la région sous les slogans de la démocratie et de la guerre contre le terrorisme.

Qui garantit que la tentative d’entraîner l’Algérie dans le bourbier sahélo-saharien ne dégénère pas en une guerre susceptible d’épuiser les ressources militaires et financières du pays, fragiliser le front intérieur qui ne peut que se diviser face à une guerre perçue par une partie importante de l’opinion publique algérienne comme une guerre non pas contre le terrorisme djihadiste, avec lequel les officines occidentales ont montré plus d’une fois une complaisance certaine, mais contre l’islam et les musulmans ?

Un débat stratégique sérieux sur le modèle turc et les possibilités de son implémentation en Algérie autour de la question lancinante de la redéfinition du statut de l’Algérie dans la sécurisation du sud de la méditerranée occidentale et du Sahel serait sans doute le bienvenu. Jusqu’où l’Algérie peut-elle aller dans sa coopération sécuritaire et militaire avec l’Otan sans tourner le dos à ses intérêts stratégiques au premier rang desquels doit figurer le consensus national qui constitue, faut-il le rappeler, un des piliers de la solidité du front intérieur sans laquelle aucune résistance sérieuse à une agression extérieure consistante n’est envisageable ? L’Etat algérien reviendra-t-il sur sa décision d’ouvrir son espace aérien aux avions français dans laquelle d’aucuns ont pu voir une première brèche dans la doctrine de non-intervention algérienne? L’Algérie se résoudra-t-elle un jour à prendre sa part dans le fardeau des responsabilités qui lui incombent dans le dispositif de sécurité régionale ? Quelle que soit la réponse qui sera donnée à cette question épineuse et eu égard au coût élevé qui doit être payé dans un cas comme dans l’autre, elle exige de l’Algérie qu’elle se prépare politiquement, économiquement, diplomatiquement et militairement, en concertation avec tous ses partenaires stratégiques, à la définition du cadre dans lequel elle devrait inscrire ses efforts et des dividendes géopolitiques qu’elle peut en retirer.

En attendant le dénouement de ce débat qui traverse les plus hautes instances politiques et militaires du pays, l’Algérie va profiter de ce nouveau vent favorable du côté américain pour remettre sur la table les dossiers mis entre parenthèses suite à la guerre en Libye au premier rang desquels les projets d’acquisition d’avions Awacs, d’un satellite de surveillance et de drones- au moins des drones de surveillance sophistiqués à défaut de drones armés-. Les chefs de l’armée algérienne ne sont pas nés de la dernière pluie pour croire un instant aux flatteries des cercles atlantiques qui ne désespèrent pas de les envoyer au casse-pipe à leur place au Mali et ailleurs tant que ces mêmes cercles continuent de tergiverser sous des prétextes juridiques et institutionnels fallacieux pour ne pas leur vendre les équipements exigés autrement que dans des conditions techniques et politiques inacceptables : matériel fortement downgradé et sous surveillance constante d’experts américains.

Défense nationale et mobilisation populaire

4. Le professionnalisme indéniable des forces spéciales algériennes dans la gestion de cette crise ne doit pas faire oublier un fait de la plus haute importance que les médias ont minimisé quand ils ne l’ont pas passé sous silence. Il s’agit du rôle admirable joué par les cadres et travailleurs algériens du site gazier et en premier lieu par ce jeune agent de sécurité, Mohamed Amine Lahmar, originaire de la localité de Mahdia dans la wilaya de Tiaret, et qui a eu le courage de refuser l’accès du site aux assaillants armés et a donné l’alerte au prix de sa vie. C’est cette alerte qui a permis aux cadres de la Sonatrach de réagir avec courage et sang-froid pour mettre les appareils en dépression et éviter ainsi le pire, contribuant ainsi à sauver des centaines de vie. Ironie du sort,
cette attaque terroriste a donné l’occasion aux cadres et travailleurs de la première société africaine et la douzième compagnie énergétique mondiale de s’illustrer, et de quelle belle manière, une deuxième fois en une décennie puisque cette réaction courageuse des cadres et des travailleurs de Sonatrach d’In Amenas vient nous rappeler la résistance admirable de leurs camarades syndicalistes qui ont joué un rôle décisif dans le retrait de la loi sur les hydrocarbures qui devait sceller le sort de ce symbole de l’indépendance nationale dans le sillage de la guerre qui a fait imploser l’Irak en 2003.

Mais cette reconnaissance que la nation tout entière doit aux cadres et travailleurs de la Sonatrach ne doit pas occulter le débat national urgent sur la nécessaire sortie de l’économie rentière et de la dépendance à l’égard des recettes des hydrocarbures. La rupture avec le système rentier est d’autant plus urgente qu’elle conditionne désormais le passage à une économie durable créatrice de valeur et d’emplois en vue de répondre aux besoins croissants d’une population de plus en plus exigeante surtout que les tensions sociales risquent désormais d’être bien mises à profit par les laboratoires de l’Empire à l’affût du moindre « printemps » qui pourrait justifier leur intervention calculée.

La convergence concrète, sur le terrain du site gazier, entre les travailleurs de la Sonatrach et l’armée algérienne constitue plus qu’un symbole. C’est une illustration concrète que le nationalisme algérien, qui est en fait un patriotisme au sens moderne du terme, n’est jamais aussi fort que quand il est habité par un contenu social concret et porté par des forces populaires assoiffées de justice et de dignité. C’est ce patriotisme d’essence sociale et populaire qui s’est emparé de larges secteurs de l’opinion publique qui se sont mobilisés à travers les réseaux sociaux pour réaffirmer leur soutien à l’Etat et à l’armée dans cette dure épreuve convaincus que c’est l’Algérie, en tant qu’Etat et société, et non pas seulement le régime, qui était ainsi agressée.

Bien entendu, étant donné le grave déficit des différentes directions politiques serviles et corrompues, les militants, les intellectuels et les associations de la société civile sont appelés à se donner des expressions politiques nouvelles capables de cristalliser les aspirations légitimes du peuple algérien dans cette phase critique, et ce en dehors des ingérences autoritaires et paternalistes d’une Administration qui a prouvé plus d’une fois ses limites.

Attention au retour des « éradicateurs »

5. La mobilisation de l’opinion publique algérienne contre les agresseurs ne doit pas être assimilée à une sorte de blanc-seing à n’importe quelle politique qui se draperait derrière des slogans patriotiques. Cette mobilisation n’a rien de schizophrénique. Cette jeunesse pourtant assoiffée de liberté peut instinctivement se hisser au niveau des enjeux de la guerre indirecte qui est livrée au pays et soutenir le bras armé de la nation sans pour autant oublier les moments difficiles où le commandement de cette armée a été entraîné dans des opérations de maintien de l’ordre douteuses qui se sont avérées autant de pièges compromettant l’unité de cette institution avant de se ressaisir sous la pression des secteurs patriotiques aussi bien au sein de l’Etat que de la société civile.

Toute mauvaise lecture de cette mobilisation de l’opinion publique algérienne aux côtés de l’armée et notamment celle qui penserait que le simple fait d’agiter le slogan de la « guerre contre le terrorisme » suffirait à légitimer n’importe quelle guerre contre la société passerait à côté des tendances sociologiques lourdes qui structurent l’imaginaire politique de la jeunesse algérienne et serait de ce fait vouée à l’échec.

Ce n’est pas parce que l’attaque d’In Amenas a été revendiquée au nom de slogans djihadistes et islamistes qu’elle doit constituer un prétexte facile au retour des secteurs politiques dits « éradicateurs » et qui sont généralement liés aux cercles d’affaires et de pouvoir les plus antipopulaires et les plus enclins à rechercher l’alignement sur les puissances occidentales tant ils restent profondément convaincus que seul un protectorat néocolonial pourra assurer la pérennité de leurs privilèges.

Parmi les premiers intellectuels algériens engagés à réagir dans ce contexte, Abdelaziz Saoudi, s’est élevé contre cette imposture politique, dans Algerieinfos, en des termes très justes : « Pendant une dizaine d’année, la ligne politique éradicatrice a été le contre-point du djihadisme. Ils ont contribué chacun de son côté à instaurer la fitna , fermant pendant les longues années noires, la voie pacifique patriotique à la crise politique. C’est la raison pour laquelle le peuple algérien a décidé de refuser à ces deux pathologies sectaires l’hégémonie sur nos consciences. L’intervention française au Mali, puis la prise d’otages qui en est le prolongement dans notre pays semble avoir réactivé le démon éradicateur. Les journaux éradicateurs des années 90, réactivent cette ligne éditoriale et travaillent l'opinion pour l'envoi de nos djounouds éradiquer les islamistes au Mali&n
bsp;».

Ces secteurs dits « éradicateurs » cherchent aujourd’hui à reconquérir les positions perdues au sein des institutions algériennes à la faveur de cette crise en mobilisant notamment certains médias qui n’ont d’indépendant que le nom puisqu’ils sont financés pour partie par l’argent sale des lobbies de l’import et de la corruption et pour une autre partie par la publicité octroyée généreusement par un Etat pressé d’acheter la complaisance des « élites » segmentées de la « république des cousins ».

Ce n’est pas un hasard si le moribond RCD a pondu à cette occasion un communiqué dénonçant ce qu’il présente comme un « échec sécuritaire, politique et diplomatique ». Le fait que les laboratoires qui l’ont instrumentalisé des années durant, s’en soient détournés, lui préférant de nouveaux partis-clients, explique sans doute le désarroi du RCD mais ce qui nous intéresse au-delà de ce qui se passe dans les caves et les égouts de la République c’est l’enjeu politique véritable qui reste, lui, inchangé : Le combat pour la démocratie et le développement durable en Algérie sera une chimère tant qu’il reste présenté sous la forme d’une opposition formelle et factice entre « pouvoir civil » et « pouvoir militaire » et tant qu’il est déconnecté du combat pour la préservation de l’indépendance et de la souveraineté nationales contre les menées sournoises de l’Empire qui viennent se greffer sur les contraintes économiques structurelles de la dépendance aggravées par le processus de globalisation en cours.

La tentative qui consiste à disjoindre le lien indissoluble qui lie le nationalisme algérien contemporain à l’islam et qui en fait sa spécificité historique risque de renforcer le fossé existant entre l’Etat et la société qui constitue précisément le joker sur lequel les adeptes de l’ « anarchie créatrice » risquent de parier le moment venu. Le « patriotisme » et le « démocratisme » galvaudés par certains en dehors du socle islamique, considéré autrement que comme un folklore culturel ou une rente politique, est une imposture aussi grave que celle des « islamistes » qui ont vite oublié l’enseignement du vénérable cheikh Ben Badis pour qui « l’amour de la patrie est un acte de foi » et qui sont prêts à pactiser avec l’ennemi d’hier et d’aujourd’hui pour arriver au pouvoir sous prétexte que le « djihad » contre l’ « ennemi proche » est prioritaire par rapport au « djihad » contre l’ « ennemi lointain » ! Pourtant, le signal envoyé par les jeunes est clair : les mêmes jeunes, qui crient chaque week-end dans les stades des slogans islamistes hostiles au pouvoir, n’ont pas hésité durant l’opération d’In Amenas à crier des slogans patriotiques et à faire le lien entre cette attaque terroriste et les menées impériales qui ont visé l’année dernière la Libye et qui pourraient viser demain l’Algérie.

La lutte implacable contre les menaces des groupes terroristes aux ramifications bien connues qui vont se multiplier ne serait-ce que pour venger leur déroute spectaculaire d’In Amenas ne doit pas servir de tremplin à ceux qui espèrent engranger des dividendes politiques et économiques en enfourchant si facilement le cheval de la croisade islamophobe. Comme le rappelle bien à propos le vieux dirigeant de la cause algérienne, Saddek Hadjeres : « Au lieu de combattre vigoureusement et intelligemment des agissements terroristes concrets et bien identifiés, on verse en connaissance de cause dans des amalgames idéologiques terrifiants à propos du grand diable vert de l’islam, comme on le faisait avec le grand diable rouge du communisme, l’essentiel étant de maintenir la lourde chape de l’oppression et de l’exploitation. »

Plus que jamais, et face aux nuages qui s’amoncellent à l’horizon, les exigences de la défense nationale se confondent aujourd’hui avec les exigences de la défense de la société. Malgré la marginalisation et la hogra, ces jeunes n’hésitent pas à sortir leurs griffes à chaque fois qu’ils ont le sentiment que l’Algérie est menacée dans sa chair et sa dignité. Qu’en serait-il demain si pour une fois l’Etat, censé être l’Etat de tous les Algériens, prenait son courage à deux mains et envoyait ses forces à l’assaut des groupes rentiers et mafieux qui ont réussi à phagocyter une partie de ses attributs de souveraineté et à détourner à leur profit exclusif une partie de ses dépenses publiques au risque de précipiter le pays dans une anarchie propice à toutes les aventures et à tous les ingérences ?

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