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Algérie : l’autre oligarchie du Maghreb

Le despotisme n’est pas une exclusivité tunisienne dans le monde arabe. Du Maroc aux pays du Golfe, les régimes en place, même s’ils se différencient par leurs techniques d’étouffer leur peuple, se partagent une constante : l’autoritarisme avec toutes ses variantes, monarchique, militaro-civil, héréditaire, féodal. En ce qui concerne l’Algérie, les similitudes sont multiples avec l’ancien régime de Ben Ali, même si les structures de gouvernance et l’exercice du pouvoir divergent sur certains aspects.

Le multipartisme sélectif et le relatif pluralisme médiatique (limité à la presse écrite), dont veulent se prévaloir les gouvernants algériens, ne sont en fait qu’un miroir aux alouettes qui dissimule mal la vraie nature du pouvoir. En effet, le régime algérien se caractérise par des ambivalences fondamentales : des normes et procédures formelles qui côtoient des règles informelles, un pluralisme sans démocratie, et une citoyenneté reconnue mais sans plein exercice.

Omnipotence et impuissance du président

Le président Bouteflika en accédant au pouvoir en 1999 a tenu à consolider le système politique opaque et fermé existant, tout en lui apportant une touche personnelle teintée de culte de la personnalité prononcé (ses portraits gigantesque sur des édifices à travers le pays, les médias publics écrits et audiovisuels à son service et à sa gloire). Avec la révision constitutionnelle qui a supprimé la limite des mandats présidentiels à deux, le chef de l’État a verrouillé complètement l’espace politique mettant ainsi en place une « démocratie » particulière. Une organisation du pouvoir caractérisée par un leadership personnalisé, des élections plébiscitaires (90,2% lors des présidentielles de 2009), et des modèles clientélistes de vote (c’est “un retour au système du parti unique” Dixit l’ambassadeur américain, David D. Pearce, source Wikileaks).

L’individualisme extrême de cette “démocratie délégative” et la personnalisation accentuée du pouvoir ont fait de Bouteflika un véritable « monarque républicain » avec des prérogatives aussi larges, voire plus importantes, que celles de ses prédécesseurs du régime monopartiste. Ainsi, le “sultanisme” algérien sous Bouteflika s’est renforcé davantage en l’appuyant sur une oligarchie politico-affairiste et en le consolidant par un réseau de clients formé principalement de personnalités de sa famille et de sa région, et sur un système de cooptation et de parrainage de personnel politico-administratif fidèle (ministres, députés, sénateurs, haute fonction publique).

D’autre part, sur le plan politique, prenant conscience que l’ex-parti unique FLN (dont Bouteflika est son président d’honneur) est discrédité et abhorré, le régime a élargi sa base de légitimité en incluant un autre parti nationaliste, frère siamois du premier (le RND du premier ministre) et un parti islamiste docile, créant ainsi une coalition gouvernementale. La place de l’opposition dans ce système ” bouteflikien” n’est là que pour la figuration. Le chef de l’État a réussi à laminer une opposition désorientée qui n’arrive plus à organiser une riposte concertée devant sa marginalisation dans l’espace public et médiatique hermétique et sclérosé (aucun accès aux médias lourds publics).

De plus, plusieurs normes autoritaires touchant particulièrement les violations des droits humains et les restrictions des libertés dues à l’état de siège (en cours depuis 19 ans) perdurent, ainsi que d’importants éléments hérités du passé monopartiste. Parmi ces éléments, on retrouve le maintien voire le retour de certains caciques du parti unique (le Parlement en est l’illustration), la subordination de l’administration et de la justice au pouvoir politique, la primauté de l’administrateur sur l’élu, et la main mise du pouvoir sur les structures d’information soit en utilisant une presse publique à son service, soit en essayant de dompter la jeune presse privée 133e rang mondial en matière de liberté de la presse).

Matrice du pouvoir : l’armée

A la différence du régime tunisien, l’armée algérienne est au cœur même de l’État. En s’accaparant du pouvoir dès l’indépendance en 1962, elle s’est imposée comme le centre de décision, la détentrice de la réalité du pouvoir et la marraine de tous les présidents « en civil » qui se sont succédés. Ainsi la création du vrai pouvoir en Algérie ne s’effectue pas dans les institutions compétentes mais au sein d’un “conclave corporatiste” qui regroupe les principaux chefs militaires. C’est dans ce forum informel que se décident les grandes lignes de la politique algérienne et les choix majeurs non seulement sécuritaires, mais aussi économiques et stratégiques. Paradoxalement, le président de la République est tenu de se soumettre aux décisions de ces “grands décideurs” informels.

Ainsi, malgré sa domination totale et sa main mise sur l’ensemble des institutions formelles de l’État, le président est diminué par son incapacité et son inefficacité à imposer, ou du moins à faire adhérer les autres “décideurs de l’ombre” à certains de ses choix. En un mot, l’hyper-présidentialisme algérien est un mélange “d’omnipotence et d’impuissance”.

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Cette omnipotence lui est accordée par les dispositions constitutionnelles et légales qui font de lui le maître sans partage dans la prise des décisions, les autres institutions (judiciaire, législative) ne constituant que d’infimes obstacles pour un exercice absolu de son autorité. Les seules contraintes qui peuvent limiter l’hyper-présidentialisme du chef de l’État sont les réalités du pouvoir, qui l’obligent à tenir compte des intérêts et des positions du clan militaire qui a parrainé son élection. Donc, omnipotence sur les institutions formelles, et impuissance devant une institution inconstitutionnelle et informelle.

Cette dernière s’appuie sur un puissant appareil militaro-sécuritaire répressif et redouté, la police politique. Un corps opaque jouissant d’une liberté absolue de manœuvre et qui emmaille tous les secteurs de la vie politique et socio-économique du pays. Dans la périphérique de ce centre se côtoient les membres de la nouvelle bourgeoisie, formée d’anciens militaires recyclés dans les affaires et leurs protégés civils qui monopolisent entre eux des pans entiers du secteur de l’import-export.

A côté de cette bourgeoisie prédatrice, agissent les barons du commerce informel et de l’économie parallèle dans l’opacité et l’impunité totale reniant tous les règles élémentaires du commerce (non paiement de taxes et d’impôts et transaction sans facture et en espèces, ouvrant ainsi la voie au blanchiment d’argent du crime et de la corruption, évalué à environ 3 milliards de dollars). Un autre cercle s’y greffe, constitué notamment de rentiers du système (politiciens, bureaucrates et intellectuels organiques dont le statut socio-professionnel est conditionné par leur fidélité et/ou leur appartenance à un clan).

La survie de cet organe informel « faiseur de rois », malgré la « démocratisation » du régime, et le poids de ses décisions laissent aux citoyens la désagréable impression que la “démocratie” mise en place est dépourvue de contenu, que le vrai pouvoir n’a pas changé de titulaire et qu’il demeure ailleurs hors des institutions représentatives classiques. D’ailleurs, l’image des « élus du peuple » est discréditée auprès de la population qui leur reproche non seulement leur indécence en s’octroyant des privilèges et des salaires démesurés (qui représentent plus de 25 fois le salaire minimum, autres frais non inclus), mais aussi leur “inutilité” en raison de leur docilité, voire leur effacement total devant l’exécutif gouvernemental. La fonction d’élu est désormais associée à l’enrichissement rapide et à des passe-droits, entraînant ainsi une rupture totale avec la société qui a trouvé dans la rue le seul forum d’expression de ses revendications.

L’ensemble de ces facteurs font en sorte que la “démocratie” algérienne soit une “démocratie vide” ou une “démocratie pauvre”, non pas à cause de l’absence d’institutions pluralistes, mais par le fait que la réalité du pouvoir reste détenue par des acteurs non élus agissant dans des institutions informelles ou administratives.

Clientélisme et corruption

La “démocratie” algérienne présente une autre caractéristique : la présence d’une autre institution informelle, permanente et envahissante : le néo-patrimonialisme. Sous le règne du président Bouteflika, le clientélisme comme forme de gouvernance a pris une ampleur inquiétante. Ce qui a eu pour résultats : la confusion de la chose publique et de la chose privée, la corruption généralisée avec des scandales de détournements de biens publics (105e rang mondial en matière de corruption), la déliquescence de l’État, le mépris (hogra) envers les adversaires politiques et les citoyens, l’exil des compétences, la négation des règles de la méritocratie, l’émigration aventureuse, la fraude électorale facilitée par une administration aux ordres, le statut discriminatoire de la femme, etc. En conséquence, une nouvelle conception de la citoyenneté est née. Une citoyenneté discriminatoire qui n’est que le privilège d’une minorité qui a accès aux institutions informelles, alors que les autorités publiques sont censées suivre des règles universalistes.

La somme de toutes ses ambivalences a fait en sorte que l’organisation actuelle du pouvoir en Algérie réponde davantage à la définition de la “democradura”, de la “démocratie autoritaire” ou “Illiberal Democracy”, c’est-à-dire à cette forme particulière d’organisation politique où les arrangements institutionnels et constitutionnels servent de façade pour assurer la pérennité de l’autocratie.

Cette « démocratie » risque de perdurer sans un changement fondamental de la structure du pouvoir en Algérie, à travers la négociation d’un contrat social et politique entre toutes les composantes représentatives de la société. Les luttes de clans qui ont déjà commencé en prévision de la succession de Bouteflika, amoindri par l’âge et la maladie, ne portent pas sur des choix idéologiques divergents, mais sur le contrôle des leviers de commandement et de la rente pétrolière. Les différents intérêts et castes se rejoignent dans l’impératif de préserver un système qui leur assure le pouvoir et l’enrichissement.

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