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“Algérie ! Algérie !” un roman passionnant d’Eric MICHEL

Interview de Eric Michel, parisien et petit-fils de Kabyle, qui vient de publier aux Presses de la Renaissance un premier roman exceptionnel “Algérie ! Algérie !”, dans lequel il réussit l’exploit de retracer toute l’histoire de la guerre d’Algérie (de 1954 jusqu’aux massacres d’octobre 1961), en Algérie, comme en France, au travers d’une fresque qui tient le lecteur en haleine de bout en bout. Eric Michel viendra présenter son livre à la librairie Résistances* ce mardi 16 octobre à partir de 19 H 30.

Votre roman est étonnant par la masse d’informations qu’il contient sur tous les sujets : l’organisation du FLN, de ses sympathisants les “porteurs de valises”, la question harkie, les forces de répression et de leurs méthodes, notamment la torture, les choix de chacun des dirigeants français… Vous n’avez laissé aucune aspect de côté.A quelles sources avez-vous puisé toutes ces informations ?

C’est un travail de recherches qui remonte à plusieurs années. On cherche toujours un peu du côté où l’on pense trouver, c’est-à-dire vers nos “sympathies”. Comme je ne fais pas mystère d’avoir puisé chez de brillants historiens, ce que je ne suis en aucun cas, j’ai inséré une bibliographie en fin d’ouvrage, par honnêteté et aussi pour les lecteurs qui souhaiteraient “vérifier” certaines informations. A titre d’exemple, chez Pierre Vidal-Naquet, Raphaëlle Branche, Jean-Luc Einaudi, Patrick Rotman, Benjamin Stora mais aussi chez des Algériens, tels Ali Haroun ou Mohamed Harbi.

Un ami était troublé récemment, me disant qu’il n’arrivait pas à dicerner si les documents étaient des archives ou de l’invention. C’est un des plus beaux compliments qu’il pouvait me faire. Bien sûr, je ne lui ai pas répondu… J’ai déjà fait le livre. Au lecteur de chercher…

Cependant, vous êtes indulgente avec moi car je ne traite pas beaucoup de l’OAS, ni des massacres de Charonne, ni des accords d’Evian qui conduisirent à l’Indépendance, ni des massacres de harkis par la suite et je vais vous en donner la raison. J’ai volontairement coupé le roman quelques jours après les massacres d’octobre 61 par qu’ils me paraissent être le pic, au moins sur le plan symbolique, des relations dégradées entre Français et Algériens. Et puis parce que les morts du métro Charonne ont occulté suffisamment longtemps que des centaines d’Algériens avaient été jetés à la Seine le 17 octobre 61, sous les yeux de la population parisienne…

On est très impressionné également de la manière dont vous pénétrez la psychologie des personnages, y compris des policiers, des militaires, et d’un homme comme Papon —très présent dans votre ouvrage—, que l’on voit réfléchir, faire des calculs et des choix au fil des semaines et des mois. Comment avez-vous fait pour pénétrer dans leurs cerveaux ?

Je pense que même si les personnages sont “détestables”, on doit les traiter, d’une certaine manière, avec “égards”. Autrement dit se couler dans leur logique et faire que leur “mécanique” fonctionne. Pour Papon, par exemple, je me suis appuyé sur un certain nombre de déclarations, puis j’ai laissé l’imagination faire le reste, en essayant de rester au plus près de ce que je pensais être cohérent. J’avoue ne pas avoir eu beaucoup d’effort à faire…

L’Histoire m’a donné les bases. Bien sûr, des dialogues ne sont pas tous à lui mais, dans l’économie du roman, puisque c’est un roman à part entière, cela me paraissait correspondre. D’autre part, il faut toujours veiller, surtout lorsqu’il s’agit d’une fresque qui se déroule sur plusieurs années, à ce que chaque intervention des personnages soit porteuse d’une évolution, tant au niveau de la psychologie que de l’action. En littérature, selon moi, la psychologie doit être action et l’action “révéler” les traits de caractères les plus profonds.

Votre roman se situe clairement du côté du FLN, ce qui ne vous empêche pas de montrer les divergences, les tatonnements, les cas de conscience, voire les erreurs et tout ce qui va par la suite entâcher la construction d’un Etat algérien sur des bases saines. Il est rare de lire un livre qui soit à la fois partisan et aussi lucide, et qui donne également à réfléchir. On se dit en le lisant, à propos des résistants algériens : “Avaient-ils d’autres choix ? Si oui, lesquels ?”. Vous avez des réponses à cette dernière question ?

D’autres choix, lorsqu’il s’agit d’exactions comme le massacre de Mélouza par exemple, sûrement. Ils font honte à la résistance je ne les cautionne en aucun cas. Pour ce qui est du FLN, j’ai essayé de restituer leur point de vue parce qu’il était le mouvement dominant, celui qui a fait principalement la guerre.

Vous avez absolument raison de dire qu’ils se trompent aussi parfois, et que j’en fait état. Il reste que la seule question qui se pose, est de savoir si l’on est pour ou contre le colonialisme, car “il n’y a pas de bon ou de mauvais colon mais des colons, c’est tout”, disait Sartre. Pour le dire autrement, on aurait pu imaginer que l’Algérie restât française. Il aurait fallu pour cela que les “autochtones”, comme on les appelait, eussent les mêmes droits que les Européens. Cela aurait alors signifié que tous avaient un même statut en terre de France, et ce n’est plus alors la colonisation. Soyons clairs. La colonisation, c’est l’invasion au détriment du droit. Je suis désolé de le dire de façon un peu péremptoire, mais qui dit le contraire commet un abus de langage. Les mots ont une signification et on ne peut pas tout soutenir et son contraire et, par pitié, qu’on ne vienne pas me dire que le combat pour l’Indépendance était injuste parce qu’un certain nombre d’Algériens ont mésusé de leur liberté par la suite.

Je me situe aussi du côté des Algériens pour une autre raison. Aux personnes que cela pourrait heurter, je rappelerai, tout de même, que le son de cloche qui nous ébranle les oreilles depuis quarante cinq ans va toujours dans le même sens. La plupart du temps, en matière d’art et que cela soit au cinéma ou en littérature, les Algériens, du moins pour cette période, sont relégués à une sorte d’arrière-plan décoratif, une “couleur locale”. Les “Arabes” ont souvent des bouches et ne parlent pas. Ils sont souvent dénués de psychologie. Au fond, ils ne sont jamais que les faire-valoir des Européens.

Si l’on refuse aux Algériens une psychologie dans un roman, c’est bien qu’on veut les faire taire, purement et simplement. Je n’avais pas envie que mes personnages européens parlent tous seuls, mais trouvent en face du “répondant”.

Vous établissez également les responsabilités de la gauche (PS et PC) sans la moindre ambiguité, avec des faits très précis à l’appui. On voit bien à la lecture de votre roman comment les membres du PC qui ont tenté de résister, par exemple, ont été complètement abandonnés par leur direction. Vous avez jugé important de montrer comment tous ceux qui étaient choqués par la politique française, par l’envoi des troupes en Algérie, par la torture, ont été livrés à eux-mêmes et à la répression. Cela me semble particulièrement instructif dans la période de durcissement que nous vivons actuellement, où l’on ne voit pas de forces politiques ou syndicales afficher une vraie volonté de résistance. Qu’il s’agisse de ce qui se passe en France avec la déportation d’immigrés, ou encore des entreprises sanglantes auxquelles participent nos gouvernements en Palestine, en Irak… sans parler de la torture (Guantanamo, Pa…). Qu’en pensez-vous ?

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Il y a plusieurs questions. La première. Oui, le PCF était une sorte de pantin qui attendait la bonne parole du Kremlin, contrairement aux Trotskystes, en la matière tout aussi “désobéissants” que les chrétiens dit “de gauche”. Les membres du PC qui s’engageaient autrefois aux côtés des “porteurs de valises”, autrement dit de ceux qui entraient en résistance contre l’Etat français à cause de ses multiples trahisons à la constitution et aux droits de l’homme, devaient déchirer purement et simplement leur carte. Voir à ce sujet Les Porteurs de valises, de Rotman et Hamon. Bien.

Abandonnés et solitaires, beaucoup l’ont été, toutes proportions gardées, comme autrefois les résistants des maquis français pendant l’invasion allemande. Ceux qui ont fait ces choix savaient qu’ils rencontreraient beaucoup d’adversisté. Ils ont pourtant osé. Des personnes comme Henri Alleg, communiste torturé par les paras de Massu, ont fait preuve de courage et de détermination. C’est grâce à des hommes et des femmes comme eux (et elles) que les valeurs de la France furent sauvegardées. Par ce petit reste…

Quant à des problèmes plus contemporains, comme celui de Guantanamo ou bien encore d’Abou Graïb, c’est absolument intolérable. Je m’étonne que la majorité des gens interrogés soient contre la torture, mais… Qui dit “mais” signifie qu’il y aurait une légitimité de la torture au prétexte de l’urgence, en l’occurence militaire. C’est non seulement idiot, mais dangereux et délétère. Tout a un prix. Un homme torturé, c’est dix hommes ulcérés dans l’avenir. Quant aux Palestiniens, j’appelle de mes voeux qu’ils puissent vivre en paix, comme tout un chacun, sur leur terre.

Les “Porteurs de valises” occupent une place importante dans votre livre, ce qui est précieux à une époque où l’on ne parle de “devoir de mémoire” et de “Justes” que pour le comportement de la France et des Français pendant la seconde guerre mondiale. Pourquoi à votre avis les “Justes” qu’ont été les porteurs de valises ne sont-ils pas célébrés comme tels aujourd’hui ?

L’année dernière, Jacques Chirac a rendu hommage “aux justes” de la dernière guerre. Si je fais le calcul, d’ici 2020 ou 2030, on verra peut-être rendre un hommage appuyé à des personnes comme Francis Jeanson, le chef français des porteurs de valises… Mais cela m’étonnerait, puisque la guerre d’Algérie n’était pas une guerre, mais une “opération de maintien de l’ordre”. Ce n’est qu’en 1999 qu’on a parlé, officiellement, de “guerre” d’Algérie. Si l’on a tant attendu pour parler de “guerre”, c’est peut-être parce que, dans le même temps, on savait qu’on ne pourrait plus, ou moins facilement, parler de “terroristes” mais de combattants algériens. Non ?

D’ailleurs, dans votre roman, vous faites souvent le parallèle avec Vichy. Pourquoi ?

J’établis un parallèle pour me faire entendre, mais pas de comparaison. Il ne faut jamais confondre les problèmes. Staline, c’est 20 millions de morts mais ça n’est pas le nazisme. Si l’on ne fait pas de distinction dans le crime, on se condamne a ne rien comprendre à la spécificité de chaque crime. Dès lors, la violence devient une sorte de notion abstraite, un péché originel, une fatalité devant laquelle il ne nous resterait plus qu’à baisser les bras. Chaque crime a une conséquence commune, la mort. Mais les chemins qui y mènent sont bien différents et il convient d’établir des distinctions.

Vous avez choisi de mettre l’accent sur la Kabylie, au travers de vos héros comme des paysages que vous semblez bien connaître. C’est appréciable à une époque où certains essaient de jouer la division entre les Kabyles et les autres Algériens. Pourquoi ce choix et quel est votre rapport à la Kabylie ?

La Kabylie ?… Un rapport affectif. Mon grand-père maternel était Kabyle et ma mère a vécu son enfance à Alger. Pour autant, ces origines, si elles donnent “une couleur” au livre n’en sont pas le motif et, au fond, secondaires. Ce qui m’importe avant tout, c’est la justice.

Interview réalisée par CAPJPO-EuroPalestine

* Librairie Résistances : 4 Villa Compoint (angle du 40 rue Guy Môquet). 75017 Paris. M° Guy Môquet ou Brochant. Ligne 13. http://www.librairie-resistances.com. On peut aussi y commander le livre d’Eric Michel (486 pages, 24 euros)

CAPJPO-EuroPalestine

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