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Abu al-Qasim az-Zahrawi (Abulcasis), ‘’père de la chirurgie opératoire’’ (1/2)

Parmi les nombreux savants qui ont enrichi généreusement le panorama scientifique de l’Espagne médiévale, l’un des plus grands est sans aucun doute le médecin et chirurgien cordouan Abulcasis Az-Zahrawi (936- 1013). i

Ses premières et grandes contributions au domaine de la chirurgie ont été déterminantes. Pour ses efforts dans ce domaine, un certain nombre de chirurgiens et de spécialistes l’ont surnommé le “Père de la chirurgie opératoire“. ii

Qui est az-Zahrawi ?

Abu al-Qasim Khalaf Ibn al-Abbas az-Zahrawi (en Arabe : أبو القاسم بن خلف بن العباس الزهراوي) (936-1013 AD), également connu en Occident sous le nom d’Abulcasis, était l’un des chirurgiens les plus renommés de l’ère musulmane. iii Né à az-Zahara, à 8 kilomètres au nord-ouest de Cordoue, il y étudia, enseigna et pratiqua également la médecine et la chirurgie. iv Sa plus grande contribution à l’histoire est son ouvrage Kitâb at-Tasrif, une encyclopédie en trente volumes sur la pratique médicale, dont la partie la plus importante comprend trois livres sur la chirurgie : sur la cautérisation, sur l’incision, la perforation, les plaies, et sur la fixation des os. v

Az-Zahrawi est né en Andalousie. Sa date de naissance n’est pas connue avec certitude, mais les spécialistes s’accordent à dire qu’elle est postérieure à 936, année de la fondation de la ville d’az-Zahara où il est né. La nisba (titre attributif), al-Ansari, dans son nom, suggère une origine de la tribu médinoise d’al-Ansar, vi ce qui permet de retracer son ascendance jusqu’à Médine dans la péninsule arabique.

Il a vécu la majeure partie de sa vie à Cordoue. C’est également là qu’il a étudié, enseigné et pratiqué la médecine et la chirurgie jusqu’à peu de temps avant sa mort, vers 1013, deux ans après le sac d’az-Zahara.

Le monde islamique était très en avance sur l’Occident européen en matière de médecine. Jusqu’en 1600, le principal manuel de médecine en Europe était le Canon de la médecine d’Avicenne, un scientifique et philosophe perse du XIe siècle dont la patrie faisait partie de l’Empire islamique en pleine expansion. Les Arabes ont créé des collèges de traduction en Espagne et en Sicile, qui ont rendu accessible en arabe la richesse des connaissances contenues dans les écrits grecs, syriaques, et sanskrits.

Ils étaient à leur tour traduits en latin. De grandes salles de science avec des bibliothèques et des laboratoires astronomiques sont créées à côté des collèges de traduction pour promouvoir la recherche. L’Espagne et la Sicile deviennent ainsi deux grands centres d’échanges intellectuels et scientifiques entre l’Orient et l’Occident. Cordoue était le centre du savoir en Europe. Lane-Poole, le poète britannique, écrivait au XIIIe siècle : vii

‘’To Cordoba belong all the beauty and ornament

That delights the eye, or dazzles the sight.

The dress is of banners of learning, well knit together

By the men of science and the masters of every art’’

[”A Cordoue appartiennent toutes les beautés et les ornements

qui ravissent l’œil ou éblouissent la vue.

La robe est faite de bannières de l’apprentissage, bien tricotées ensemble

Par les hommes de science et les maîtres de chaque art”.]

Il reste peu de détails sur la vie d’az-Zahrawi, hormis son œuvre publiée, en raison de la destruction d’az-Zahara lors des conflits castillano-andalous ultérieurs. Son nom apparaît pour la première fois dans les écrits d’Abu Muhammad bin Hazm (993-1064), qui le cite parmi les plus grands médecins de l’Espagne mauresque. Mais nous avons la première biographie détaillée d’az-Zahrawī dans le Jadhwat al-Muqtabis (Sur les savants andalous) d’al-Ḥumaydī (1029-1095), achevé six décennies après la mort d’az-Zahrawi.

Az-Zahrawi était un grand médecin de la cour du calife andalou al-Hakam II (915-976), à une période considérée comme l’”âge d’or” de l’Espagne arabe, où les sciences naturelles et mathématiques ont atteint leur apogée. Il était contemporain de chimistes andalous tels que Ibn al-Wafid, al-Majriti et Artephius. Il a consacré toute sa vie et son génie au progrès de la médecine dans son ensemble et de la chirurgie en particulier. viii

Pour illustrer son humanité, az-Zahrawi passait la moitié de ses heures de travail à soigner des patients en tant que bénévole. Il recommandait que les étudiants ayant de bonnes notes en langue, en grammaire, en mathématiques, en astronomie et en philosophie puissent étudier la médecine. Sa relation avec ses étudiants était semblable à celle d’un père avec ses enfants. Il conseillait à ses étudiants de se spécialiser dans un domaine de la médecine afin d’atteindre la compétence, et il montrait toujours qu’il valorisait les concepts éthiques. Il faisait souvent référence à Galien, Paul d’Égine, ar-Razi et Ibn al-Jazzar. ix

L’âge d’or de l’Islam a été nommé ainsi en reconnaissance de l’avancement des connaissances humaines et de l’efficacité avec laquelle il s’est produit. Une période qui s’étend de la fin du VIIe siècle au début du XIVe siècle a vu l’illumination des pratiques médicales et la transmission des écritures à l’Europe. Cela a naturellement conduit à l’essor de la science de la Renaissance. Abulcasis, est réputé pour avoir présenté ses innovations dans une encyclopédie médicale et chirurgicale en trente volumes, connue sous le nom de “Kitâb at-Tasrîf”, qui se traduit par “Livre des concessions“. On y trouve les racines de nombreuses technologies modernes encore utilisées et une base de connaissances qui dépassait son époque.

L’écart entre les connaissances de l’Orient et celles de l’Occident est devenu plus évident lorsque l’une des innovations d’Abulcasis, le spéculum vaginal, n’a pas été entièrement comprise et que l’une de ses parties a été considérée à tort comme une décoration. Son excellence dans les domaines de l’obstétrique et de la gynécologie, de la chirurgie mammaire, de la phytothérapie et de la neurochirurgie est apparue clairement dans ses discussions au sein du Kitâb at-Tasrîf. Il était également un éducateur passionné qui s’efforçait d’encourager l’étude de l’anatomie post-mortem, alors taboue. Abulcasis a vraiment eu un effet significatif sur la médecine et la chirurgie d’aujourd’hui.

Apogée de la médecine arabo-islamique

Du vivant de Galien (129-217 après J.-C.), la pensée magique et surnaturelle remplaçait déjà la brillante pensée médicale rationnelle grecque de l’époque d’Hippocrate et de l’école de médecine d’Alexandrie (IIIe siècle av. J.-C.) x d’Hérophile et d’Érasistrate. Les études de Galien sur l’anatomie et la physiologie, réalisées sur des animaux, ont constitué la dernière réalisation de la médecine gréco-romaine. Les auteurs byzantins ultérieurs étaient principalement des compilateurs qui ajoutaient aux œuvres précédentes leurs contributions personnelles et parfois très importantes.

Après la chute de l’Empire romain d’Occident, en 476 après J.-C., les populations occidentales ont été envahies par des hordes de barbares, et privées de leurs livres. La médecine et les soins de santé furent confiés à des moines et des nonnes dans des monastères où régnait un mysticisme théurgique et démoniaque. La chirurgie fut de plus en plus dépréciée et devint un art méprisable, pratiqué par les barbiers, les sages-femmes ou les bouchers.

Les sciences arabes, y compris la médecine, sont dirigées par des auteurs arabes jusqu’au XVIe siècle. Les médecins arabes ont pris soin de l’héritage gréco-romain, traduisant en arabe les auteurs grecs qui, autrement, auraient été perdus. Leur contribution la plus importante a été le développement de la pharmacie. La médecine arabe a largement régné en Europe tout au long du Moyen Âge.xi Cependant, les Arabes n’ont pas accepté aveuglément les auteurs grecs. Ils analysaient leurs écrits, souvent lourds et obscurs, en extrayaient l’essentiel et en écartaient les détails. xii

Le portrait du médecin réalisé par le poète Geoffrey Chaucer (1340-1400) dans le prologue des “Contes de Canterbury” illustre l’importation européenne de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie arabes à son époque. Chaucer cite des auteurs arabes aux côtés d’autorités gréco-romaines et d’imminents médecins européens contemporains : xiii

‘’With us was a Doctor, a Physician; for skill in medicine and in surgery there was no peer in this entire world. He watched sharply for favorable hours and an auspicious ascendant for his patients treatment, for he was well grounded in astrology. He knew the cause of each malady, if it was hot, cold, dry or moist, from where it had sprung and of what humor. He was a thorough and a perfect practitioner. Having found the cause and source of his trouble, quickly he had ready the sick man’s cure. He had his apothecaries all prepared to send him electuaries and drugs, for each helped the other’s gain; their friendship was not formed of late! He knew well the old Aesculapius, Dioscorides and Rufus, Hippocrates, Haly and Galen, Serapion, Rhasis and Avicenna, Averroes, Damascene and Constantine, Bernard, Gatisden and Gilbertine. His own diet was moderate, with no excess, but nourishing and simple to digest. His study was only a little on Scripture. He was clad in red and blue-gray cloth, lined with taffeta and sandal silk. Yet he was but moderate in spending, and kept what he gained during the pestilence. Gold is a medicine from the heart in physicians’ terms; doubtless that was why he loved gold above all else.”

[‘’Il y avait parmi nous un docteur, un médecin, dont les compétences en médecine et en chirurgie n’avaient pas d’égal dans le monde entier. Il surveillait attentivement les heures favorables et un ascendant de bon augure pour le traitement de ses patients, car il était bien informé en astrologie. Il connaissait la cause de chaque maladie, si elle était chaude, froide, sèche ou humide, d’où elle avait surgi et de quelle humeur. Il était un praticien complet et parfait. Ayant trouvé la cause et la source de son mal, il avait rapidement préparé le remède du malade. Il avait ses apothicaires tout prêts à lui envoyer électuaires et médicaments, car chacun aidait au gain de l’autre ; leur amitié n’était pas née de la dernière pluie ! Il connaissait bien le vieil Esculape, Dioscoride et Rufus, Hippocrate, Haly et Galien, Serapion, Rhasis et Avicenne, Averroès, Damascène et Constantin, Bernard, Gatisden et Gilbertine. Son propre régime alimentaire était modéré, sans excès, mais nourrissant et simple à digérer. Il n’étudiait que très peu l’Écriture. Il était vêtu de tissu rouge et bleu-gris, doublé de taffetas et de soie de sandale. Pourtant, il n’était que modéré dans ses dépenses, et gardait ce qu’il avait gagné pendant la peste. L’or est un médicament du cœur en termes de médecins ; c’est sans doute pour cela qu’il aimait l’or par-dessus tout. “] (Chaucer, Contes de Canterbury, vv. 409-444)

La chirurgie était une affaire difficile. C’était le dernier recours possible, lorsque les thérapeutiques médicales échouaient. Cependant, d’après Bliquez : xiv

something like 120 operations were performed, at least in some places at some times, over the course of the Roman Empire”

[“quelque chose comme 120 opérations ont été pratiquées, du moins dans certains endroits à certains moments, au cours de l’Empire romain”]

À l’époque gréco-romaine, la médecine et la chirurgie étaient considérées comme des tâches complémentaires, exécutées avec autant de soin et de fierté.

Les médecins romains avaient l’habitude d’être enterrés avec leurs outils professionnels et avec les symboles de leurs arts. xv Les tombes de médecins enterrés avec leurs instruments sont les plus nombreuses. Cent sept publications font état de tombes de médecins enterrés avec leurs outils, datant du premier siècle avant J.-C. jusqu’au troisième siècle après J.-C. Les tombes ont été trouvées dans tout l’Empire romain. xvi

Les médecins grecs et romains préparaient également leurs médicaments, comme l’affirme le grand encyclopédiste romain Pline l’Ancien (23-79 après J.-C.). Pline se plaignait des patients qui se fiaient à des marchands de médicaments qui gâchaient tout par des altérations frauduleuses. xvii

Les Arabes ont poursuivi et amélioré la médecine, la pharmacie et la chirurgie gréco-romaines. Albucasis n’est pas le seul médecin arabe à avoir écrit sur la chirurgie. Deux des médecins arabes les plus remarquables ont également écrit sur la chirurgie. Rhazes, Abū Bakr Muhammad ibn Zakariyyā ar-Rāzī (865-925 de notre ère), médecin, alchimiste et philosophe, né en Iran, a également écrit sur la chirurgie dans son livre al-Manṣūrī fī ‘ṭ-ṭibb (chapitre VII). L’ouvrage a été traduit en latin sous le titre Liber medicinalis Almansoris par Gérard de Crémone (vers 1114-1187), un érudit italien qui travaillait à Tolède et traduisait des ouvrages scientifiques de l’arabe vers le latin. Rhazes a tiré parti de son expertise en alchimie et a utilisé l’alcool, qu’il a distillé pour la première fois, comme antiseptique, dans ses onguents pour les plaies chirurgicales. Il utilise également l’opium comme anesthésique et analgésique. xviii

Avicenne, Abu ‘Ali al-Husayn ibn-Sīnā (980-1037 de notre ère), xix né en Perse, était un philosophe, un médecin, un poète, et la principale figure de l’âge d’or islamique. Dans son traité médical, Canon de la médecine, il inclut la chirurgie et l’utilisation de médicaments simples et composés (Avicenne, 1507). xx Il a présenté la chirurgie mineure et majeure qu’il a tirée des auteurs gréco-romains, en ajoutant sa propre expérience et ses idées. Il utilisait des sédatifs, des anesthésiques et accordait une attention particulière à l’ophtalmologie. Cependant, la chirurgie occupe une petite place dans ses traités. xxi

Abulcasis et son temps

L’étude de la médecine, comme celle des mathématiques et de la philosophie dans le monde antique, a suivi un parcours familier : Les Mésopotamiens et les Égyptiens ont découvert quelques principes de base, puis les Grecs ont largement étendu ces connaissances à des applications plus pratiques grâce aux célèbres Hippocrate, Aristote et Galien, entre autres.

Alors que l’apprentissage scientifique se morfondait en Occident, il s’épanouissait en Orient aux mains des musulmans. Lorsque les armées musulmanes ont envahi la Syrie, les musulmans ont eu accès à un riche héritage romain et grec. En outre, les conquêtes musulmanes les ont mis en contact avec les anciennes cultures de la Perse et de l’Inde. En effet, les scientifiques musulmans ont entrepris de traduire et d’adopter les connaissances antérieures et de les faire progresser grâce à de grands scientifiques. Parmi les chefs de file connus dans le domaine de la médecine figurent Rhazes et Avicenne, qui ont eu une influence directe sur Albucasis.

Albucasis était un médecin musulman d’origine andalouse et non arabe. L’œuvre de sa vie, connue sous le nom de “at-Tasrîf“, était une encyclopédie complète de la médecine, peut-être le plus grand ouvrage de ce type écrit au Moyen Âge. Bien que seul le dernier volume de cet ouvrage soit consacré à la chirurgie, il en est devenu la partie la plus connue en Occident. Comme Avicenne, Albucasis pensait que les médecins devaient observer attentivement leurs patients. Renouant avec l’esprit de la médecine hippocratique, il exhortait les médecins à se comporter de manière éthique envers leurs patients.

Presque toutes les conditions médicales possibles sont abordées dans son livre “at-Tasrîf“. Comme Aristote et Galien, il ne s’est pas contenté de consigner les détails qu’il observait chez les humains. Au contraire, il a également disséqué des animaux pour comparer leurs organes internes à ceux des humains.

Voici quelques exemples des réalisations d’Albucasis dans les différents domaines de la chirurgie :

  • Orthopédie (chirurgie des os et des articulations) : il a décrit des procédures dans ce domaine, notamment la technique de Kocher pour réparer une épaule disloquée. Il a également décrit la technique de l’ablation de l’os du genou dans les cas où il est fracassé.
  • Dentisterie : il a décrit de nombreux problèmes dentaires tels que des dents mal alignées et a suggéré des moyens de corriger ces défauts. Il a également démontré des techniques pour réimplanter des dents qui avaient été arrachées de la bouche et a décrit comment fabriquer des dentiers artificiels à partir d’os d’animaux.
  • Chirurgie plastique : il a utilisé de l’encre pour marquer les sites d’incision et a décrit la chirurgie de réduction mammaire.
  • Chirurgie gastro-intestinale : il a opéré avec succès les intestins. Il a également développé l’utilisation innovante de la soie et du catgut pour suturer les plaies.
  • La neurochirurgie : Il a décrit certaines affections causées par des blessures à la tête et à la colonne vertébrale. Il a développé des outils spéciaux pour percer le crâne sans endommager le cerveau. Il a également démontré des techniques permettant de soigner les fractures de la colonne vertébrale.
  • Chirurgie de l’oreille, du nez et de la gorge (ORL) : il a décrit des méthodes pour guérir les fractures des os du nez. Il a également pratiqué des opérations délicates sur l’oreille.

Outre les nombreuses techniques chirurgicales qu’il a décrites, Albucasis a mis au point une variété d’instruments chirurgicaux, dont certains sont encore utilisés aujourd’hui. Il s’agit notamment d’abaisse-langue, d’extracteurs de dents, de dispositifs obstétriques (y compris des forceps), d’un crochet pour retirer les polypes nasaux, de seringues pour effectuer des lavements et de divers couteaux et scies chirurgicaux. Il a également perfectionné l’utilisation de la cautérisation pour sceller les vaisseaux sanguins, ainsi que la technique de ligature ou d’attachement des principaux vaisseaux sanguins pour éviter les saignements.

Albucasis était très prudent dans ses conseils à ceux qui voulaient devenir chirurgiens. Il exigeait qu’ils terminent leurs études de médecine générale avant d’essayer de pratiquer la chirurgie. Ce plan d’apprentissage est remarquablement similaire à notre propre système moderne de formation des médecins, qui consiste à apprendre la médecine générale avant de se spécialiser dans un domaine quelconque.

Lorsque la ville de Tolède a été capturée par Aflonso le Brave en 1085, Gérard de Crémone y est arrivé et s’est lancé dans la traduction d’un grand nombre des principaux ouvrages scientifiques arabes, dont at-Tasrîf d’Albucasis. De Tolède, at-Tasrîf s’est répandu dans toute l’Europe. Le grand chirurgien français Guy de Chauliac (1300-1368) cite Albucasis plus de 200 fois dans son grand livre de chirurgie, la Grande Chirurgie (Chiurgia Magna), qui a été utilisé comme manuel de médecine pendant plus de 300 ans.

En 1471, at-Tasrîf a été imprimé à Venise et est rapidement devenu un texte médical standard. Au XVIe siècle encore, un autre grand chirurgien français, Jacques Dalechamps (1513-1588), citait at-Tasrîf à plusieurs reprises. Le titre d’Albucasis, “chef de tous les chirurgiens”, comme l’appelait le traducteur italien Pietro Argallata au XVe siècle, était bien mérité.

Alors que la gloire de l’œuvre d’Albucasis augmentait, celle d’al-Andalus déclinait. De plus en plus de villes tombent aux mains des royaumes chrétiens du nord. En 1492, Grenade, le dernier royaume musulman d’Espagne, tombe aux mains de Ferdinand II. Cela a mis fin aux 700 ans d’existence d’al-Andalus et de sa culture unique qui incorporait le meilleur de trois mondes, le monde musulman, le monde grec ancien et le nouveau monde de l’Europe.

Son œuvre médicale

Vers l’an 1000, il a écrit son célèbre livre At-Tasrîf Liman cAjaza cAn at-Ta’lîf كتاب التصريف لمن عجز عن التأليف (L’éclaircissement de la science médicale pour ceux qui ne peuvent pas la compiler). xxii Il s’agissait d’un résumé d’environ cinquante ans d’éducation, de formation, de pratique et d’expérience médicales. Les trente volumes de l’encyclopédie médicale couvraient divers aspects des connaissances médicales. En plus des sections sur la médecine et la chirurgie, il y avait des sections sur les sages-femmes, la pharmacologie, la thérapeutique, la diététique, la psychothérapie, les poids et mesures et la chimie médicale. xxiii

At-Tasrîf est contenu partiellement ou complètement dans trente-neuf manuscrits arabes répartis dans le monde entier. Le sujet de chaque traité est comme suit :

– Le traité I concerne la physiologie, les humeurs, les natures et les éléments naturels ainsi que la classification et l’explication des organes du corps.

– Le traité II concerne la pathologie, les différentes maladies, les symptômes, les causes et le traitement.

– Le traité III traite des recettes d’électrolytes, de leur stockage et de leur conservation.

– Le traité IV traite de la thériaque et des antidotes des poisons.

– Le traité V traite des laxatifs et de leur conservation.

– Le traité VI porte sur les médicaments purgatifs.

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– Le traité VII est relatif aux émétiques et aux lavements.

– Le traité VIII traite des laxatifs de bon goût.

– Le traité IX est consacré à la cardiologie et aux médicaments bénéfiques pour le cœur.

– Le traité X traite des électuaires, des suppositoires et des purgatifs.

– Le traité XI traite des médicaments composés appelés jawârish et des électuaires préparés avec du cumin appelé kammuniyyât.

– Le traité XII porte sur les médicaments engraissants et les diurétiques.

– Le traité XIII traite des sirops.

– Le traité XIV traite des moûts bouillis, des remèdes vulcanisés et macérés, des laxatifs et des diurétiques.

– Le traité XV porte sur les recettes de marmelade électuaire et leur conservation.

– Le traité XVI porte sur les poussières médicinales.

– Le traité XVII porte sur les pilules médicinales.

– Le traité XVIII concerne les inhalations, les vapeurs, les gargarismes, les gouttes et les remèdes nasaux antihémorragiques.

– Le traité XIX traite des parfums, des fragrances, des remèdes pour l’embellissement du corps et de la préparation de l’algue.

– Le traité XX traite de l’ophtalmologie.

– Le traité XXI traite de la stomatologie et de l’odontologie.

– Le traité XXII traite des remèdes pour la poitrine.

– Le traité XXIII traite des pansements et des bandages.

– Le traité XXIV traite des onguents et des pommades.

– Le traité XXV traite des huiles et des onguents.

– Le traité XXVI traite de l’alimentation dans la maladie et la santé.

– Le traité XXVII traite des remèdes simples et composés ainsi que des aliments.

– Le traité XXVIII traite de la préparation des remèdes simples et de leurs bienfaits, ainsi que de l’application thérapeutique de la combustion des minéraux.

– Le traité XXIX traite de la dénomination des médicaments dans les différentes langues, les synonymes et les sous-titres, ainsi que les poids et mesures.

– Le traité XXX porte sur la chirurgie. xxiv

Dans at-Tasrîf, trois chapitres étaient consacrés à la chirurgie. Voici quelques-unes des procédures et techniques détaillées dans ces chapitres :

  • Chirurgie de l’œil, de l’oreille et de la gorge. Il a décrit en détail l’amygdalectomie et la trachéotomie.
  • Il a conçu des instruments pour l’examen interne de l’oreille.
  • Il a conçu un instrument utilisé pour retirer ou insérer des objets dans la gorge.
  • Il a décrit comment utiliser un crochet pour retirer un polype du nez.
  • Il a décrit l’exposition et la division de l’artère temporale pour soulager certains types de maux de tête.
  • Il a utilisé la cautérisation, généralement pour traiter des tumeurs cutanées ou des abcès ouverts. Il a appliqué la procédure de cautérisation à pas moins de 50 opérations différentes.
  • Application de la ligature pour les vaisseaux qui saignent et suture interne à l’aide du catgut. Il a précédé de cinq siècles le célèbre chirurgien militaire français Ambroise Pare (1510-1590), considéré comme le premier Européen à avoir utilisé des sutures.
  • Traitement des fistules anales.
  • Fixation des os disloqués et des fractures. Sa méthode de consolidation et de réduction d’une épaule disloquée a précédé de plusieurs siècles l’introduction de la technique similaire de Kocher dans la médecine européenne.
  • L’élimination des calculs urinaires de la vessie. Il a conseillé au médecin traitant d’insérer un doigt dans le rectum du patient, de déplacer le calcul jusqu’au col de la vessie, puis de faire une incision dans la paroi rectale ou le périnée et de retirer le calcul.
  • Il a conçu des instruments pour l’inspection de l’urètre.
  • Il est considéré comme le premier à avoir décrit la grossesse extra-utérine.
  • Il a conçu plusieurs appareils dentaires et des dents artificielles faites d’os d’animaux.

Dans le domaine de la pharmacie et de la pharmacologie, az-Zahrawi a été le premier à préparer des médicaments par sublimation et distillation. Il a consacré un chapitre de son livre à la pharmacie et aux techniques pharmaceutiques. Ce chapitre a ensuite été traduit en latin sous le titre Liber Servitoris, où il a servi de source importante pour les herboristes européens.

Az-Zahrawi a également abordé le sujet des cosmétiques et lui a consacré un chapitre dans son livre qu’il a appelé : “Médecine de la beauté” (adwiyat az-zînah)

Notes:

i Cambra, L. M. A. ‘’Abulcasis Al-Zahrawi, The Surgeon Of Al-Andalus’’, European Scientific Journal, ESJ12(10), 2016. https://doi.org/10.19044/esj.2016.v12n10p%p

ii Savage-Smith, Émilie. ‘’Al-Zahrawi’’, Encyclopaedia of Islam. Vol.XI. Leiden : 2002, pp.398-399.

iii Azizieh, F. “Abu Al-Qasim greatest medieval surgeon”, Arab Times. November 1, 2013. https://www.gust.edu.kw/sites/default/files/Abu%20Al-Qasim%20by%20Dr.%20Fawaz%20Azizieh%20.pdf.

iv Elgohary, M. A. “Al-Zahrawi: The Father of Modern Surgery”, Annals of Pediatric Surgery. 2006; 2(2), 2006, pp. 82-87. http://www.aps.eg.net/back_issue/vol2/issue2_april2006/pdf/1-Al%20Zahrawi.pdf.

v Ahmed, B. “Abu Qasim Al-Zahrawi Albucasis, The Father of the Surgery”, Journal of the Tarrant County Medical Society. 2009. http://www.mcc-hs.org/Articles/Abu%20Qasim%20Al-Zahrawi.pdf.

Chavoushi, S. H., Ghabili, K., Kazemi, A., et al. ‘’Surgery for Gynecomastia in the Islamic Golden Age: Al-Tasrif of Al-Zahrawi (936–1013 AD)”, ISRN Surgery. 2012. doi:10.5402/2012/934965.

vi Hamarneh, Sami Khalaf & Sonnedecker, Glenn. A Pharmaceutical View of Abulcasis Al-Zahrāwī Moorish Spain: With a Special Reference to the “Adhān”. Leiden: Brill Archive, 1963, p. 15.

“L’incipit du dix-septième traité de ces manuscrits donne à al-Zahrawi le titre supplémentaire de “al-Ansari”, le médecin. On pourrait en déduire qu’al-Zahrawi est le descendant d’”al-Ansar”, le peuple d’”al-Madinah” et donc le surnom d’”al-Ansari”.

vii Stanley Edward Lane-Poole (18 décembre 1854 – 29 décembre 1931) était un orientaliste et archéologue britannique. Poole était issu d’une célèbre famille d’orientalistes : sa grand-mère paternelle Sophia Lane Poole, son oncle Reginald Stuart Poole et son grand-oncle Edward William Lane étaient célèbres pour leurs travaux dans ce domaine. Son autre grand-oncle était Richard James Lane, un éminent lithographe et graveur victorien.

Cf. Lane-Poole, Stanley. The Story of the Moors in SpainBaltimore, Maryland : Black Classic Press, 1997.

Publié pour la première fois en 1886, ce livre s’est imposé comme l’ouvrage classique sur les Maures en Espagne : un récit érudit, merveilleusement lisible, qui mêle splendeur et tragédie.

viii La chirurgie d’Abulcasis… Traduit de l’arabe par le Dr Lucien Leclerc. Paris : J.-B. Baillière, 1861.

ix Calvo, E. “Abu Al-Qasim Al-Zahrawi”, Aspetar Sports Med. J., vol. 1, no. 1, 2012, pp. 70–73.

x Sallam, H. ‘’L’ancienne école de médecine d’Alexandrie’’, Gynécologie Obstétrique & Fertilité, vol. 30, no 1,‎ 2002, pp. 3-10.

xi Velensky, R. Albucasis: Un Chirurgien Arabe Au Moyen Âge –Primary Source Edition, Thèse pour obtenir le doctorat en Médicine, Monpellier, 1908

xii Ricci, J. V. The Developement of Gynaecolocogical Surgery and Instruments. Philadelphia : The Blakiston Company, 1949, p. 61.

xiii Chaucer, Geoffrey. The Canterbury Tales: The General Prologue: Original Text & Translation. Scotts Valley, California : CreateSpace Independent Publishing Platform, 2017.

Les Contes de Canterbury racontent les histoires que se racontent les pèlerins sur leur chemin de Londres à la cathédrale de Canterbury.

xiv Bliquez, L.J. The tools of Asclepius. Surgical Instruments in Greek and Roman Times. Leyden, Boston : Brill, 2016, p. 1.

xv Kenrick, J. Roman Sepulchral Inscriptions. Their relation to Archeology, Language, and Religion. London, York, 1858, pp. 30-35 (Nicosia, Cyprus : BookNet; 1st edition (July 21, 2012)).

xvi Künzl, E. Medizin in der Antike. Aus einer Welt ohne Narkose und Aspirin. Stuttgart : Theiss Verlag, 2002, pp. 32-33.

xvii Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre II, éd. J. Beaujeu, CUF, Paris, 1950, p. 53‑54. Trad. revue. On trouve une édition presque complète de l’ensemble de l’ouvrage de Pline dans la CUF, mais il manque les livres géographiques IV (auquel appartient la Gaule) et V, pour lesquels il faut consulter l’édition donnée par É. Littré, Paris, 1848‑1850 (texte et traduction) ; sinon, on aura recours à l’édition anglaise (texte et traduction) en 10 volumes de la Loeb classical library par H. Rackham. Une traduction seule de l’ouvrage a été publiée en 2013 dans la Bibliothèque de la Pléiade (n° 593) par St. Schmitt.

xviii Rhazes, M & Maimonides, M. Liber ad Almansorem […]Bonetus Locatellus, O Scotus, 1479, pp. 30-35.

xix Chtatou, Mohamed. ‘’Ibn Sînâ (Avicenne), le Prince de la médecine’’, Oumma du 10 janvier 2022. https://oumma.com/ibn-sina-avicenne-le-prince-de-la-medecine-2/

xx Avicenna. Liber canonis. Venedig, 1507 (Nachdruck Olms : Hildesheim, 1964).

xxi Sanagustin, F. “La chirurgie dans le Canon de la medecine (“Al-Qânûn fi-ṭ-ṭibb”) d’avicenne (“Ibn Sînâ”)”, Arabica, T. 33, Fasc., mars 1986, pp. 84-122.

xxii En occident, le livre a été largement diffusé sous son titre latin : Concessio ei data qui componere haud valet.

xxiii Hamarneh, S. ‘’Al-Zahrawi, Abul-Qasim Khalaf Ibn Abbas’’, Gillispie Charles Coulston, editor. Dictionary of Scientific Biography. XIV. New York: Charles Scribner’s Sons Publishers, 1976, pp. 584–585. 

xxiv Buniiatov, Z. M., & K. M. Kagramanov. “30th treatise of Abu-l-kasim Khalaf Ibn Abbas Az-Zahrawi”, Vestnik Akademii Meditsinskikh Nauk SSSR 9, 1980, pp. 75-78.

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