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Abdelkader Barakrok : un musulman démocrate désolé par « la cécité française sur l’Islam »

Abdelkader Barakrok (1915-2006) est décédé le 31 octobre à Paris à l’âge de 91 ans. Avec lui disparaît un témoin important de trois quarts de siècle d’histoire franco-algérienne. Il en a été aussi un acteur à différents niveaux de responsabilité, et à des périodes très mouvementées.

Né en 1915 à Khangat-Sidi-Nagi au sud de Khenchela dans les Aurès, il a fréquenté l’école coranique et l’école publique. Bâchelier au lycée de Constantine, il devient médecin auxiliaire à sa sortie de la Faculté de médecine d’Alger. En 1937, il est chargé de l’Aide Médicale Gratuite dans les Aurès. Il introduit la médecine moderne dans des régions accessibles seulement par les chemins muletiers, où il a croisé l’ethnologue Germaine Tillon.

Témoin des succès dans les Aurès de l’association des Oulamas(dont le vice-président, Larbi Tébessi était un parent de sa mère), il est sensibilisé à la politique par les débats sur le projet Blum-Viollette de 1936. Après 1948, il a plusieurs mandats électifs à la mairie de Khenchela, au conseil général de Constantine, et à l’Assemblée algérienne. Il se consacre à l’ouverture des écoles et au développement rural et manifeste un courage dans le combat contre la corruption. Ses électeurs le réélisent, quand d’autres se contentent du bourrage des urnes.

En février 1956, il fait partie d’une délégation d’élus musulmans qui se démarquent de l’hostilité à Guy Mollet des activistes à Alger. Il est reçu par le président du conseil du Front Républicain qui promettait la paix en Algérie. Guy Mollet s’est intéressé au discours atypique de Barakrok qui a lui cité abondamment les « Conditions de la Renaissance »(Alger, 1949) du philosophe algérien Malek Bennabi. Le projet de Guy Mollet de le nommer au gouvernement n’aboutit qu’après l’investiture de Maurice Bourgès-Maunory en mai 1957.

Barakrok vient pour la première fois à Paris pour y occuper le poste de secrétaire d’Etat à l’Algérie. Il présente le premier projet de loi-cadre que rejettent en novembre 1957 les députés de la gauche coloniale, qui y voient une étape vers l’autonomie interne de l’Algérie. Secrétaire d’Etat à la Santé dans le gouvernement Félix Gaillard, Barakrok obtient la création du Fonds d’Action Sociale et favorise l’amélioration des conditions de logement des immigrés.

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Fin 1957, il rencontre secrètement le général De Gaulle qui voulait connaître par son intermédiaire l’état d’esprit de « l’Algérie des profondeurs ». Se souvenant de sa franchise, le fondateur de la V° République le reçoit en septembre 1958 et le recommande à Edmond Michelet pour les contacts secrets avec « ceux d’en -face ». Après plusieurs tentatives auxquelles s’intéresse Antoine Pinay, il a des entretiens approfondis avec des émissaires du GPRA rencontrés fin décembre1960 à Genève. Le rapport remis au général De Gaulle le persuade de dépêcher G. Pompidou à Lucerne pour préparer avec Tayeb Boulahrouf l’ouverture des négociations à Evian en mai 1961.

Après sa nomination comme inspecteur de la santé, Barakrok alerte régulièrement les pouvoirs publics sur la situation des Français musulmans, et le statut de l’Islam. En mai 1962, il demande des explications à Louis Joxe, signataire du télégramme hostile à la venue en France des supplétifs musulmans.

A sa demande, le maréchal Juin intercède auprès de Ben Bella en faveur des harkis. Après le mouvement de contestation de 1975, ses interventions persuadent Michel Poniatowski , ministre de l’Intérieur du président Giscard d’Estaing de confier la présidence d’une commission au préfet Mehdi Belhaddad. Il siège lui-même dans la Commission Nationale des Français Musulmans que préside à partir de 1977 le secrétaire d’Etat aux rapatriés, Jacques Dominati. Avec les préfets Ourabah et Moqdad, et les islamologues Mérad et Turki, il inscrit l’Islam à l’ordre du jour de cette commission qui s’intéresse de près à la Société des habous de la mosquée de Paris.

La commission obtient la suppression des subventions que versaient plusieurs ministères à « l’Institut » fictif de la mosquée. Barakrok reste attaché à une organisation de l’Islam en France autour de la mosquée de Paris, mais avec comme préalable la réforme de la Société des habous, ce « monstre juridique », selon un conseiller ministériel. Il expose inlassablement ce point de vue, notamment à J.P. Chevènement qui l’a reçu en janvier 1998. Pour avoir omis ce préalable, la création du CFCM lui paraissait être une occasion manquée supplémentaire. L’échec patent de ce conseil a hélas donné raison à ce musulman démocrate que désolait « la cécité française concernant l’Islam », déplorée par Jacques Berque.

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