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A PROPOS D’IMMORALITÉ

Le fameux débat télévisé du 2 mai laissera beaucoup de traces. Chacun y trouvera pendant longtemps encore, matière à critiquer, à aimer ou à détester et l’on ne retiendra en définitive ; mis à part les sujets sérieux et programmatiques ; que les arguments spécieux, les répliques cinglantes ou les incidents. Dans ce genre de combat singulier au cours duquel chaque téléspectateur espère sournoisement une mise à mort en direct de l’adversaire, ne doivent être pris en compte que les avis des électeurs qui observent certes les règles du jeu démocratique et de la liberté d’opinion, mais qui respectent surtout une éthique acceptée par tous.

Au cours de ce fameux débat madame Royal, dans un élan de colère inattendue- feinte ou sincère peu importe- avait accusé son adversaire d’immoralité, pour avoir hypocritement pensait-elle, exprimé de la compassion pour les écoliers handicapés. Ceux qui ignoraient ce sujet particulier ou qui n’entendaient rien aux chiffres avancés- autant dire l’immense majorité du public- et qui avaient accordé à madame Royal le bénéfice de la sincérité et la légitimité de la révolte face à la « comédie » supposée de monsieur Sarkozy, pouvaient se déclarer scandalisés, sans être accusés de parti pris, par l’exploitation inadmissible de la détresse d’autrui à des fins électorales. En d’autres termes on nous offrait d’assister en direct, à la manifestation la plus abjecte de l’immoralité et il était logique dès lors d’ajouter à la liste des abattis de madame Royal, celui d’avoir débusqué un constat flagrant d’immoralité chez son adversaire.

Hélas l’affaire fit très vite long feu et des démentis aussi nets qu’indiscutables ne tardèrent pas à affluer en provenance de voix autorisées des deux camps. Messieurs De Robien et Allègre mirent à jour la supercherie. L’immoralité aurait-elle changé de camp ? Il nous fallait admettre, toute honte bue, que les valeurs de gauche étaient mises à mal par celle-là même qui était mandatée pour les défendre en notre nom. Il fallait aussi se rendre à l’évidence qu’on ne pouvait plus s’habiller de probité candide en se faisant le chantre des pauvres et des blessés de la vie, dès lors qu’on est pris soi-même en flagrant délit de détournement d’émotions.

A sérieusement y réfléchir, on est bien obligé de reconnaître que la mise en avant de la défense des pauvres et des victimes d’injustice, de ségrégation, de discrimination et de racisme et surtout le rappel appuyé de ces combats au moment des échéances électorales, n’ont pas toujours été suivis des effets escomptés même lorsque la Gauche était au pouvoir. Il faut croire que l’exercice qui consiste à se saisir des problèmes des citoyens issus de l’immigration et à faire des cités, des banlieues et des quartiers déshérités la chasse gardée de la gauche, a fini par faire école. Pire encore, l’utilisation de ce gisement de voix allait servir à un usage aussi différent que pervers. On n’allait plus parler au nom des descendants d’immigrés pour réclamer moins de discrimination et plus de justice, mais on allait se servir de ces « populations » comme outil de menace et agiter le spectre du « soulèvement des banlieues ».

Certains des conseillers de madame Royal les plus actifs, forts de leur longue expérience en la matière et conscients qu’ils ne pouvaient prolonger plus longtemps la supercherie de SOS Racisme et des associations du même tonneau, n’avaient rien trouvé de mieux à proposer à notre candidate échouée sur un terrain qui ne lui était guère familier, que d’instrumentaliser encore une fois ce qu’on appelle depuis peu les minorités visibles.

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Les Français descendants d’immigrés ainsi qualifiés, superbement oubliés dans les effectifs des candidatures aux prochaines élections, et totalement ignorés dans l’énumération des actions à entreprendre dans le programme de notre candidate, sont apparus à la veille du second tour sous les oripeaux d’un épouvantail agité devant les électeurs pour les prévenir d’un prochain désastre dans les banlieues s’ils avaient par malheur la mauvaise idée de porter leurs voix sur monsieur Sarkozy. Si vous ne votez pas pour moi, vous subirez la colère des banlieues et ce sera pire que la dernière fois. Je vous aurais prévenus.

La menace avait été clairement agitée par madame Royal. On venait de changer le statut des citoyens-électeurs-descendants-d’immigrés. De victimes, on menaçait d’en faire des bourreaux. Nous voilà donc devant un cas de détournement d’émotion et d’exploitation éhontée des difficultés d’une partie de la population à des fins exclusivement électorales. Qui donc a autorisé madame Royal à parler au non de ces populations ? Sont-ce les réformes tant de fois promises par son parti mais jamais réalisées ? Est-ce l’absence totale d’engagements spécifiques inscrits dans son programme et clairement énoncés devant les Français ? Sont-ce les postes éligibles réservés pour les prochaines échéances électorales ?

On voit bien où est la supercherie et où se manifeste l’immoralité la plus intolérable. Alors, calmement, sans s’énerver, mais sans cacher sa colère, on peut dire à madame Royal que son procédé est aussi immoral que celui qu’elle a voulu dénoncer, et que ces citoyens-là ont décidé d’exercer leur droit de vote, et surtout celui de ne plus être dupes.

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