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A propos des évènements de banlieue

Formulons le vœux que les violences urbaines cessent sans délais car insupportables et indéfendables, automutilantes et sans message intelligible. Puis, que les populations des quartiers populaires, jeunesse en tête, se mobilisent solidairement pour restaurer ces lieux de vie si injustement dégradés ces derniers jours et offrir aux caméras de certains reporters-pyromanes et autres pigistes de l’ « état d’urgence » (1) une autre image d’une banlieue plus que jamais décidée à transformer sa colère et ses déceptions en actions participatives et constructives. Ensuite, il faudra bien créer un « discours », condition première de tout dialogue, pour dire le mal-être, les aspirations et les projets d’une population physiquement et économiquement maintenue à la marge de la société. Un discours qui réclame les droits et qui assume les devoirs et rejette pour de bon la tutelle paternaliste des décennies passées qui a fait perdre à la banlieue la maîtrise de son destin social, puis son image et finalement sa dignité.

Sur ce point et sans du tout généraliser, on peut questionner un certain rap-business qui a tendance à monopoliser l’espace d’expression déjà réduit de la jeunesse des banlieues, participant à davantage l’enfermer dans le ghetto avec pour seule figure idéale le « gangster » (à la Tony Montana), portemanteau bénévole des marques de multinationales aux salariés-esclaves des pays du tiers-monde. D’autres groupes de rap qui manifestent une réelle conscience sociale et politique peinent de leur côté à formuler plus fortement des valeurs positives (le savoir, la solidarité, l’engagement) et à mettre en garde contre la violence qui désocialise et déscolarise prématurément tant d’adolescents.

En l’espace de 25 ans, une expression artistique a quasiment chassé toutes les autres (quand elle ne les a pas tout simplement délégitimé) et imposé des normes (la maille et le chacun pour sa g…) qui, avec le recul, n’a arrangé que les affaires des marchands de poisons et d’illusions. L’expérience des ghettos américains, de Los Angeles en 1992 à la Nouvelle-Orléans dernièrement, devrait nous servir à évaluer les choses si l’on veut éviter une claustration programmée et une marginalisation durable.

En tout état de cause, la banlieue devra revoir sa propre représentation d’elle-même (à commencer par la figure du caillera et du bad boy lobotomisés par les programmes de MTV et Skyrock) avant de questionner légitimement celle que lui fabrique les médias et les marchands de la peur. C’est une entreprise urgente et vitale pour les populations des quartiers populaires si elles ne veulent pas que d’autres formulent à leur place leur vécu et leur devenir.

D’autant qu’il serait illusoire de confier aux (seuls) politiques le soin de transformer ces « émeutes » en réel projet pour la promotion de l’égalité des chances. Souvenons nous du sort de la Marche des Beurs qui, malgré sa dignité et l’évidente légitimité de ses revendications, s’est laissée confisquer son autonomie par des officines de l’ombre pour la transformer en chiffon rouge qu’on exhibe à l’occasion à la face de l’idéologie lepeniste montante pour se garantir un septennat de trop. Tout un combat réduit à mendier l’accès aux boites de nuit ou au « droit de vote des étrangers », « insincèrement » proclamé si ce n’est pour barrer l’accès à la citoyenneté et masquer le refus stratégique d’assumer la représentation des citoyens dits « issus de l’immigration » (qui ne l’est pas dans ce pays ?) à tous les échelons du pouvoir (politique, économique et symbolique).

Souvenons-nous également de l’après 21 avril 2002 où en guise d’autocritique, la classe politique prit délibérément le parti de la diversion en imposant le faux débat sur la laïcité assorti d’une loi inutile afin d’évacuer sa responsabilité dans l’arrivée de l’extrême droite au second tour des présidentielles. La manœuvre fut accompagnée d’une confiscation de la parole de la banlieue par des associations faisant commerce d’une représentation calculée de la banlieue devenue l’espace-type où se côtoient mosquées clandestines et caves à tournantes. Commerce de strapontins de service qui solde les mauvais comptes d’une certaine gauche pour pas cher, le cynisme en plus.

Il est plus que jamais temps de déconstruire cette représentation injuste et dangereuse qui détruit l’estime de soi (condition du respect de l’Autre) et la solidarité avec ceux qui n’ont rien ou si peu en installant la peur du voisin, le plus souvent un frère de misère donc frère de combat. Il n’y a de salut, dans ce genre d’affaire, que dans l’engagement qui commence par l’exercice de l’autorité amoureuse des parents, par définition insoupçonnable de tout calcul sinon du meilleur pour leurs enfants (n’y a-t-il pas, à ce propos, un parallèle entre la rupture de la chaîne de transmission parentale et le déclin de la place de l’instituteur dans ces « quartiers » ? mémoire et savoir subissent ainsi le même destin triste) ; le rétablissement des règles de voisinage comme lien social premier, si longtemps cultivées et à profit dans les cultures méditerranéennes et africaines notamment.

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C’est sur dans tel espace remembré et solidaire que pourront émerger et s’y appuyer des figures et des projets locaux qui captent les énergies et l’investissent, à profit, dans le bien-être commun des cités, de la Cité et du monde.

Car, en face, les bataillons sont déjà formés et en ordre de marche pour les présidentielles de 2007 et les municipales de 2008 notamment. Ils ont eux aussi leurs pyromanes qui ont déjà confessionnalisé et ethnicisé les derniers évènements pour aiguiser les instincts et esquiver, à peu de frais, la question sociale. Comment s’en étonner toutefois quand la plus importante composante du CFCM, l’UOIF en l’occurrence, s’autorise à émettre une « fatwa » qui est sans autre effet que l’entretien de la confusion ? Le gouvernement aggrave celle-ci en convoquant une loi d’un autre âge pour rétablir l’ordre là où de simples arrêtés municipaux auraient suffit (pour ce qui est du couvre-feu pour mineurs du moins). Ou bien était-ce pour nous rappeler que comme il y a 50 ans, la République savait elle aussi rafler, interner et nier les droits fondamentaux de tout ou partie d’un peuple ? Ou est-ce pour illustrer les bienfaits de ces méthodes comme le prétend délicieusement la loi du 23 avril 2005 (une loi contre l’histoire) ? On se croirait à un concours de bêtises depuis deux semaines avec une valise RTL à la clef…

Non ! Nous ne sommes pas des « racailles ». Plus jamais on nous appellera ainsi.

Note :

(1) Interviews édifiantes de Nicolas Sarkozy (2/11) puis de Bertrand Delanoë (3/11) par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1 : http://www.acrimed.org/article2192.html

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