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Que va changer la mort de Ben Laden ?

Spécialiste des mouvements islamistes et consultant sur le Proche-Orient, Dominique Thomas revient dans cet entretien accordé à Oumma.com sur les conséquences de la mort d’Oussama Ben Laden. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence dont « Les hommes d’Al-Qaïda : discours et stratégie »

Que va changer la mort de Ben Laden pour la nébuleuse Al-Qaïda ?

Sa disparition fera l’objet sans doute d’une confirmation ou non de la part de la mouvance centrale d’al-Qaïda basé dans la zone afghano pakistanaise. Sa mort n’aura de toute façon qu’un impact symbolique et des conséquences limitées. Oussama Ben Laden incarnait depuis 2001 la figure d’al-Qaïda mais il n’était plus que la figure symbolique, médiatique et fédératrice de la mouvance. Sur le plan opérationnel, cela ne change rien et pourra même avoir un impact pour mobiliser et recruter de nouveaux combattants en utilisant la figure du martyr, qui sera mise en avant par la vitrine médiatique d’al-Qaïda présente sur la toile.

Ben Laden a été tué au Pakistan ( au nord d’islamabad lors d’une opération) commando des forces américaines. Sur quels réseaux s’appuyait encore Ben Laden pour échapper à la traque internationale dont il était l’objet depuis une décennie ?

Il est très difficile d’avoir des informations vérifiables sur cet aspect. Ce que l’on peut dire, c’est que Ben Laden était en lien avec uniquement quelques messagers de la mouvance, et en qui il avait parfaitement confiance. Si l’on s’en tient à la version américaine, il ne vivait pas entouré de gardes du corps. La discrétion était l’élément principal, ce qui explique son retrait de la mouvance, et également le fait que la plupart des sympathisants, des combattants et même des responsables des mouvances djihadistes de la région pakistano afghane, ignoraient qu’il se trouvait dans cette ville. Très peu de personnes savaient où il se cachait, mais il semble clair néanmoins que certaines sources informées au sein des services pakistanais ait renseigné les Américains.

Ben Laden était-il réellement le cerveau des attentats du 11 septembre ?

Khaled Sheikh Mohammad serait plutôt le cerveau réel des attaques du 11 septembre. Ben Laden n’aurait donné que son aval à cette opération. Si l’on se réfère aux documents diffusés par la vitrine médiatique d’al-Qaïda, al-Sahab, depuis plusieurs années, ils montrent qu’al-Qaïda a organisé et planifié ces attaques. Les documents sur les prisonniers de Guantanamo, rendus publics par Wikileaks et dont font partie plusieurs responsables de ces attaques, montrent et confirment la complexité des réseaux et des connexions qui ont servi à mener cette opération. Ces documents battent d’ailleurs en brèche la version des complotistes qui ne croient pas en une implication d’al-Qaïda, à moins de penser que toute l’organisation ait pu être infiltrée. Cet élément ne ressort dans aucun des dossiers de Wikileaks (câbles diplomatiques et Guantanamo Files).

La mouvance salafiste djihadadiste est-elle toujours le principal fondement idéologi-religieux de la nébuleuse Al-Qaïda ?

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Naturellement, c’est ce qu’on appelle le minhaj salafi jihadi qui reste l’élément structurant de la pensée des mouvements salafi djihadistes dont fait partie la nébuleuse. Ce minhaj s’appuie sur une série de prédicateurs connus dont les principales figures vont du Sheikh saoudien Hammoud al-Shuaybi (décédé en décembre 2001), au jordanien Abu Mohammad al-Maqdissi détenu en Jordanie. Tous se réclament de ce minhaj qu’ils considèrent comme étant le fondement exclusif du dogme des gens de la sunna (‘aqida ahl is-sunna wal-jama’a).

La mouvance Al-Qaïda était-elle réellement opérationnelle ?

Aujourd’hui cette mouvance est complètement différente de celle qui a existé avant 2001 et l’intervention de l’Otan en Afghanistan. Elle dispose toujours de bases au Pakistan et en Afghanistan, largement soutenus par les deux branches pakistanaise et afghane des Taliban. Ensuite, elle bénéficie d’un sanctuaire important au Yémen sous le label AQPA après la fusion des branches saoudienne et yéménite en 2009. Depuis 2006 en Irak, un certain nombre de combattants arabes combat sous le label de l’Etat Islamique en Irak qui reste proche de cette mouvance.

Enfin, depuis 2007 le GSPC algérien a adopté le label AQMI et se présente comme la vitrine d’al-Qaïda au Maghreb et au Sahel. Al-Qaïda est donc parvenu à étendre son influence de manière géographique sans commandement unifié et centralisé. Al-Qaïda aujourd’hui représente une communauté d’organisations djihadistes. Oussama Ben Laden était dans cette communauté la figure fédératrice et médiatique. Il sera intéressant de voir qui pourra incarner dans le futur cette figure. En particulier est-ce qu’un personnage comme l’égyptien Ayman al-Zhawahiri peut jouer ce rôle ? Les prochains mois devraient permettre d’observer une évolution dans ce domaine.

La nébuleuse Al-Quaïda a-t-elle encore les moyens de frapper en Europe ou aux Etats-Unis ?

La nature des réseaux est complexe et l’expérience d’attaques précédentes a montré qu’un nombre limité d’activistes peut déclencher une attaque spectaculaire. La mouvance aura dans un premier temps à cœur de venger Oussama Ben Laden. Plusieurs bataillons (saraya) ou phalange (katiba) portant le nom d’Oussama Ben Laden vont apparaître sur la scène djihadiste internationale. Par ailleurs, ce sont surtout des bases d’AQMI, d’AQPA et celles de la zone pakistano afghane que des activistes peuvent passer à l’action ou s’entraîner pour frapper ensuite des cibles éventuelles en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs.

Sur un troisième niveau, des activistes locaux par sympathie ou des partisans de la cause d’al-Qaïda peuvent également passer à l’action sur ces territoires en questions. Tout cela sans qu’il n’y ait de coordination ou d’ordre donné. C’est toute la force de la nébuleuse qui depuis 2001 a surtout évolué de manière extensive plus que de manière intensive, au sens ou une attaque aussi spectaculaire que le 11 septembre paraît difficile à renouveler pour la mouvance.

Propos recueillis par la rédaction

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