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Mohamed Merah et moi

Je ne suis pas télépathe, mais je devine pourtant avec aisance la pensée angoissée de millions de musulmans en Europe depuis lundi, jour de la tuerie de Toulouse. Alors que le nom du suspect n'était pas encore connu, beaucoup ont dû penser: "pourvu que ce ne soit pas un musulman derrière une horreur pareille, sinon ça nous retombera encore dessus". Cette pensée, ils l'ont certainement eue aussi après l'attentat d'Oslo qui a couté la vie à 77personnes. Mais alors que Breivik s'est révélé bien blond et catholique, "il a fallu" que Mohamed Merah soit basané et musulman.

Oui, Mohamed Merah est musulman, oui, il est "français d'origine algérienne", oui, il aurait, visiblement, suivi des camps d'entraînement en Afghanistan (et encore, à confirmer). Mais en quoi cela me regarde, moi Inès El-Shikh, Suisse d'origine maghrébine, qui a vécu toute ma vie à Genève sans n'y avoir jamais fait de vagues malgré le fait que je fréquente régulièrement la mosquée, qui n'ai jamais suivi de cours intensif djihadiste que ce soit en Afghanistan ou en Irlande du Nord? Je me sens aussi éloignée de Mohamed Merah que mes compatriotes catholiques se sont sentis éloignés de Breivik. Ils avaient raison de ne pas se reconnaître dans ce psychopathe sanguinaire porté par un délire pseudo-idéologique; aujourd'hui je suis leur exemple.

Nous avons déjà vécu cela: au lendemain du 11 septembre 2011, chaque musulman du monde, chaque personne originaire d'un pays à majorité musulmane (qu'il soit lui-même croyant ou pas), chacun d'entre nous, s'est retrouvé sur le banc des accusés. Devoir justifier encore et encore. Expliquer que non, islam et terrorisme ne sont pas synonymes l'un de l'autre (faut-il rappeler que selon une étude que malgré le fait que près d'un cinquième de la planète est de confession musulmane, les attentats terroristes imputés aux idéologies islamistes extrêmistes se chiffrent à 0.4% du total des attentats terroristes, mais squattent plus de 90% de la couverture médiatique du terrorisme? Je vous laisse calculer le facteur d'amplification).

J'ai commis cette erreur à l'époque du 11 septembre, je me suis "justifiée". C'est une erreur car me justifier en explicant par a+b que mon Coran ne me pousse pas à commettre des ignominies, c'est accepter d'être plus suspecte qu'un autre du simple fait de ma confession. Or, il est tout aussi illusoire de croire que mes explications vont convaincre ceux qui sont déjà convaincus du contraire que de me mettre à espérer à chaque attentat terroriste qu'il n'est pas de fait d'un musulman.

Il y aura toujours des attentats qui sont le fait de musulmans et d'autres de non-musulmans. Il a fallu que par les hasards de la chronologie les attentats de Merrah suivent de quelques jours l'attentat tragique qui a eu lieu en Afghanistan où un soldat américain est allé descendre 16civils afghans dont des bébés et mette le feu aux corps; je considère pourtant que le sergent Rober Bales n'est pas plus représentatif de sa confession, quelle qu'elle soit, que Merah de la sienne.

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La mentalité déviante d'un tueur d'enfants n'a rien à voir avec moi, tout comme Marc Dutroux ou Guy Georges n'ont rien de représentatif dans leur "style de vie" du Français ou du Belge. Qu'un tueur se proclame d'une religion ou qu'il en utilise soit la réthorique soit le symbolisme, ca n'est ni nouveau, ni exclusif à l'Islam, et je n'ai aucunement l'intention de me laisser embarquer et instrumentaliser.

Aujourd'hui je n'accepte plus de jouer le rôle de la responsabilité collective basée sur mon appartenance ethnico-religieuse. Je refuse de faire le dos rond en attendant que se calme la tempête populiste qui récupère déjà le tragique événement. Je ne vais pas chercher à expliquer preuves à l'appui que ma religion ne me demande pas de fusiller des gosses juifs qui ne demandaient rien à personne. Je ne vais pas m'abaisser ne serait-ce qu'à écouter ou répondre à l'avis des démagogues opportunistes qui cherchent à faire le lien entre immigration et barbarie.

En même temps, je ne vais pas nier qu'il y a un réel malaise en France, résultat complexe de responsabilité personnelle, de négligeance judiciaire, d'exclusion sociale, de passé commun douloureux mal digéré. Que résoudre ces problèmes à la source sera largement plus efficace que de stigmatiser toute la communauté des personnes qui ressemblent physiquement à Mohamed Merah.

La mort de ces 7 personnes (des musulmans et des juifs) a provoqué une douleur solidaire de l'ensemble du peuple français, toutes confessions confondues. C'est dans des occasions pareilles que l'on voit et comprend que la France est bel et bien un seul et indivisible peuple qui s'est déjà remis de bien des coups durs. Le fait qu'il s'émeuve dans sa totalité de meurtres commis de sang froid à l'encontre de membres de minorités prouve que le sentiment français prévaut sur tout autre considération, et ce pour une majorité de personnes. Mais laisser les démagogues et les opportunistes tirer un profit électoral de la tuerie de Toulouse, c'est assassiner une seconde fois les 7 victimes.

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