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Interview avec le Dr Al Ajamî. « Que dit vraiment le Coran » (2/2)

 

Votre livre « Que dit vraiment le Coran » a connu un beau succès de librairie et la deuxième édition revue et corrigée vient de paraître aux Éditions Zénith. Lors de notre premier entretien vous avez évoqué la démarche qui présidait à cet ouvrage novateur, pouvez-vous nous en rappeler la teneur ?

 

Ce livre est destiné à tout lecteur, musulman ou non, il est le fruit d’une recherche coranique globale présentée ici par thème. Il se consulte facilement en fonction de la question posée, exemple : Hommes et Femmes ; Sharia ; Loi révélée ; Polygamie ; Mariage mixte ; Voile islamique ; Jihâd ; Guerre et paix ; Tolérance et prosélytisme ; Relation avec les autres religions, Destin et fatalisme ; Bien et mal ; Peines corporelles ; Droits de l’homme, etc. En tout une quarantaine de questions qui demeurent au cœur de l’actualité, information, désinformation et déformations.

 

Il ne s’agit pas de points de vue personnels, d’une réflexion d’intellectuel, ou d’un discours sur le Coran au gré d’une interprétation moderniste, mais notre objectif a été de fournir avec constance le point de vue du Coran, quelles que soient les problématiques traitées. Ainsi, ai-je mis en situation plus de 700 versets ce qui, outre une démonstration entièrement fondée sur le Coran, fournit au lecteur un accès facilité aux références coraniques.

 

Nous avions évoqué l’opposition parfois constatée entre les points de vue du Coran et les affirmations du Droit musulman, le fiqh ou la sharia ; faut-il rejeter le système traditionnel des Écoles exégétiques et juridiques ?

 

Je ne le pense pas, les madhâ’ib, les Écoles, ont construit l’islam tout autant qu’ils en font à présent partie intégrante. Du reste, ceux qui prétendent qu’il nous faudrait les supprimer, ou du moins les dépasser, sont de deux ordres : ceux qui veulent imposer une variante bédouine du salafisme comme référentiel unique d’une pensée unique, et ceux qui voudraient séculariser l’islam en l’amputant des pratiques cultuelles. Je ne dis pas non plus qu’il nous faille obligatoirement nous noyer dans les divergences internes au Droit, les différentes Écoles ou les avis des uns ou des autres, il s’agit d’une mer vaste et parfois agitée où il n’est pas facile de naviguer à moins d’être un marin expérimenté. Mais il y a beaucoup plus simple et sain : définir l’ordre de priorité de ce qui fait sens pour le musulman. Et, même si nous sommes en une obligation historique, obligation de fait, de garder les Écoles comme référentiel, nous devons et pouvons utiliser leur apport en appliquant les critères de bon sens en fonction de la règle d’or que j’ai rappelé précédemment. Règle, qui pour faire simple, se résume à savoir établir la différence entre ce que « Dieu a dit », ce que le « Prophète aurait dit », et ce que les musulmans ont dit et disent encore. Je me suis donc efforcé en "Que dit vraiment le Coran" de montrer que le Coran fournit plus de sens que ne le laisserait croire la prépondérance des systèmes de production classiques tels le Hadîth et le Fiqh.

 

Vous avez dit que croire que le Prophète avait transmis des hadîths ne relève pas de la foi !

 

Oui, sans aucun doute, et il nous faut apprendre à distinguer croire et penser. La foi et la raison, même si elles doivent s’épouser, n’ont pas les mêmes champs d’application. Et, je le répète, il ne nous est pas demandé de croire aux hadîths, mais il nous incombe de réfléchir sur leur existence, leurs conditions de validité, la valeur de ce qu’ils transmettent. Trois questions intellectuelles que la foi n’autorise pas à l’égard du Coran. L’on peut par cet exemple comprendre la différence entre croire et penser, leur domaine respectif est contingenté et l’on ne doit pas les confondre. Un croyant doit apprendre à distinguer ce qui relève de la foi et ce qui relève de la raison. La confusion des genres est ici mortelle, quand la foi envahit le domaine de la raison cela mène au fanatisme, quand la raison se substitue à la foi cela mène au dépérissement de la religion. Autrement dit, l’on ne doit pas « croire » en la Sunna, mais l’on est en droit rationnellement d’en examiner le contenu.

 

D’accord, mais la « Shahâda » en islam ne témoigne-t-elle pas de la fonction du Prophète ?

 

Tout à fait, et cela conforte en réalit&eac
ute; mon propos. La profession de foi, la
shahâda : « Il n’y a de Dieu que Dieu et Muhammad est Son messager » signifie que nous attestons de notre foi en l’unicité de Dieu et que nous croyons que le Prophète a apporté le Message de Dieu, le Coran. C’est en ce sens là que Muhammad est dit Messager de Dieu des dizaines de fois dans le Coran. Or, effectivement, beaucoup de gens semblent croire que la fonction de messager du Prophète Muhammad consisterait à apporter la Sunna. On peut le penser, on peut surinterpréter certains versets du Coran pour essayer de le prouver, mais cela ne relèvera jamais du credo de foi, ce ne sera jamais qu’une opinion et concernant votre question une surinterprétation de la Sunna. Ce qui nous est demandé à ce sujet est de croire en Dieu, en Ses Anges, en Ses Messagers et en Ses livres ; cela signifie que nous devons croire que Dieu a fait révélation à Muhammad par l’intermédiaire de l’Archange Gabriel et que par conséquent Muhammad est le messager qui a apporté le message de Dieu, rien d’autre. La Sunna ne relève donc pas stricto sensu de la foi, mais d’un système d’opinions. Cela ne retire en rien au fait que concrètement la Sunna ait pris au fil du temps une importance prépondérante au point de nous auto-qualifier de sunnites, ce qui est un abus de langage pour ceux que le Coran a nommés musulmans, c'est-à-dire soumis volontairement à Dieu seul. En cette perspective, un des objectifs de "Que dit vraiment le Coran" est de recentrer notre pensée de musulman sur le Coran.

 

Vous dites que la Sunna est très présente en islam, mais que de nombreux hadîths posent problème, et vous l’avez d’ailleurs souvent montré en vos articles sur Oumma. Comment alors s’y repérer lorsqu’on n’est pas un spécialiste du Hadîth ?

 

Il serait préoccupant qu’un musulman soit dans l’obligation d’être un spécialiste du Hadîth pour savoir en quoi consiste le vrai en sa religion. Dieu lui aurait là imposé une trop lourde charge. Ceci alors même, je le répète, que la présence et le poids de la Sunna, ou plus exactement du Hadîth, est indéniable. Concrètement, il me parait raisonnable et simple de suivre le schéma directeur suivant :

  1. Se limiter de manière très stricte aux seuls hadîths dits authentifiés.

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  2. N’admettre aucun de ces hadîths authentifiés qui soit en contradiction ou en opposition avec le sens apparent et explicite du Coran.

  3. Ne pas retenir de ces hadîths des informations relatives aux points de croyance relevant de l’Inapparent, al ghayb, sur lesquels le Coran n’aurait pas délivré une information de base suffisante.

  4. Ne pas retenir de ces hadîths tout ce qui est marqué culturellement, historiquement, politiquement. La dernière Révélation de Dieu n’est pas une validation a posteriori de l’histoire des hommes.

  5. Ne pas retenir tout ce qui atteint à la personne ou relève de la discrimination. Dieu ne peut avoir permis l’injustice.

  6. Ne pas retenir tout ce qui choque la morale et l’éthique personnelle ; l’essentiel principe coranique : « approuver le bien et réprouver le mal » est en soi universel et ubiquitaire.

  7. Ne pas retenir tout ce qui heurte la raison. La raison est le bien le plus précieux, l’unique, que Dieu nous ait donné pour discerner le vrai du faux, la lumière des ténèbres.

Il est ainsi facile de ne s’attacher qu’à des paroles attribuées au Prophète qui nous seront parfaitement profitables, car elles ne peuvent que refléter la sagesse et la justice, le respect de tous. Je le rappelle, à chacun des sujets que nous avons présentés en fonction du Coran nous avons fourni un exemple de hadîth authentifié parfaitement en accord avec le sens clair du Coran.

 

Nous avons bien compris qu’il fallait hiérarchiser les données constituant l’islam, mais il y aurait-il donc dans le Coran les réponses à toutes choses ?

 

La question est souvent pos&eac
ute;e, elle est étonnante, Dieu aurait-il donné sa dernière Révélation à l’humanité en la concevant insuffisante ! Je citerais : « 
[ce Coran]   est une confirmation de ce qui précède, un exposé de toute chose, une guidée et une miséricorde pour ceux qui croient » S12.V111  . Tout y est dit : le Coran est conçu pour fournir la totalité des informations nécessaires à la guidée des croyants. En soi, le Coran est un message suffisant, mais tout se passe comme si l’on ne savait naviguer que sur les extrêmes, l’islam est pourtant une voie du milieu ! Lorsque le Coran dit qu’il est guidée, hudan, ou     furquân    , critère, il faut comprendre ce que ces termes signifient. Le Coran n’est pas une méta-encyclopédie ouverte qui aurait réponse à toutes les questions de l’humanité pour tous les temps ! Simplement, il a fixé pour tous les hommes et tous les temps ce qu’était la guidée du point de vue spirituel, la croyance ; le discernement du point de vue moral, une norme éthique que les musulmans ne peuvent transgresser et vers laquelle ils doivent s’efforcer de tendre. Si votre question relève de ces domaines, vous trouverez la réponse dans le Coran et, sans nul doute, elle sera suffisante. Si vous recherchez s’il y a de la vie sur Mars, alors il est préférable de lire des ouvrages de science, ou de science-fiction ou de fictions scientifiques. De plus, mais faudrait-il encore le préciser clairement, l’islam n’est pas une religion totalitaire par laquelle Dieu dicterait aux hommes tous leurs faits et gestes, toutes leurs pensées et tous leurs sentiments. Ainsi conçue notre religion serait dictatoriale, elle dominerait les individus, elle les écraserait au lieu de les élever et de les guider vers la lumière, l’islam a pour vocation première de fournir les conditions d’un développement personnel harmonieux.

 

Ceci étant, à partir de ces grandes lignes directrices qui composent la guidée et le critère, il nous est alors possible de savoir quelles informations complémentaires l’on peut valider, qu’il s’agisse de les prendre dans la Sunna, le Fiqh, la « sharia », ou nos habitudes sociales, elles ne peuvent être en contradiction avec les énoncés coraniques. Par exemple, si le Coran affirme l’égalité des êtres et l’égalité des hommes et des femmes, l’on ne peut valider un hadîth, ou un point de vue de fiqh ou une tradition qui serait contraire à ce principe coranique. Très précisément, "Que dit vraiment le Coran" est construit sur ce principe, il met d’abord en valeur le point de vue du Coran, puis la Sunna convergente, et enfin les positions du Droit ou des coutumes et traditions, les contradictions et les divergences apparaissent alors d’elles-mêmes et le lecteur peut ainsi construire son propre jugement.

 

Le Coran est-il apte à répondre aux défis de notre temps ?

 

Oui, comment pourrait-il en être autrement pour la Révélation qui se dit destinée à tous les hommes pour tous les temps, double sens du mot ’âlamîn. En "Que dit vraiment le Coran" nous montrons que le Coran fournit des réponses étonnement contemporaines aux problématiques actuelles. Le Coran est à la pointe, un éclaireur, au sens de qui éclaire devant, il devance encore nos propres capacités à accéder à des niveaux supérieurs d’humanité. Le Coran n’est pas notre passé, mais il est notre avenir. Le débat au présent est parasité par une fausse opposition, d’une part, une lecture ancienne du Coran, dite arabo-musulmane et, d’autre part, une lecture dite moderne, supposée pro-occidentale ou occidentalisée. Faux procès et débat stérile, puisque dans les deux cas il s’agit d’un asservissement du Coran à la pensée de l’homme.

 

En réalité, le Coran a son propre discours, n’est-ce pas à travers lui que Dieu s’adresse aux hommes, à tous les hommes ! Le Coran n’est ni d’Orient ni d’Occident il est cette lumière qui n’épuise pas l’huile de la lampe. Qu’il n’y ait pas de confusion, ce que je défends et propose n’est pas de pratiquer une relecture ou une surinterprétation contemporaine ou réactualisée du Coran, mais le fait que nous devons apprendre à l’entendre. Le Coran est notre maître de vie, notre guide, mais comment bénéficier de ses leçons si nous ne cessons pas de parler à sa place. Il nous faut donc apprendre à faire taire la parole séculière qui s’est substituée à la Parole et, à l’écoute retrouvée, trouver en lui la force de la foi, de la liberté et la dignité de l’être, le vecteur de la raison, le sens du vivre et du vivre-ensemble. A ma modeste mesure, c’est ce temps d’écoute que par "Que dit vraiment le Coran" j’ai voulu partager.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

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