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Vingt ans de vie de femme avec un niqab

On ne porte pas le niqab par hasard. Qu’est ce qui vous a motivée ?

Yvannick Varatchia : C’est un choix qui s’inscrit dans une démarche spirituelle. Lorsque j’étais enfant, et adolescente, j’ai eu l’occasion de visiter des monastères. Et j’étais attirée par la vie monacale. Je trouvais que ces gens qui se retiraient du monde avaient une approche spéciale de Dieu ; une approche qui m’intriguait et qui m’attirait aussi. J’ai poursuivi cette quête de Dieu qui m’a conduite à l’islam.

Mais les musulmanes ne portent pas forcément le niqab

Certes. Mais dans l’islam, j’ai essayé de trouver ce qui m’avait attirée dans la vie monacale. Et curieusement c’est dans ce vêtement-là. Ce vêtement est ce qui allait me permettre de vivre dans le monde tout en étant hors d’un certain monde. Cela afin de progresser vers mon créateur. Pour moi, toute ascèse spirituelle est faite de renoncements. Et quand on renonce, on progresse. On se prive c’est vrai, on se fait « violence à soi-même », c’est vrai aussi. Et ce n’est pas toujours facile. Donc pour y arriver, il faut des moyens. Et parmi tous les moyens que l’islam m’a offert, ce vêtement est un petit moyen qui m’a permis de faire de grands pas.

Quel âge aviez vous quand vous avez fait le choix de l’islam ?

J’avais environ dix-neuf ans. Avant cet âge, on va dire que j’étais chrétienne par tradition mais sans pratique. Mais par contre avec une volonté d’avoir une foi plus concrète. Dans ma quête, j’ai d’abord opéré un retour vers le christianisme. Ensuite je me suis intéressée à l’hindouisme, au judaïsme, au bouddhisme et l’islam est venu après.

C’est pas gênant de porter ce vêtement plutôt qu’une tenue conventionnelle ?

J’ai fait le choix de porter le voile, mais j’ai une vie. D’abord une vie professionnelle puisque j’ai été enseignante dans l’Education nationale jusqu’en 2006. Bien entendu je n’enseignais pas dans cette tenue ; avant d’arriver à l’école j’enlevais mon voile, je n’avais que mon foulard (ndr, qui ne couvre pas le visage). Déjà à l’université j’étais voilée. J’étais bien acceptée par les professeurs et j’ai pu suivre mes cours jusqu’en maîtrise, normalement, sans aucun ennui, même si j’avais le visage voilé. J’ai commencé des études de médecine puis j’ai changé pour aller vers les lettres modernes.

Qu’enseignez-vous précisément dans une école islamique ?

A Hidayatoun Nissa, j’enseigne la civilisation, le commentaire du Coran, la langue arabe, les hadiths… Mes études universitaires me sont quand même utiles parce qu’elles me permettent d’alimenter ce que j’apporte à mes étudiantes. Ce n’est pas parce que je suis musulmane que je me suis coupée de ma culture, je suis heureuse d’être française. Je suis heureuse d’avoir grandi avec cette culture française. J’aime beaucoup la littérature française et j’y puise pour alimenter ce que j’apporte à mes étudiantes. Et je trouve que c’est important.

Quelles lectures avez-vous faites dernièrement ?

Avant tout j’aime la poésie. J’écris-moi aussi. J’aime beaucoup Victor Hugo, j’aime beaucoup beaucoup Emile Zola et… disons les classiques de notre littérature. Dernièrement j’ai relu quelques œuvres de Zola à la chaîne : « Germinal », « l’Assomoire », etc… Il n’y a pas très longtemps j’ai relu « Anna Karénine » de Tolstoï. En fait, j’aime beaucoup les classiques de la littérature.

Vous sentiriez-vous moins musulmane sans votre niqab ?

Non, je ne dirais pas cela ainsi. Mais je me sentirais moins bien, ça c’est sûr. Je me sentirais moins en sécurité … Pour tout vous dire, il m’est difficile de me projeter dans la situation que vous posez. Ça fait vingt ans que je porte ce vêtement et il y a eu des moments difficiles et des moments plus agréables. Porter le parda (ndr, niqab), c’est tout un cheminement de vie qui n’est pas évident. C’est aussi pour cette raison je ne peux jamais forcer quelqu’un à adopter cette tenue. Je peux jamais faire de prosélytisme par rapport à cela.

Fondamentalement, en quoi est-ce un choix difficile ?

C’est un choix qui n’est pas facile surtout à cause du regard des autres. En portant le parda j’ai par exemple compris ce qu’on pouvait ressentir quand on est victime de racisme. Quand j’étais ado, on nous faisait découvrir le racisme à travers des oeuvres. Ça me touchait beaucoup. Mais, malgré le degré d’empathie qu’on peut ressentir, on n’est jamais à la place de l’autre. Et quand j’ai porté le parda, j’ai découvert, j’ai vraiment vécu ce qu’est le racisme en vrai.

Que pensez-vous des musulmanes qui ne portent pas le niqab ?

Ce n’est pas à moi de porter un jugement sur les choix des autres. Chacun vit sa foi selon la personnalité qui est la sienne. Un hadith du Prophète enseigne que lorsque tu développes une qualité que l’autre n’a pas, tu dois savoir que l’autre développe aussi une qualité que toi tu n’as pas. Pour moi, le parda s’inscrit dans ma démarche personnelle. Moi j’arrive à progresser ainsi. Et celle qui ne porte pas le parda aura certainement des qualités que moi je n’ai pas. Donc il n’y a pas à juger une démarche qui est personnelle par essence. Et il n’y a pas à exercer de contraintes sur les gens pour faire certaines choses.

Le niqab ne s’oppose-t-il pas à la rencontre l’autre ? Trouver un mari par exemple ?

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Non pas du tout ! C’est vrai que si on porte un voile sur le visage on peut se dire que les garçons ne nous voient pas. Et donc que la rencontre est plus difficile. Mais en réalité, les gens se parlent et le garçon peut entendre parler de la personne, de ses qualités… Sur cette base il peut essayer de la rencontrer. Et on sait très bien qu’il est permis de montrer son visage. Dans mon cas il a vu mon visage. Et après les choses se font normalement. Par ailleurs, il faut savoir que les hommes ne sont pas tous les mêmes. Et à certains hommes il n’est désagréable d’avoir une épouse voilée. Donc le parda un problème pour rencontrer un mari ? Non je ne crois pas.

Mais au niveau de vos relations sociales en général… Avec vos voisins, les amis de vos enfants ?

J’ai déjà eu des voisins non musulmans. Pour moi, il est important d’avoir des relations de bon voisinage. Et j’avais de bonnes relations d’échange avec mes voisins. Ce voile c’est quand je suis dans la rue. Il ne doit pas être un obstacle au sens de la qualité de mes relations. Il doit plutôt être un moyen de nous améliorer. C’est ainsi que je le vis. Par exemple j’ai de grands garçons. Et parmi leurs amis beaucoup d’autres garçons. Ce n’est pas parce que je mets un voile que je ne les reçois pas à la maison ! Il est évident que ma porte est ouverte. Et quand mes fils reçoivent leurs copains je ne suis pas forcément voilée ; ce sont des enfants que j’ai presque tous vus grandir. Je suis certes couverte mais pas forcement avec mon voile. Et je les accueille chez moi, comme mes enfants.

Mais ce voile n’empêche-t-il pas les autres d’entrer en contact avec vous ?

Là aussi c’est un faux problème. Il m’arrive, dans la rue, avec mon parda, d’être abordée par des gens. C’est à moi de savoir les accueillir. Parce qu’on peut très bien ne pas être voilée et refuser le contact avec les autres. Et après tout, quand on veut entrer en contact avec les gens, il y a bien des lieux prévus pour cela. Ce n’est pas quand on fait ses courses qu’on est en quête de rencontres. Quand on veut faire des rencontres, on se rend à des endroits précis. Moi, avec mon voile, si je me rends à une fête par exemple, je peux faire la connaissance de gens. Et mon voile ne s’y opposera aucunement. Rencontrer des gens est une question d’aptitude et de comportement personnel. Ce n’est pas une question de vêtement.

Avez-vous le permis de conduire ?

Oui bien sûr.

Vous n’avez jamais de problème dans vos démarches administratives ?

Non, pas du tout. Quand je suis face à un agent de l’administration, si c’est nécessaire je soulève mon voile. Je ne m’adresse pas à un agent de l’Etat civil le visage voilé, c’est d’abord une question de politesse. Quand j’arrive dans un bureau et que mon tour arrive, et que je me présente face à la personne dont j’ai besoin, la moindre des choses est que je me dévoile, que je le salue avant de lui exprimer ma demande. Je pense qu’il faut savoir faire preuve de souplesse et de politesse.

Des français pensent que la laïcité était menacée. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une lecture assez radicale de la laïcité. L’Angleterre et les État-Unis d’Amérique sont des pays laïcs aussi. Mais la laïcité ne s’y traduit pas et n’y est pas vécue de cette façon. Et je ne pense pas que l’islam leur pose plus de problèmes sociaux qu’en France. Peut être même moins. Quand on permet aux gens de vivre leur religion sans avoir le sentiment d’être de trop, il n’y a pas de raison qu’ils posent de problèmes à la société.

« le Niqab est le cercueil des libertés fondamentales des femmes » a dit une ministre française. Vous le ressentez ainsi ?

Il faut voir ce qu’elle entend par « liberté fondamentale ». Parce que le niqab n’empêche pas de mener une vie normale. Il n’empêche pas d’étudier, d’accomplir ses devoirs citoyens, de se déplacer, de travailler parce qu’en réalité, c’est parce que les employeurs refusent d’embaucher les femmes voilées que ces dernières sont obligées de ne pas travailler. Ce n’est pas leur voile qui les empêche d’avoir des compétences pour exercer un métier. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre porter un voile et mener une vie sociale.

Des gens parlent de « nombre croissant de niqab qui polluent » les rues des banlieues ?

Je trouve que c’est une forme de violence verbale qui dépasse le limites de l’intolérance. C’est de l’irrespect de l’autre dans ses choix libres. C’est un peu comme le terme de « cercueil » de la ministre. Ces mots sont porteurs d’une violence, d’une dureté qui me font dire que ces gens devraient chercher à mieux connaître l’autre. Car, après tout, il y a un être humain derrière le niqab. Je pense donc que ces propos vont un peu trop loin.

Que feriez vous si une loi anti-niqab était votée en France ?

Franchement, une telle perspective me paraît totalement démesurée. Je ne sais pas… Je n’arrive pas à imaginer. C’est difficile. Je ne sais vraiment pas. Je n’arrive pas à intégrer l’idée que je représente un danger potentiel pour mon pays. Dans un pays où on peut se raser la tête, où on peut sortir en mini-jupe sans que cela ne soit un problème de société. J’ai du mal avec l’idée que c’est un crime d’être vêtue comme j’ai envie de me vêtir. Il faut d’abord que je puisse intégrer cette idée pour pouvoir répondre à votre question ensuite.

Propos recueillis par la rédaction

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