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Une décade commémorative (Début décembre 2005)

Ce début de mois de décembre a été fertile en commémorations. Journée mondiale de lutte contre le sida et hommage des « Indigènes de la République » à Rosa Parks le premier. Deux centième anniversaire de la bataille d’Austerlitz et manifestations contre Napoléon, restaurateur de l’esclavage dans les colonies françaises, le deux. Souvenir de l’arrivée de la marche des Beurs à Paris le trois. Sainte Barbe, bien sûr, le quatre, pour rasséréner les pompiers fatigués. Mais j’ai voulu me rappeler ce jour l’anniversaire aussi de la répression de Louis Napoléon Bonaparte contre ceux qui s’opposaient à son coup d’Etat du 2 décembre 1851, j’ai voulu me rappeler que Victor Schoelcher et Victor Hugo faisaient partie du même comité de résistance républicain à ce pronunciamiento. Le premier, sous secrétaire d’Etat à la marine, avait signé les décrets d’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. Le grand poète avait été légitimiste à trente ans et républicain à cinquante, selon l’itinéraire inverse de nos révolutionnaires des seventies, tournés en ce début de siècle caudataires de la République et sycophantes de pyromanes mahométans.

Ensuite, bien sûr, Mozart, qui meurt un cinq décembre hivernal de Vienne. Saluons ici son génie, mais saluons de même Martin Luther King. Pasteur noir de Montgomery, où la police vient d’appréhender Rosa Paks pour avoir refusé de céder sa place à un blanc dans un autobus, il commençait une longue lutte ce cinq décembre 1955 en déclanchant le boycott de la compagnie dudit bus.

Le six décembre est la saint Nicolas, nul ne peut en ignorer. Le personnage ne contribue guère à rendre simple le monde qui nous entoure. Evêque au quatrième siècle de la ville de Myra, en Turquie, près du village de Finike, où villégiature aujourd’hui le touriste européen avide de soleil, il est transporté après sa mort à Bari, en Italie. Il devient saint patron de la Russie, puis est fait Santa Claus et Père Noël par la magie laïcisante de boutiquiers anglo-saxons qui le voiturent en traîneau attelé de rennes dans une taïga plus ou moins lapone. C’est aussi un six décembre, en 1986, que mourut Malik Oussekine, battu à mort par des policiers de la République lors des manifestations contre le projet de réforme universitaire Devaquet. Ne le laissons pas disparaître de notre mémoire.

Le sept décembre, c’est Pearl Harbor, qui mène Roosevelt à déclarer la guerre au Japon puis à l’Allemagne, après avoir laissé l’Europe se colleter avec les nazis pendant plus de deux ans. Le même sept décembre 1941 le maréchal Keitel signait le décret « Nuit et Brouillard » permettant la déportation secrète de quiconque menaçait la sécurité de l’armée allemande. Aujourd’hui ce sont les Etats-Unis qui éprouvent cette hantise de sûreté pernicieuse qui permet d’oublier, au nom d’un antagonisme de civilisation controuvé, les droits les plus élémentaires des personnes et d’effacer du monde quiconque ressemble aux chimères de ses fantasmagories. Des aéronefs mystérieux repassant par le ciel de l’Europe, le meurtre légal, pendant cette décade, d’un voyageur[1] que l’on tue sans barguigner dans un aéroport, l’ont illustré sans équivoque.

Puis le huit décembre nous a rappelé John Lennon, assassiné à New York en ce jour, il y a vingt cinq ans. Pour moi, j’ai voulu me souvenir, dans la songerie qui déjà me saisissait à réveiller toutes ces ombres, du début décembre 1793. A cette date, le sept ou le huit, la Convention, empêtrée entre le besoin de l’Etat républicain de contrôler une Eglise réactionnaire et d’empêcher les excès des anticléricaux enragés, proclame la liberté des cultes. A cette date meurt, dans la Vendée en guerre, le jeune Joseph Bara, à l’âge de treize ans, tué par des contre révolutionnaires en criant « Vive la République ». Sa légende sera forgée à l’époque même où la Convention abolit l’esclavage dans les colonies et le personnage occupe pendant un siècle et demi l’imaginaire républicain, donnant son nom à des rues et des établissements scolaires d’aujourd’hui. C’est peut être déjà ce que l’on appelle « le temps médiatique »[2]. Pour le reste ; relations de notre République avec les Eglises, abolition de l’esclavage dans les colonies françaises[3], égalité des droits pour les afro américains[4], il faut patauger dans le temps d’une histoire qui marche à pas comptés, de bévue en maladresse, avec de minces charlatans entremetteurs de sordides intérêts, escobars, pharisiens et tartuffes de toutes coteries, aigrefins ou flibustiers de tous rivages, mais aussi des personnages de jugement lucide et de clair entendement, inclinés à la justice, à l’harmonie et au bien public.

Ce sont de tels personnages qui dénouent en 1905, au milieu de fanatismes antagoniques furibonds, une tension séculaire avec le religieux, construisant la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat, dernière commémoration, le neuf décembre, de cette décade riche en ressouvenances.

Ce sont de minces charlatans qui s’opiniâtrent, le vingt neuf novembre dernier et confirment, en refusant d’amender l’inepte loi du 23 février 2005[5], leur vision crasse de l’histoire et leur conception ubuesque du monde.

Aussi la commémoration générale de la loi de 1905, qui accouple dans une même ferveur les descendants actuels des anciens fanatiques et les conjoint aux héritiers unis des justes et des gredins est-elle un hommage inconscient du vice à la vertu. Alors, en ce moment d’unanimisme, faisons le rêve, pour aborder candidement les fêtes de fin d’année, que les commandements de cette vertu mènent nos politiques de partout à une sage administration des questions de notre temps, dans le respect des droits de la personne, avec le discernement qui convient, avec le sens de l’histoire et de sa marche lente et paradoxale, avec lucidité, souci de justice et sens de l’équité, dans l’écoute sincère et bienveillante de tous et de chacun, sans turpide souci d’élection.

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Nous nous réveillerons, si Dieu veut, après la trêve des confiseurs, avec sans doute une bonne migraine, pour revenir aux grises réalités d’après bamboche.



[1] La plupart des dépêches ont ignoré son nom. Selon les rares qui l’ont rappelé, ce malheureux se nommait Rigoberto Alpizar.

[2] Dès le mois de juillet 1794 les paroles du « Chant du départ » de Marie-Joseph Chénier évoquent ce pauvre garçon qui aurait dit en réalité à ses agresseurs « Allez vous faire foutre brigands ». Ce ne fut ni la première ni la dernière des paroles historiques un peu arrangées par le scénariste.

[3] Les révolutionnaires de 1789 n’ont jamais été favorables à la suppression de l’esclavage. La mesure n’a été prise ni dans le cadre de l’abolition des privilèges aristocratiques, ni dans la très progressiste constitution de 1791. Ce n’est qu’en 1794, le 4 février, que la Convention entérine, non sans réticences, la décision de Toussaint Louverture d’abolir l’esclavage à Saint Domingue le 29 août 1793. Elle le gagne ainsi à la République mais le Directoire, très attentif aux intérêts des colons, n’a jamais admis la mesure et freine toutes ses mises en application. Il licencie par ailleurs beaucoup d’officiers noirs de l’armée républicaine. N’oublions pas enfin que la question se pose dans un cadre géopolitique global, où la concurrence avec Anglais, Espagnols et Hollandais dans les Caraïbes est d’une importance capitale, avec en particulier la production sucrière, stratégique à cette époque. C’est pourquoi, dès que les tensions s’apaisent provisoirement avec l’Angleterre, en octobre 1801, Bonaparte, marié à Joséphine, née à la Martinique et très sensible aux pressions des colons, charge, le 24 octobre, son beau-frère, le général Emmanuel Leclerc, du commandement de l’armée de Saint Domingue. Le débarquement a lieu le 4 février 1802 et de rudes opérations commencent. L’esclavage est officiellement rétabli le 20 mai 1802, Toussaint Louverture est arrêté par traîtrise le 7 juin et le général Leclerc meurt de la fièvre jaune le 2 novembre, laissant à d’autres le soin d’imposer par la répression le retour à un esclavage qui n’avait en fait jamais vraiment cessé dans les territoires dominés par la France. Plus tard, à Sainte Hélène, Napoléon regrettera d’avoir « cédé aux criailleries des colons » et de ne pas avoir gouverné les Antilles par l’intermédiaire de Toussaint Louverture. Il faudra la brève République de 1848 pour imposer l’abolition et l’on attend toujours une vraie égalité sociale, économique et symbolique des citoyens noirs dans notre pays.

[4] La garantie de vrais droits civiques aux afro américains est aussi une longue histoire. Dès 1862, aux débuts de la « Civil War » ou guerre de Sécession, Lincoln proclame la liberté des esclaves. En 1865, au terme de cette guerre, le congrès vote le 13e amendement de la Constitution stipulant qu’il n’existerait plus dans les Etats-Unis ni esclavage ni servitude involontaire. Mais il y avait encore du chemin à parcourir pour de véritables droits. En effet, bien avant Rosa Parks, un autre noir, avait déjà refusé de céder sa place à un blanc dans des transports en commun. Il en était résulté un procès que la Cour Suprême tranche, en 1892, en affirmant que les noirs étaient certes égaux, mais devaient être séparés. Cette formule ; « égaux mais séparés » émise par la plus haute instance judiciaire du pays fonde légalement la ségrégation américaine. C’est contre cet état de fait que se révoltent Rosa Parks, puis Martin Luther King, pour une décennie de luttes qui aboutissent à une série de lois mettant fin à la ségrégation mais toujours pas à l’inégalité socio-économique des noirs, aujourd’hui proportionnellement moins nombreux dans les classes favorisée, les assemblées politiques, les professions prestigieuses et proportionnellement plus nombreux dans les prisons et les corps expéditionnaires, du Viet Nam à l’Irak.

[5] Les rédacteurs de l’article 4 si contesté n’ont peut-être pas eu connaissance de la décision constitutionnelle 83-165 du 20 janvier 1983, qui garantit la libre expression et l’indépendance des personnels dans les établissements d’enseignement supérieur et en particulier celles de professeurs. Notre représentation nationale a aussi tendance à oublier de plus en plus que la Constitution de la Ve République fixe clairement, en son article 34, le domaine où la loi est autorisée à intervenir et elle est de plus en plus portée à s’ingérer dans des domaines où notre loi organique ne lui permet pas de légiférer. Il est vrai qu’avec notre contrôle constitutionnel français, si infirme et incapable de s’exercer de manière autonome, peuvent se donner libre cours toutes les frénésies législatives, qui entassent les unes sur les autres des lois parfois biscornues et extravagantes, votées ou abrogées au gré des alternances politiciennes.

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