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Un vilain petit vicomte

Voilà que cela recommence… Une odeur d’oeuf pourri nous est venue il y a quelques semaines de Vendée. C’était le samedi 16 juillet dernier, Philippe de Villiers, élu du peuple à l’Assemblée nationale française et, accessoirement, président du Mouvement pour la France (MPF), a tenu des propos outranciers dans le journal télévisé de 13 heures de TF1 : « l’Islam est le terreau de l’islamisme, et l’islamisme est le terreau du terrorisme », a-t-il ainsi coassé. Dans sa rhétorique alarmiste, qui faisait suite aux attentats de Londres du 5 juillet, le « vicomte » n’a pas craint d’évoquer la « troisième guerre mondiale déclarée par l’islamisme radical » et surtout de mettre en garde contre l’ »islamisation progressive de la société française ». Et d’appeler du coup à la reprise en main des cités. En un mot, sus aux Sarrasins !

 Comment réagir à de tels propos qui, en France, ont immédiatement été condamnés par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) tandis que le reste de la classe politique et de la société civile semble hésiter quant à la conduite à tenir.

 Il est vrai que depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, la parole islamophobe s’est libérée, à droite comme à gauche, et l’amalgame entre les monstres qui tuent sans discernement et la grande majorité pacifique des musulmans est devenu chose aisée.

 Je pourrai me laisser aller à écrire les pires choses à propos de ce clone pitoyable de Jean-Marie Le Pen dont le journaliste Saïd Branine a raison de dire que son « avidité politicienne risque de le mener directement vers un des lieux caractéristiques des forteresses féodales : les oubliettes » (1). Mais je préfère vous parler de Brian Paddick, ou plutôt de « monsieur » Brian Paddick.

Cet homme est l’un des responsables de la police du métro londonien. Comme des millions de personnes, j’ai découvert son existence et son visage le jour même des attentats de Londres, lors de la conférence de presse qui a suivi le drame. « Islam, a-t-il dit, et terrorisme sont deux mots qui ne vont pas ensemble ». Admirable et courageux.

 Oui, je sais. Je sais, que ce genre de propos est de circonstance et que les services d’ordre britanniques ont vraisemblablement eu pour consigne d’éviter les tensions raciales et religieuses. Il n’empêche. C’est la ville de monsieur Paddick que l’on venait d’attaquer. C’est dans son métro que l’on venait de tuer. Sur son visage, pâle, se lisaient une grande douleur mais aussi une dignité et le respect pour tous ses concitoyens.

C’est cette dignité et ce respect qui manquent à ce vilain qui se prétend nobliau. Comme souvent, les propos prononcés par De Villiers reposent sur un socle de vérité. Oui, le terrorisme est une menace. Oui, le terrorisme est une aberration que les sociétés ouvertes ont beaucoup de mal à combattre. Mais de là à insulter toute une religion ! Cela étant, et au risque de choquer, ce n’est pas le fait que l’Islam ait été insulté qui m’inquiète. Des insultes, notre religion en a connu, et il est à craindre qu’elle en connaîtra d’autres (à propos, un roman de Michel Houelbecq est annoncé pour la rentrée…).

 Non, le pire, c’est cette mise en accusation explicite d’une partie de la population française. Tout musulman serait donc, selon ce discours, un terroriste potentiel et qu’importent sa nationalité française, ses racines, son envie de vivre une vie normale, comparable à celle de millions d’autres citoyens.

 Que l’on soit beur, blédard, harki, clandestin, intégré ou éternel étudiant, il va falloir malheureusement s’habituer à ce racisme imbécile. Nous le savons tous : la violence terroriste ne va pas disparaître comme par enchantement et c’est pourquoi l’ère du soupçon ne fait que commencer. De toutes les façons, les musulmans de France ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se protéger et faire entendre leur indignation.

 Dans les pays d’origine, les propos de Villiers n’ont eu aucun écho politique et ils n’en n’auront pas.

 A l’occasion, comme il l’a déjà fait par le passé, ce triste sire pourra même se déplacer au bled, faire de grands discours, rencontrer de très hauts responsables, déguster des dattes et boire du lait et peut-être même avoir droit au bouss-bouss à l’aéroport. Car il en va ainsi dans les bleds. On pardonne – on fait même mine de n’avoir rien entendu – à ceux qui insultent les enfants de l’immigration ; à ceux qui, non contents de les écraser par les discriminations, les assimilent en permanence à une cinquième colonne.

Il fut un temps où les choses allaient autrement. Dans les années 1970, devant un Paul Balta – le correspondant du Monde à l’époque – médusé, Medeghri, ministre de l’Intérieur de Boumediène, avait tancé son homologue français Poniatowski, le mettant en garde contre la multiplication des attentats racistes qui secouaient le sud de la France. Période terminée.

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 A Paris, on peut insulter les Maghrébins de France, et être reçu avec les honneurs à Alger, Tunis ou Rabat. Mieux, on peut qualifier le président Bouteflika de « terroriste du FLN » et dormir quelques mois plus tard dans de beaux draps à Djenane El-Mithak après avoir banqueté autour d’un méchoui et vanté les bienfaits du libéralisme.

 Vous trouvez que je force le trait ? Bien. Permettez-moi de vous rappeler cette fameuse loi qui a été votée en février dernier en France et dont une disposition rend hommage à la colonisation de l’Afrique du Nord (2).

 Qui a réagi lorsqu’elle a été votée ? Personne. Mieux, qui a réagi lorsqu’elle était en voie de préparation et que quelques historiens franco-algériens ont tiré la sonnette d’alarme pour empêcher justement qu’elle soit votée ? Personne. Au bout de plusieurs semaines, c’est d’abord la presse algérienne qui a protesté et, à cette heure, cette loi ne semble indisposer personne à Tunis comme à Rabat.

 Mais cette passivité est finalement une bonne chose. Elle confirme que c’est aux musulmans de France de prendre en main leur destin, dans le strict respect de la loi et de la tradition républicaine.

 Sans rien attendre de bleds lointains où le complexe du colonisé a encore de beaux jours devant lui.

 

Sources : le Quotidien d’Oran, jeudi 28 juillet 2005

 

Notes :

(1) La Rhétorique Médiévale De Philippe De Villiers, 21 Juillet 2005, Oumma.Com.

(2) La Revanche De L’oas ? Chronique Du Blédard Du 21 Avril 2005.

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