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Traces, mémoires musulmanes en coeur de France

« Celui qui se connaît lui-même et les autres l’Orient et l’Occident reconnaîtra aussi ceci : L’orient et l’occident ne peuvent plus êtres séparés »

Johann Wolfgang von Goethe

L’ouvrage de Georges a. Bertrand présente la rencontre entre la culture musulmane, issue d’un vaste empire, et l’art d’un espace infiniment plus restreint, le sud de la France, au moyen d’images qui se superposent afin d’offrir la démonstration imparable de l’emprunt, de l’adoption et de la transposition des décors islamiques par les artistes et artisans de cette région.

Aussi Georges a. Bertrand a-t-il sélectionné un ensemble d’oeuvres particulièrement évocatrices des contacts étroits entre motifs sculptés médiévaux et occidentaux et images d’édifices, d’objets d’art ou d’enluminures de l’Orient musulman. Une importante introduction permet au lecteur d’aborder le contexte historique et social de ces relations culturelles et artistiques, et de se repérer dans la chronologie complexe de cette période, car la démonstration s’adresse à un large public francophone, et plus particulièrement français.

Ce livre, au-delà du plaisir qu’il nous procure grâce à la qualité de son illustration et à l’originalité de sa mise en page, a aussi pour mission de montrer que notre culture occidentale est le fruit de la diversité. De fait, si cette dernière a pour racines l’antiquité gréco-romaine et le christianisme, elle a aussi puisé à d’autres sources, notamment à celle de la civilisation arabe.

En effet, il ne faut pas oublier que les arabes ont joué le rôle de « passeurs » dans le temps et dans l’espace, traduisant les textes de l’antiquité grecque, en particulier ceux qui traitaient de sciences et de techniques, ce qui a permis de les diffuser dans l’Occident médiéval et de les conserver jusqu’à nous. Ce mouvement, qui est né de l’initiative du califat de Bagdad et de l’élite Abbasside qui a organisé ces traductions et les a financées, témoigne de la volonté de cette société de s’approprier la quasi-totalité des connaissances de son temps.

De même, les arabes ont répandu dans le monde de l’époque des techniques qu’ils avaient eux-mêmes empruntées à l’extrême-Orient, parmi lesquelles on peut citer le rouet, la céramique glaçurée, ou le papier, matériau qui a joué et joue toujours un rôle essentiel dans la transmission des savoirs.

La question des mouvements de traduction gréco-arabe a principalement été abordée par la recherche anglo-saxonne, si bien qu’on peut faire le parallèle avec les études anglaises et américaines concernant les influences des décors islamiques dans l’art byzantin. À ce propos, on doit rappeler que l’art byzantin ne fut pas avare, surtout dans la Grèce des Xe – XIe siècles, d’emprunts au décor arabe, comme les bandes à pseudoinscriptions coufiques, ou les représentations animales caractéristiques du bestiaire iranien ou arabo-musulman.

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La recherche française n’est naturellement pas absente dans le domaine des relations arabo-occidentales au Moyen-Âge, même si au détour d’un colloque, d’un article ou d’un ouvrage lié à cette question d’histoire, on a la surprise de constater un certain révisionnisme, pour ne pas dire un révisionnisme certain. Dans les faits, celui-ci est bien plus révélateur des crises que traverse actuellement la société française, avec ses difficultés liées à son passé colonial et son immigration, que de la réalité historique.

La confrontation des oeuvres et des formes artistiques orientales ne permet pas le doute, et Georges a. Bertrand, à travers les illustrations de son ouvrage, révèle la fascination que l’homme médiéval occidental éprouvait pour l’Orient et l’espagne musulmane. Il en dépendait pour s’approvisionner en produits de luxe, comme les épices, parfums, soieries et autres matières précieuses.

De ces produits manufacturés et des arts somptuaires importés, les artistes et artisans d’Occident ont repris les motifs ou les formes dans leurs réalisations, parfois assez fidèlement, peut-être pour donner l’impression qu’elles provenaient du monde arabe. c’est en tout cas l’idée qui vient à l’esprit quand on examine la calligraphie sculptée le long de la porte de Notre-Dame du Puy. L’auteur qui l’a ciselée n’était sans doute pas arabe, mais il est certain qu’il avait une connaissance des formules coraniques dont il a tenté de reproduire un exemple en caractères coufiques foliés.

On pourrait tenir le même propos au sujet d’une fresque du XIIIe siècle, montrant la scène de la Dormition de la Vierge à l’église de la Panaghia Mavriotissa de Kastoria, au nord de la Grèce, où sur une façade de maison court une pseudo-inscription en caractères coufiques variés et bien tracés. Un autre trait caractéristique bien connu de l’art musulman est l’usage de décors géométriques virtuoses réalisés sur des supports aussi variés que la pierre, les textiles ou les pages des livres, dont on retrouve des imitations dans l’art roman du sud de la France. cet ouvrage en propose un magnifique choix.

La région dont Georges a. Bertrand explore l’art et les monuments présente un grand intérêt à plusieurs titres. Proche de la Méditerranée, elle a été lieu d’accostage pour divers peuples, dont des arabes venus s’installer et créer un éphémère État que seul rappelle le nom du massif des Maures. Voie de passage entre l’espagne et l’europe du Nord, elle a vu circuler les pèlerins de compostelle, et c’est précisément sur ce chemin que se croisèrent les influences artistiques, formes orientales transmises par les musulmans d’andalousie et formes gothiques qui marqueront l’architecture espagnole au moment de la reconquête. au fil des pages, Georges a. Bertrand choisit pour nous l’itinéraire le plus séduisant et le plus évocateur par son exotisme, celui du sud et de l’Orient.

TRACES – Mémoires musulmanes en cœur de France

Editions Chaman

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