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Tariq Ramadan : « La vie du Prophète est une bonne introduction à l’islam »

Ecrire une biographie du Prophète, n’est-ce pas mission impossible en 2006 ? L’auteur risque d’abord d’être comparé, sinon opposé, aux plus célèbres savants musulmans à travers l’histoire, qui se sont longuement penchés sur la vie de Muhammad. D’autant que Tariq Ramadan n’est pas un historien.

Ensuite, la personne même du Prophète est au centre de violentes polémiques depuis des mois. Sans revenir sur l’affaire des caricatures, rappelons le texte signé par Robert Redecker dans « Le Figaro ». Ce professeur de philosophie oppose Jésus « maître d’amour » à Muhammad « maître de haine ». Il le décrit comme un « pillard, massacreur de juifs et polygame ». Tariq Ramadan s’est expliqué récemment dans « Le Point » sur les menaces de mort dont Robert Redecker fait l’objet. « Ma condamnation de l’appel au meurtre est absolue, comme elle le fut dans le cas de Salman Rushdie ». Mais l’islamologue ajoute : « Je suis néanmoins en droit de dire que son texte est approximatif, grossier, par moments haineux et raciste, bref très mauvais ».

Certes, les critiques ne sont pas toutes aussi grossières. Il n’empêche, l’islam est de plus en plus souvent présenté en Europe comme une religion guerrière. Et sa figure centrale, Muhammad, comme un combattant, n’hésitant pas à occire ses ennemis au nom de la « guerre sainte ». Même Benoît XVI, dans son discours de Ratisbonne, semble penser que les textes de la période médinoise (quand le Prophète est au pouvoir), jugés « belliqueux », ont pris le pas sur les versets d’avant l’exil, considérés, eux, comme « pacifistes ».

Il fallait donc une certaine dose de courage (certains diront d’inconscience) à Tariq Ramadan pour proposer à la fois aux musulmans et aux non musulmans une vie du prophète (*). « Le Coran n’est pas simple d’accès, je pense que découvrir d’abord les évènements de la vie de Muhammad est une bonne introduction à l’islam », pense l’islamologue.

N’est-ce pas un peu présomptueux de proposer une vie de Muhammad ?

Non. La vie du Prophète fait partie des sciences islamiques que j’ai étudiées. Pour écrire ce livre, je m’en suis tenu aux faits reconnus par la tradition, aux textes de référence, aux sources fondamentales. C’est la grande maison d’édition britannique Penguin qui m’a commandé cet ouvrage. Il sort simultanément en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En France et dans les pays francophones, le livre est publié aux éditions du Châtelet. Ajoutez des traductions en espagnol, en italien, et bientôt en néerlandais.

Certaines biographies parlent du Prophète comme d’un magicien. D’autres affirment qu’il serait venu au monde circoncis naturellement. Son cordon ombilical aurait été tranché par l’ange Gabriel.

Ces faits ne sont ni reconnus, ni attestés. Je rappelle que lorsqu’on lui demandait des miracles et des preuves, le Prophète répondait inlassablement : « Je ne suis qu’un messager ».

En Occident, on reproche à Muhammad d’être polygame. Certains textes parlent de 15 épouses, et rappellent que l’un d’entre elles, Aïsha, n’avait pas huit ans.

La pratique de la polygamie était la règle à cette époque en Arabie. Pendant 25 ans, le Prophète n’a eu qu’une seule épouse, Khalidja, décédée en 619 de l’ère chrétienne. Ensuite, sa situation a changé et ses mariages successifs ont souvent correspondu à des alliances que les musulmans passaient avec certaines tribus. Quant à Aïsha, je le précise dans mon livre : si elle est devenue officiellement la seconde femme de Muhammad, le mariage n’a été consommé que quelques années plus tard.

Autre reproche : l’hostilité du Prophète vis-à-vis des tribus juives qui peuplaient alors l’Arabie.

Ce sont souvent des tribus juives qui ont le plus attaqué les musulmans, qui se sont montrées le moins fidèles à leurs paroles. Mais il ne faut pas systématiser. Muhammad a aussi maintenu des relations très étroites, basées sur la reconnaissance et le respect mutuel, avec d’autres tribus juives.

Vous décrivez parfois un homme belliqueux, qui demande que les traîtres soient passibles de mort.

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C’est malheureusement le sort réservé aux traîtres dans toutes les guerres. S’ils ne s’étaient pas défendus, les musulmans auraient été exterminés par leurs ennemis. Quand le Prophète décide d’intercepter une caravane, c’est d’abord pour récupérer l’équivalent des biens pris aux Musulmans. Il s’agit aussi d’une démonstration de force afin d’impressionner les habitants de La Mecque qui ne cessaient de menacer Médine. Muhammad a toujours cherché à éviter les conflits, à trouver des solutions négociées. Il n’est allé au combat que contraint et forcé.

Pensez-vous, comme certains, qu’il faudrait supprimer du Coran les textes guerriers ?

Non. Il y a dans le Coran des textes immuables, notamment sur la façon de prier. Mais il existe aussi d’autres textes qu’il faut replacer dans leur contexte historique. Cette vie du Prophète doit être lue à la lumière de notre vie contemporaine. Dans ce livre, je fais un travail d’approche contextuelle, similaire à l’enseignement que je dispense depuis plus de quinze ans à des milliers de musulmans. Je m’adresse également aux non musulmans, sachant que le Coran n’est pas simple d’accès : Découvrir d’abord la vie de Muhammad est une bonne introduction à l’islam.

Qu’en est-il de votre avenir professionnel ?

J’ai été recruté comme « visiting professor » au Saint Antony’s College, à Oxford, l’année dernière. Mon contrat a été prolongé. Par ailleurs, je suis « senior research fellow » à la Lokahi Foundation, à Londres, une association de dialogue intercommunautaire qui organise séminaires et conférences. Je reste donc en Grande-Bretagne avec ma famille. Je m’y sens d’autant mieux que les principaux éditeurs me submergent de propositions de livres.

Désertez-vous la France ?

Absolument pas. Je suis très libre dans mon travail, ce qui me permet de me déplacer souvent. Je maintiens mes conférences et mes formations dans l’Hexagone. Je prépare un texte sur le débat politique en France un an après les émeutes. Un texte assez sévère sur l’état de ce pays.

Contrairement à la Grande-Bretagne, une bonne partie de la classe politique française continue à vous diaboliser.

Si vous saviez le nombre de politiciens français qui cherchent à me rencontrer… Mais c’est vrai, ils ne souhaitent toujours pas que ça se sache.

Propos recueillis par Ian Hamel

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(*) Tariq Ramadan, « Muhammad, vie du prophète. Les enseignements spirituels et contemporains ». Editions du Châtelet.

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