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Sortir du « complexe post-colonial » pour une nouvelle Aufklärung ?

« (…) Les civilisations que nous avons sécrétées sont merveilleusement diverses et cette diversité constitue la richesse de chacun de nous. Grâce à une certaine difficulté de communication, cette hétérogénéité des cultures a pu longtemps subsister, mais il est clair qu’elle risque de disparaître rapidement. Notre propre civilisation européenne a étonnamment progressé vers l’objectif qu’elle s’était donnée : le bien matériel. Cette réussite lui donne un pouvoir de diffusion sans précédent, qui aboutit peu à peu à la destruction de toutes les autres ; R. Gessain a décrit la mort culturelle sous la pression de la “civilisation obligatoire”.

(…) La richesse à préserver ne vaut-elle pas l’abandon de certains objectifs qui se mesurent en produit national brut ou même en espérance de vie ?
ALBERT JACQUARD ’’Eloge de la différence’’, Edition du seuil, 1978.

Durant ces dernières années, il est courant d’entendre dans les médias occidentaux et notamment en France, sous forme d’injonctions ou de reproches, des politiciens, des intellectuels et des journalistes parler de « démocratisation », de « modernisation », d’« intégration » ou plutôt d’« assimilation » de l’autre ; et à l’inverse, sur un ton paternaliste, de « stigmatisation », de « discrimination », de « ségrégation », de lutte « contre le communautarisme », de lutte « contre les inégalités », de « fracture sociale », etc.

De part et d’autre de la société, s’est constituée une image stéréotypée, soit celle du citoyen « bien intégré », en l’occurrence français de « souche européenne » et de culture « judéo-chrétienne », et soit celle du français pas tout à fait considéré comme tel, que l’on qualifie encore comme issu de l’immigration, de la énième génération, issu de zones géographiques désignées comme « territoires perdus de la République » et autres « zones de non droit », de confession musulmane ou supposée, etc.

Aujourd’hui, il est temps de sortir de ce schématisme réducteur et dévastateur. La France, et cela a été maintes fois dit, doit se reconnaître comme multiculturelle, multiconfessionnelle, pluri identitaire. Et doit appliquer réellement l’Egalité et la Fraternité, non plus seulement citées tout azimut dans les discours politiques de manière dogmatique et démagogique à l’approche d’élections, mais appliquées dans les faits.

Pour cela, il faut accepter l’autre tel qu’il est et apprendre à le connaître, reconnaître ses compétences, lui faire confiance, sans cela il y a fracture sociale (1). Et ne pas, à chaque crise internationale voire en lui un ennemi intérieur. Les récentes émeutes dans les banlieues et les licenciements de bagagistes à Roissy n’en ont été que plus symptomatiques.

Pourquoi est-ce que cette reconnaissance tarde à venir ? Le poids de l’Histoire y est-il pour quelque chose ? Pour cela, nous développerons deux aspects déterminants : le « complexe post-colonial » et réfléchir à une nouvelle Aufklärung ou à de nouvelles Lumières pour ce millénaire.

Le « complexe post-colonial »

Définissons tout d’abord, de manière succincte, le « complexe post-colonial ». Nous pouvons dire que c’est un sentiment soit d’infériorité pour celui qui a été colonisé et qui a transmis inconsciemment ses inhibitions à ses descendants, soit un sentiment de supériorité pour celui qui a colonisé, du moins ayant une nostalgie pour la « Grande France Impériale », et chanté les « louanges civilisatrices » de ses valeurs et de ses traditions, et qui pérennise consciemment ou inconsciemment cette certitude qu’il détient La Vérité ; renvoyant à deux postures tout aussi manichéennes et extrêmes, soit les tenants du discours du rôle positif de la colonisation sous tendant la suprématie de la culture et de la rationalité occidentale face à la barbarie et à l’archaïsme de l’autre, et soit à l’inverse le discours des laissés pour compte, des exclus, usant d’arguments comme étant victimes de complots, de néocolonialisme, de racisme, etc.

Ne sont-ce que des vues de l’esprit ?

Il est vrai que « L’Homme blanc » a été et demeure encore la référence de la réussite pour le reste du monde. Qui n’a pas vu les explorateurs et les chercheurs blancs sur le petit écran, faire des découvertes ? On savait qu’ils avaient atteint la lune, que les innovations technologiques se développaient à un rythme exponentiel. On voyait les ONG faire des dons, les missionnaires chrétiens entourés de petits orphelins reconnaissants. Et les autres (peuples de l’Humanité) où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Etaient-ils aussi « bons », aussi « généreux », aussi « humains » ?

En effet, là où le « complexe post-colonial » a fait le plus de ravages, c’est chez l’ex-colonisé, qui a cru depuis la colonisation qu’il était inférieur, de par ses origines et sa culture : en somme, colonisé de l’esprit (2). Voyant comme ici en France et comme là-bas dans son pays d’origine, un déficit, une stagnation, voire une régression : manque de démocratie, de solidarité, problèmes économiques, corruption, précarité, conflits, etc. Assénant ça et là des remarques telles que « Nous les arabes (maghrébins) ou les africains on arrivera jamais à évoluer et à se mettre d’accord. Il y a trop de divisions : marocains, algériens, tunisiens, etc. ».

Ajouter à cela, une représentation de l’autre dépréciative : par exemple, ceux à qui on a réussi à faire comprendre que ce n’est pas bien de parler arabe à voix haute (Voir le rapport Benisti), parce qu’étant le signe d’une arriération, d’une non intégration ; alors que tout anglophone peut s’époumoner dans la langue shakespearienne… personne n’y trouvera rien à redire.

Et c’est là où est le nœud du problème. Et si ceux qui étaient touchés par « le complexe post-colonial » se sentaient victimes ou inférieurs, parce que leur pays d’origine ou eux-mêmes ici en France n’étaient pas capables de s’organiser (3), de s’entraider, etc. ; en somme, les symptômes de celui qui se néglige au point de ne plus se supporter, de s’aimer. Comment les autres peuvent-ils alors le respecter ?

Et si guérir de ce « complexe post-colonial » passait par le savoir et la reconnaissance de l’autre ?

Oui, il est temps de connaître l’Histoire, pas seulement celle de France réduite aux frontières hexagonales, mais tout (tous les pays, peuples, cultures) ce qui a fait ce qu’elle est aujourd’hui : histoire des rapports de la chrétienté avec l’islam ou plutôt de l’occident et de l’orient, de la colonisation, de l’immigration (4), etc. Pour enfin sortir de tous ces clichés qui perdurent. Oui, le fils ou la fille d’immigré ex-colonisé, doit se libérer de ses chaînes qui constituent son ignorance sur sa propre culture, sa propre religion, son pays (La France : besoin de le préciser ?), ses droits et devoirs. Et sortir de ce discours victimaire, misérabiliste, pour guérir et aller de l’avant, vers les autres.

Pour une nouvelle Aufklärung

Aller vers une nouvelle Aufklärung ou de nouvelles Lumières qui engloberaient toutes les valeurs et le patrimoine universel de l’Humanité ? Non plus ces Lumières qui désignent implicitement l’Europe.

En effet, l’Aufklärung que l’on traduit en français par « Les Lumières », est apparu dans son acception philosophique au XVIIIème siècle. Il dérive de l’adjectif klar, lui-même issu du latin clarus : « clair, net », auquel on a joint le préfixe auf (ancien allemand uf), indiquant un mouvement vers le haut, et le suffixe ung. Aufklärung ne désigne donc pas un état, mais une action : l’action de rendre clair, d’éclairer.

Il désigne aussi un mouvement intellectuel et philosophique qui domine le monde des idées en Europe, et dont les traits fondamentaux sont un rationalisme en prise sur l’expérience, ouvert au sensible et au monde des sentiments, le rejet de la métaphysique, la croyance dans le progrès et dans la perfectibilité de l’Homme, le combat pour la tolérance et le respect des libertés civiles. (Le Petit Larousse)

Or, comme le pensait si bien le fameux philosophe Emmanuel Kant, « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme, de sa minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. »

Mais, le problème de cette émancipation, de se dégager du joug de la tutelle (de la famille, de la société, de l’Etat, en somme des autres), réside bien dans l’entendement et la direction d’autrui. Que ce soit les parents, l’école, la société, et l’Etat, qui représenteraient en l’occurrence la direction d’autrui, comment en être totalement indépendant, si les seules connaissances qu’on en a du monde et de la (leur) vérité, sont les enseignements qu’ils nous inculquent ? (5)

Il en va de même pour la théocratie que pour la démocratie : aucune n’est exempte du risque de manipulation des masses. Chacun disant, « Il faut laisser le choix à l’enfant », à l’« individu », au « citoyen », encore faut-il lui laisser la possibilité de comparer, d’avoir accès à toutes les littératures, tous les savoirs, idéologies, tous les textes, les informations ; et non plus les formater à travers des représentations, des discours, des textes ou interprétations de seconde main, biaisés puisque orientés idéologiquement. Aller à la source même, encore faut-il en avoir les moyens d’accès, la culture scolaire, ne pas avoir subi un lavage de cerveau, être pétri de préjugés, au point de lire quelle phrase que ce fut de n’importe quel ouvrage ou auteur ou livre sacré et de le condamner avant même d’en avoir compris le sens, le contexte historique, etc.

C’est seulement à cette seule condition que l’entendement pourra raisonner, comparer, faire le tri. Bien entendu, encore faut-il que celui-ci ne soit pas parasité par des besoins artificiels engendrant cupidité, individualisme, intérêts, etc., que la société de consommation peut provoquer et qui vont à l’encontre de sa raison, mais dans le sens de ses passions, de son confort avant tout et au détriment des autres. Et enfin, accepter la différence d’opinion, trouver un compromis, une Laïcité pure et non érigée comme dogme républicain refoulant toute manifestation, affirmation et existence de l’autre.

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Pourquoi une nouvelle Aufklärung ou repenser les Lumières ?

Comme le pensait si bien Malek Bennabi, le danger vient du fait d’être sûr de détenir la vérité, de ne pas se remettre en cause. Tout comme la civilisation islamique qui se vivait comme le centre du monde, pour décliner et s’enfermer comme nous le savons (6), la civilisation occidentale suit inconsciemment le même schème.

En effet, toute la Renaissance, l’Humanisme, et Les Lumières n’ont révélé qu’un européocentrisme exacerbé ; comme lorsque Karl Marx ou Moses Mendelssohn faisaient la critique de la religion, ne se basant que sur le catholicisme. Les ouvrages scolaires ne traitent de la Renaissance, de l’Humanisme et des Lumières que de façon apologétique, et mythologique. On doit tout aux grecs, parce qu’ils font parti de l’Europe. Les autres ce sont les barbares comme les désignait Saint Augustin. Avant la Renaissance qu’est-ce qu’il y avait ?

Conclusion

En conclusion, il convient de cesser de faire le jeu du choc des civilisations. L’enjeu du XXIème siècle n’est pas le fondamentalisme révolutionnaire islamiste comme le pense Eli Barnavi (7). Vu de Tel Aviv, peut-être ? En finir aussi avec ces discours « nous sommes les victimes et c’est la faute aux autres » : comme ceux qui brandissent indéfiniment la colonisation, l’esclavage, etc. Mais plutôt se dire : « qu’ai-je fait pour que le monde soit meilleur autour de moi ? ».

Le véritable combat de ce millénaire est, la lutte contre le réchauffement climatique, l’accès à l’eau potable pour tout le monde, lutte contre les inégalités, contre la famine, contre les guerres, etc. Oui, l’enjeu de ce millénaire peut se résumer ainsi, « qu’elle est enfin cette Humanité qui réalisera ce dessein de réelle Justice, d’Egalité et de Fraternité à l’échelle mondiale ? ». Je dis Humanité et non pas civilisation, car c’est s’enfermer encore une fois, alors que nous sommes à l’ère de la mondialisation. Quel est cet Homme nouveau ou cette Femme nouvelle qui réussira à aimer son prochain, à l’écouter, à lui parler d’égal à égal, à vouloir cet idéal et à mettre tout en œuvre pour y parvenir ?

Et non plus rester dans cette posture défensive, accusant toujours l’autre de tout, cherchant la facilité, la médiocrité, et la mauvaise foi, en se réconfortant et en s’illusionnant de détenir La Vérité. Il n’y a pas une vérité, mais des vérités aussi nombreuses que le nombre de femmes et d’hommes qui peuplent cette planète.

Pour cela, il est temps de reconnaître et d’énoncer les côtés positifs de toutes les civilisations, les cultures, les peuples, les individus, et cessez avec ce « complexe post-colonial », où d’un côté on a ceux qui prône implicitement la suprématie de l’homme blanc, comme au temps des théories des races ; et de l’autre ceux qui remettent toute la faute sur ces premiers sans jamais essayer de sortir de ce cercle vicieux.

Arrêtons de nous jeter à la figure la part sombre de nous-même, prônant la supériorité de nos valeurs et de notre culture, chacun accusant l’autre d’intolérance (8), afin de nous donner bonne conscience.

Et si ces valeurs et ces cultures que l’ont nous présente si différentes, voire incompatibles, étaient les mêmes dans le fond ou ayant la même origine ? Que les valeurs « judéo-chrétiennes » n’étaient pas aussi différentes que celles de l’islam ? Qu’en somme, il y a malgré la négation ou plutôt la minoration de cette réalité dans les contenus scolaires, un socle commun entre ces deux civilisations ? Qu’elles se sont construites l’une part rapport à l’autre, par échanges, conflits, se jaugeant comme le feraient deux équipes ou deux adversaires d’un quelconque sport ?

Il est temps, tous ensemble, de réfléchir à une nouvelle Aufklärung.

(1)_ Eric Maurin, ‘’Le ghetto français : enquête sur le séparatisme social’’, édition Seuil ; S. Marteau, P. Tournier, ‘’Black, Blanc, Beur…’’ édition Albin Michel ; Mourad Ghazli, ‘’Ne leur dites pas que je suis français ils me croient arabe’’, édition Presses de la Renaissance).Aminata Traoré, ‘’Lettre au Président des Français à propos de la côte d’Ivoire et de l’Afrique en général’’, édition Fayard.

(2)_ Malek Bennabi, Frantz Fanon

(3)_‘’La représentation de l’islam institutionnel en France’’, Franck Fregosi, dans ‘’L’Histoire de l’islam et des musulmans en France’’ édition Albin michel ; ‘’La France et ses musulmans : un siècle de politique musulmane 1895-2005’’ Sadek Sellam, édition Fayard.

(4)_ Mohamed Arkoun, George Corm, Franco Cardini, Sigrid hunke, Jocelyne Dakhlia, Jack Goody…

(5)_ P. Bourdieu et J-C. Passeron, ‘’Les héritiers’’, éditions de Minuit

(6)_ Bernard Lewis, ‘’Comment l’islam a découvert l’Europe’’, édition Gallimard

(7)_ Eli Barnavi, ‘’Les religions meurtrières’’, édition Flammarion

(8)_ Voir Bat Ye’or et tous ses livres sur la dhimmitude

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