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Retour de Gaza

 

Quand on quitte la Bande de Gaza, par le poste-frontière d’Erez (étrange frontière d’ailleurs puisqu’on est autorisé à la franchir, dans un sens comme dans l’autre, que par les représentants d’un seul Etat…), on retrouve des routes « normales » avec des voitures et des panneaux indicateurs « normaux » menant à des petites villes « normales ». Quand on sort de la Bande de Gaza, on quitte un monde « étrange » pour retrouver, presque avec « soulagement », la « normalité » : on sait, par exemple, qu’il y a 70 km d’autoroute jusqu’à Tel-Aviv et qu’on mettra une petite heure pour y arriver selon la densité des embouteillages, comme dans tout pays « normal »…

Parce que dans la Bande de Gaza, aller de Gaza-Ville à Khan-Younis (25km !) peut prendre entre 1h ou 2h30 dans le meilleur des cas, plus si, entre temps, des échauffourées ont eu lieu et que la route est coupée : alors, parfois, il faut plusieurs jours… La nuit, sans explication, on peut être ainsi arrêté de longues heures, avec interdiction de sortir de son véhicule, sous les projecteurs balayant chaque recoin de l’espace entourant l’une des 18 colonies israéliennes, camps retranchés et fortifiés, installées sur ce territoire de 360km² : un espace aplani par les bulldozers qui ont arraché arbres et cultures, détruits les maisons, transformé le paysage en un vaste terrain vague sur lequel ne se lisent plus que les traces des roues des engins de chantier.

De longues files de taxis s’allongent alors sur la nouvelle piste construite à la hâte dans les champs (ou ce qu’il en reste !) puisqu’il n’est plus possible aux Palestiniens d’utiliser la totalité de la grande route Nord-Sud qui était la leur, celle-ci étant maintenant réservée au passage des colons et à leurs protecteurs puissamment armés. Aujourd’hui, dans la Bande de Gaza, grâce à la savante distribution des colonies , aucun habitant d’une ville ne peut communiquer avec celui d’une autre ville sans passer par un contrôle israélien.

Depuis Oslo, déjà, les relations entre Gaza et la Cisjordanie étaient devenues presque impossibles, maintenant, c’est chaque ville à l’intérieur de ces territoires qui est devenu un îlot d’où les gens ne sortent qu’à peine : chaque ville est comme une cellule dont l’armée israélienne détient la clef. Ainsi, les liens se distendent entre Gaza et le reste de la Bande, aller voir sa famille est non seulement aléatoire (on ne sait jamais si on va y arriver « à temps », si on va pouvoir en revenir « à temps »), mais surtout, c’est éminemment dangereux. De nombreux Palestiniens en sont morts.

Ceux qui ont pu sortir du Territoire par l’Egypte, après y avoir été autorisé par les autorités israéliennes, lorsqu’ils reviennent au poste-frontière entre le Sinaï et Gaza, mais évidemment contrôlé par Israël, doivent patienter des dizaines heures en plein soleil dans un bus. Pourquoi boire et manger pendant cette humiliation collective puisqu’ il faudrait ensuite se soulager face à sa famille, à ses compagnons d’infortune…

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Il n’y a plus de travailleurs allant en Israël, et la route d’Erez est déserte et l’argent n’arrive plus. Les taxis ne travaillent plus, les matières premières ne passent plus, et la misère s’étend. Aux carrefours, lorsqu’il y a de l’électricité pour faire fonctionner les feux-rouges, des enfants mendient, de plus en plus nombreux. Dans les camps, les rapports humains sont devenus plus violents. Avec la désorganisation de la police due à la destruction programmée de tous ses commissariats, l’anarchie menace, celle, presque anecdotique du non-respect des règles de circulation et de la vie en communauté jusqu’au déchirement du tissu familial. Entre Hamas et Force de Sécurité, toutes les familles palestiniennes sont écartelées, le suicide, et pas seulement « terroriste » se répand, le désespoir également.

Et malgré tout, face au délabrement général observé par les militaires israéliens du haut de leurs miradors, de leurs tours de guet, de leurs dirigeables, on lutte partout pour « tenir le coup » : les écoles sont ouvertes, les associations se démènent pour continuer leurs activités, leurs réunions, leurs spectacles, les troupes de théâtre continuent de fonctionner, les centres d’artisanat d’être opérationnels. Et à la nuit tombée chacun rentre chez soi, se couche tôt, et dans le silence, écoute, tous les soirs les tirs d’armes automatiques, les survols à basse altitude des avions israéliens, et personne ne sait ce qu’il va découvrir le lendemain, égoïstement soulagé d’avoir été, un jour de plus, épargné. Du temps de l’occupation « physique » de la Bande de Gaza, les militaires israéliens avaient un corps, un visage tout comme, face à eux, les enfants palestiniens. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun contact visuel entre les deux peuples, puisque, dans leur bunker ou leur cockpit, invisibles aux Palestiniens, les Israéliens ne voient plus les Arabes que comme des masses lointaines et hostiles. C’est le triomphe de la déshumanisation.

Alors, quand on laisse Erez derrière soi, qu’on retrouve sur la route de Tel-Aviv, les supermarchés rutilants, les beaux panneaux publicitaires, le soleil paraît plus beau, le sable synonyme de vacances, et on a l’impression, après avoir quitté la plus grande prison du monde dans son carcan de béton armé, de murailles érigées et de hauts grillages électrifiés, d’avoir quitté comme une image de l’Enfer.

 

 

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