in ,

Réponse à Alexandre Adler

Or donc, je ne suis pas antisémite. A la différence des nombreuses réactions qu’a suscitées mon texte, celle d’Alexandre Adler est originale en ce qu’elle me lave du soupçon d’être un judéophobe déguisé. Prenons acte, et tous les lecteurs avec moi. La clef du mystère résiderait ailleurs : au-delà du fait que je suis le petit-fils de Hassan al-Banna dont je chercherais à réhabiliter la mémoire, je serais un « Frère Musulman », « un chef spirituel », « l’émir des fanatiques », nourri par la haine des musulmans libéraux et sans doute, au nom du legs de mon histoire personnelle, des chrétiens coptes d’Egypte et d’ailleurs. On appréciera l’habileté de l’esquive qui consiste, dans le même souffle, à décrédibiliser l’auteur de la critique et à élargir le cercle de ceux qui devraient se sentir en danger face à l’idéologie que cache sa réflexion. D’autres intellectuels avaient évité le débat en le passionnant à l’excès, Alexandre Adler fait de même mais cette fois en le déplaçant.

Car, somme toute, je ne vois là aucune discussion de mes thèses et les considérations qui me sont faites surprennent et choquent par leurs inexactitudes, leurs approximations et, au fond, leurs faiblesses. Un mot rapide sur les attaques personnelles. Alexandre Adler, comme tant d’autres, ne veut pas me lire ni m’entendre mais il est à espérer que la répétition aura ici quelque utilité. Je ne suis pas et je ne représente pas les Frères Musulmans. Par ailleurs, mon attitude vis-à-vis de mon grand-père et de mon père est celle de tout esprit critique qui contextualise, sélectionne ou rejette selon les thèses ou les actions des acteurs de l’histoire. Certains journalistes sont allés jusqu’à enquêter en Egypte afin de savoir quelle était la vraie nature de ma filiation avec les Frères Musulmans (Le Monde du 20 septembre 2003) : les dirigeants ont confirmé qu’ils ne me reconnaissaient pas. Que dire encore de ce que vous avancez quant au fait que je serais le « commissaire politique en chef de l’UOIF » : les dynamiques de l’islam de France semblent vous être bien étrangères. Vous continuez à alimenter la rumeur en évitant, bien sûr, le débat de fond.

Avant d’en venir à ce dernier, le seul qui m’intéresse, permettez-moi de faire quelques remarques sur votre analyse que vous avez le courage de présenter comme celle d’un historien. J’apprends par votre plume ce scoop historique (avec, vous vous en doutez, la stupeur apaisée de ceux qui croient en une réincarnation) que mon grand-père, assassiné en 1949, a été supplicié par Nasser parvenu au pouvoir après la révolution de 1952 ! L’histoire réserve des surprises ou alors est-ce la mémoire de ceux qui en parlent qui se permet des approximations effarantes. Vous ajoutez que « la liberté de conscience » aurait disparu du monde islamique vers la fin du IXe siècle. Bigre, le grand Maimonide de Cordoue (1135-1204) doit en être tout retourné et avec lui tous les sujets de Sulaiman le Magnifique (1520-1566)… Comment un historien peut écrire de pareilles choses ? Ajoutons encore, quant aux faits plus récents et pour restituer sans parti pris la vérité historique, que Hassan al-Banna avait en 1947, proposé que deux Egyptiens coptes, entrent dans le Conseil de direction des Frères Musulmans et que la haine contre les coptes dont vous parlez est totalement imaginaire. Le seul homme qui ait outrepassé les ordres de la police et qui ait finalement été autorisé à assister à l’enterrement de Hassan al-Banna est le célèbre copte Makram ’Ubayd. Savez-vous, au demeurant, que l’animosité a été bien plus forte entre les militants coptes et juifs qu’entre ces derniers et la majorité musulmane ? Reste encore, au paysage de votre tableau surréaliste, cette affirmation que mon père aurait négocié avec Sadate la légalisation des Frères. Non seulement mon père a été destitué de sa citoyenneté égyptienne mais ces tractations n’ont existé que dans votre imagination. Je vous mets ici au défi d’en apporter le moindre élément de preuve sérieux. L’épître que vous m’avait fait parvenir avait la prétention de l’humour, soit ; elle n’a en aucune manière celle de la compétence.

Le fond du débat est ailleurs. Vous ne cessez de lier appartenance juive et sionisme et votre soutien aveugle à Israël (que vous justifiez en permanence par une soi-disant attitude de principe quant à la défense de son existence) vous amène à proposer des analyses du monde des plus discutables. En sus de ce que j’ai rapporté dans mon précédent texte, on pourrait, à titre d’exemple, rappeler ce que vous avez dit le 20 septembre 2001 lors d’une interview à Radio J : « L’Inde est prête à aider les Américains à détruire l’armée pakistanaise. Et puis, deuxièmement, il est clair que Ben Laden a des appuis très forts en Irak… » Plus loin, alors que l’on vous demande si La France « jouera le jeu » avec les Etats-Unis, vous répondez : « Je pense qu’un pays comme la France, qui est si fortement engagée derrière les Palestiniens et les Arabes, ne jouera pas le jeu de la solidarité. » De l’Afghanistan au Pakistan (étonnante résonance avec les propos de Lévy) puis à l’Irak (contre qui vous avez soutenu l’intervention militaire), vous établissez vous-même un lien stratégique avec le conflit israélo-palestinien (et notamment l’attitude de la France) sur lequel on connaît vos positions. Dans votre épître, vous ajoutez la dimension de l’antisémitisme qui sévit en France. Vos analyses sont orientées et vous mènent à tenir des propos partisans, de plus en plus communautaristes et pro-israéliens qui sont dangereux à l’échelle nationale comme internationale. C’est presque plus comme sioniste que comme Français que vous vous positionnez par rapport au défi des dangereux replis communautaires en France ; et clairement en tant qu’Israélien que vous jugez l’attitude de la France sur la scène internationale et particulièrement au Moyen-Orient. Pourquoi ne pas dire les choses clairement ? Pourquoi ne pas nous dire la vérité sur les intérêts que vous défendez ? Vous avez mille fois le droit de défendre Israël mais faites en sorte de clarifier les termes d’un débat qui, s’il n’a pas lieu, risque de nous mener à des affrontements catastrophiques entre des sentiments d’appartenance hypertrophiés et malsains.

Publicité
Publicité
Publicité

La vérité, M. Adler, c’est que depuis quelques années vous participez, d’une façon ou d’une autre, à cette prise en otage de la parole qui fait de chaque contempteur d’Israël ou du sionisme un antisémite, un haineux, un fanatique, voire un traître quand celui-ci est juif. A cette attitude, je préfère celle de ces centaines de femmes et d’hommes qui se font un devoir supérieur d’affirmer avec force leur désir de justice, de paix et leur reconnaissance de la souffrance palestinienne. Sur plus d’une demi-page du Monde (16 octobre), ils ont signé un appel digne et tellement respectable pour affirmer que, compte tenu des circonstances actuelles, et de la parole monopolisante « de quelques institutions ou quelques hommes publics », ils étaient obligés de revendiquer « la part juive de leur identité » et que celle-ci non seulement ne les empêchait pas mais au contraire les appelait à défendre les valeurs universelles de justice, de paix et de liberté. Ils ajoutent qu’il ne peut s’agir pour eux de soutenir « la politique criminelle de M. Sharon » ni d’accepter les intimidations, ni enfin d’adhérer au chantage à l’antisémitisme qui a cours aujourd’hui en France. C’est sur ce terrain que les citoyens français, tous les citoyens et ce quelle que soit leur religion ou leur attache idéologique, doivent se rejoindre et affirmer avec eux que les communautarismes et les lectures sélectives et partisanes du monde ne seront dépassés que lorsque les citoyens se battront ensemble au nom des valeurs communes contre toutes les dictatures, toutes les oppressions, tous les dénis de droit. Ce débat nous concerne tous et chacun d’entre nous est responsable de maintenir une attitude froide, raisonnable, juste sans sélection avec un constant souci de l’autocritique. La conscience musulmane doit parler et dire clairement que l’antisémitisme est inacceptable ou que l’oppresseur Sharon n’est pas Hitler et je ne cesse quant à moi de le dire et de critiquer toutes les dictatures qui au nom de l’islam propagent l’horreur de l’Arabie Saoudite au Nigéria. Ainsi doit-il en être également de la conscience chrétienne, juive, communiste, athée et de toutes les autres. De cette exigence dépend le vivre ensemble parce qu’en aucun cas nous n’avons le droit de différencier les victimes ni de distinguer les bourreaux.

L’engagement des Européens de confession musulmane dans le Forum social européen est un signe fort que ceux-ci sortent de la marginalisation sociale et intellectuelle. Il ne s’agit point d’une « alliance antisémite », « antisioniste » ou pro-palestinienne : la rencontre est plus fondamentale et concerne tous les domaines où de radicales réformes s’imposent pour que l’économie mondiale soit plus respectueuse des êtres humains, que les oppressions et les discriminations cessent, pour qu’enfin tous les communautarismes soient dépassés. Il s’agit, sans naïveté aucune et avec une exigence sans faille, de nous engager dans un dialogue qui s’amorce, et qui est difficile, et de nous rencontrer sur le territoire commun de l’égalité, de la justice, de la liberté et, fondamentalement, de la fraternité humaine. Nous apprenons, avec quelques peines encore, les chemins de la confiance mutuelle. Les communautaristes malveillants y verront de l’entrisme, les démocrates sincères un formidable espoir.

Un mot encore, cher M. Adler : jamais je n’ai cité le nom de Pascal Bruckner et c’est BHL qui faussement me l’attribue. Il serait bon, de fait, pour répondre à Ramadan d’éviter de se référer en première main à Lévy de peur que l’ironie dont vous avez voulu teinter votre épître apparaisse en fait plus maladroite que drôle. Une faute de goût dans laquelle tous deux, et les Lumières, seraient bien en peine de se reconnaître.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Le Parti socialiste condamne les propos haineux de Claude Imbert

Antisémitisme et communautarisme : des abcès à crever