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Réminiscence de Souk

Après l’interruption du processus électoral en janvier 1992, une fièvre « mystique » s’est emparée de la classe politique algérienne. Il fallait non plus développer sur le plan social et industriel l’Algérie, ni la sauver de la peste ou du choléra des islamistes, mais de la jeter corps et âme dans les confréries enjolivées dans le vêtement traditionnel des régions algériennes.

On a fait de nouveau appel aux souks de la baraka et à la fierté du Burnous qui n’est plus vu pour les circonstances comme un symbole de la décadence de l’algérianité arabo-musulmane par les chantres de la démocratie et de la modernité.

Le temps a passé entre décennie rouge et amnésie d’ivrognes insomniaques, et le temps a très peu changé dans la langue de bois, et dans les mentalités rétrogrades qui font commerce dans le souk de la « Boulitique » déserté par les algériens saoulés de promesses non tenues et des défis impossibles.

Le pire pour les algériens est de rester sur place. Le meilleur est de décamper pour vivre ailleurs comme un « exfiltré » sans droit, sans papiers, sans envie de retour, sans envie de rester.

L’Occident chimère, pays de nulle part, rêve brisé, fausse perspective pour ne pas sombrer dans la folie des asiles sans médecins, et sans médicaments ou dans celle des tribuns mystico pyromanes, s’est lui aussi converti dans la fièvre « mystique des algériens ».

Et si on racontait aux jeunes « aïe j’ai rien » que le pays de Descartes a aussi ses foires de Baraka. Ils sont modernes, bien « merchandisés » dans les couloirs des hyper marchés, dans les quartiers chics de Paris, sur internet et dans les foires des villages dans les vieux et lointains pays de la France paysanne. Ici c’est un pays cartésien, on sait mesurer une audience et la capter : on met de jolies filles bien pouponnées.

Chez nous la civilisation a du retard, on trouve de vielles filles blondoyasses qui ne peuvent cacher ni leur tuberculose , ni leur dégoût de l’Homme en plein centre d’Alger prés du boulevard martyrisé qui fait face aux bateaux dont personne ne sait s’ils sont en partance ou en provenance du souk de la Baraka, mais qui savent colporter la bonne nouvelle : la fin d’une campagne ici et le début d’une autre là-bas, se ressemblent comme les commerçant du souk de la Baraka et à son jeu « du sauve qui peut social » « qui gagne perd ».

Je vous confie un très beau texte de Malek Benabi, toujours d’actualité pour vous raconter ce que je ne sais pas faire. J’aurais aimé avoir le talent et l’imagination d’Ibn al Mouqafaâ ou de La Fontaine pour faire parler des animaux et raconter des fables sur le dos des charlatans d’ici : les partisans de « l’islam servile » qui veulent confisquer l’islam et les mosquées pour les transformer en hyper marché de Baraka ou de certains bureaucrates français qui ne savent pas gérer en rentiers de la République un souk de baccara comme l’a montré l’émission Capital du dimanche 25 novembre : « Immigrés, clandestins, travail au noir : peut-on vraiment s’en passer ? »

C’est aussi un clin d’œil de merlan frit à mes frères palestiniens qui vont se faire bouffer comme de vulgaires sardines par des requins voraces dans une ville mondialement célèbre pour ses souks de poissons au sens propre du terme. Les arabes comme de vulgaires marchands de tapis qui font acte de présence exotique, ne vont pas gagner plus qu’un repas gratis dans un resto de méchoui de mérou en contrepartie des milliards de pétro-dollars qu’ils investiront dans le souk du business de Tel-Aviv.

LE SOUK DE LA BARAKA de Malek Benabi

Sur la route de Miliana au lieu dit Boumedfaâ, se tient un souk qui fait florées les sept jours de la semaine.

Il ne s’y trouve ni gargotes, ni tentes sous lesquelles les marchands d’épices installent leur éventail en plein air dans les souks ordinaires qui attirent leur chalande pittoresque une fois par semaine.

Non, il n’y a sur la route à cet endroit, qu’une palissade de roseaux derrière laquelle on aperçoit ce genre d’habitation campagnarde, composée d’une ou de deux pièces, qu’on appelle nouwala.

Seulement, devant la palissade, il y a une file de véhicules de toutes sortes.

Le vieil ami qui m’en fait la narration après sa visite au lieu dit, voilà une dizaine de jours, en dénombrait ce jour-là, une trentaine de cars et environ cent cinquante voitures privées ou de louage.

C’est très important, comme vous voyez.

Ces voitures amènent une clientèle de malades, de tous sexes et de tous âges, qui avec des béquilles, qui porté par ses parents à bras ou sur une civière.

Tous viennent chercher la guérison. Celui qui la donne se nomme Cheikh Lakhdar. Il est jeune et correctement mis dans sa kachabia.

On le voit commencer son travail de bonne heure, presque au lever du soleil. Et on le voit repartir vers les quatre heures dans une voiture automobile conduite par un chauffeur.

Il y a du zèle et du style comme on le voit.

Au demeurant, le “cheikh” n’a pas le mauvais goût de tarifier la baraka : on lui met dans le creux de la main ce qu’on veut. Mais le total semble important.

Mon ami, qui a observé la scène avec l’esprit d’un vieux militant islahiste, fidèle à l’époque de Ben Badis, en même temps qu’en commerçant avisé dans l’évaluation des choses, avait estimé la rentrée de ce jour là .à plus de cinq cent mille centimes.

Donc, tout en n’étant pas exigeant, le Cheikh Lakhdar gagne infini ment plus qu’un toubib, docteur en médecine.

Au fait, ce n’est pas le problème du rebouteux qui m’intéresse ici.

L’exploitation de la maladie par des charlatans fait partie de toutes les époques ; elle est identique dans tous les pays.

Ce problème intéresserait plutôt le corps médical ou le ministère de la santé.

Ce qui peut attirer l’attention du sociologue, c’est l’autre aspect qui inspira précisément jadis à Zola son fameux roman sur Lourdes.

J’en parle d’ailleurs à mon aise. Dans un de mes précédents articles sur Ben Badis le mystique, j’avais d’ailleurs montré que je ne nourrissais ni préjugés, ni animosité contre des convictions ou des attitudes qui me paraissent fort honorables.

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Au surplus – je saisis l’occasion de le dire ici – si j’ai pu surprendre quelqu’un dans mon article, je dois l’assurer que je n’ai pas trahi l’histoire personnelle du fondateur de l’Islah algérien, qui a lui-même, dans une correspondance remontant à 1925, parfaitement éclairé sa position à l’endroit de la pensée mystique authentique, celle d’un Djouneyd par exemple.

Pas plus que je ne trahis aujourd’hui mes sentiments à l’égard d’une belle œuvre d’éducation islamique comme celle que poursuit une zaouïa d’El Hamel par exemple, dans une conjoncture où le pays doit retrouver le sens de ses valeurs morales et spirituelles.

Mais l’affaire du charlatan en question, n’est ni une mosquée, ni une zaouia. L’exemple du Cheikh Lakhdar n’est d’ailleurs qu’un simple cas, alors qu’on est en présence, semble-t-il, d’un phénomène social qu’on rencontre un peu partout sur toute l’étendue du territoire national.

A Annaba, c’est une Lalla Khadra – on est toujours dans les couleurs du Paradis – qui distribue la baraka quotidienne à des gens qui viennent la chercher sous son toit, en offrant pour cela des zerdas (orgiasmes pantagruélique spécifiques aux peuples affamés et nourris à la valeur spirituelle de l’hospitalité légendaire) propitiatoires.

A Souk Ahras, un autre marchand de miracle retire aux anciens moudjahidine des halles reçues au maquis.

Mais si le moudjahid, qui a vu la balle retirée de sa peau “sous ses yeux” ; a la malencontreuse idée de consulter par la suite un médecin radiologue, eh bien… il retrouvera sa balle gentiment logée au même endroit.

C’est sa punition… a-t-on idée de soumettre la baraka à la vérification des rayons X ?

C’est un peu partout que prospère ce lucratif commerce. Sans parler de cette voyante de Blida qui révèle aux “gens bien” qui vont la voir, les choses “étonnantes” qu’elle voit à travers un œuf.

Mais revenons à Boumedfaâ. C’est là notre centre d’intérêt.

Je laisse de côté, je répète, l’aspect qui intéresse le corps médical ou le ministère de la santé.

Le souk de Boumedfaâ ne m’intéresse que par ce qu’il offre au regard des signes d’une évolution psychologique et sociale très significative.

En effet, si nous nous plaçons dans une optique rétrospective embrassant la période comprise entre l’année 1930, sensiblement celle de la fondation de l’action islahiste, et 1954, celle du commencement de l’action armée, l’histoire de ce pays est un processus ascendant.

Ce sont toutes les énergies morales et politiques, toutes les aspirations, toutes les tensions accumulées durant cette période qui permettront au pays de franchir le cap décisif de son histoire, de s’engager dans sa révolution qui sera précisément une culmination de cette évolution préparatoire.

Le capital révolutionnaire, la veille du 1er Novembre 1954, était essentiellement le fruit de cette évolution dans laquelle l’action islahiste avait joué un rôle primordial.

Si après la révolution nous constatons dans certaines situations des renversements de vapeur, nous noterons par contre la dissipation correspondante d’un certain capital révolutionnaire. Et je m’empresse de dire que ce n’est pas seulement dans un souk comme celui de Boumedfaâ qu’on constate cette dissipation. Ce n’est que par esprit de simplification d’un problème complexe que je fixe l’attention sur un de ses aspects qui révèle des symptômes de régression mettant en cause le principal objectif d’une révolution.

Dans un article, j’ai essayé de montrer que cet objectif consiste essentiellement à “changer l’homme”.

J’ajouterai ici que ce changement n’a de signification révolutionnaire que dans le sens du progrès.

Sinon, c’est une régression, un pas en arrière par rapport à la marche d’une révolution.

Or, la situation offerte à Boumedfaâ, nous donne à mesurer l’inconséquence du mouvement islahiste qui a abandonné ses positions de combat au moment même où les thèmes de l’Islah prennent toute leur importance dans un pays qui fait face actuellement à d’incroyables défis.

Le Cheikh Lakhdar n’est qu’un simple symptôme qui donne à peu près la mesure d’une déplorable régression.

Au plus, nous demanderions-nous, où lui a-t-on octroyé une licence pour mener son activité insolite ?

On dit que c’est à El-Asnam ; mais surtout, on est en droit de se demander qui rabat les trente cars et les cent cinquante voitures qui viennent de tous les coins du pays stationner devant sa nouwala ?

La baraka ne se propage pas toute seule aux quatre points cardinaux. Qui a porté jusque là sa renommée ?

Ceux de ma génération me comprennent quand je pose ces questions.

Il y a vingt années seulement, les “khouan” (les frères) qui allaient tous les ans à la Zerda (gloutonnerie festive) du marabout un tel, payaient demi-tarif dans les trains. Et parmi eux, il y avait même des colons “touchés” bien entendu par la grâce.

Mais au moins, on savait alors qui était le metteur en scène.

Malek Benabi – Révolution africaine 27 mai 1967

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