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Qui est Tariq Ramadan ?

En se félicitant de l’annulation de la conférence de Tariq Ramadan à Strasbourg le 27 janvier 2006, Les Verts s’inscrivent dans un rôle qu’on ne leur connaissait pas et apparaissent comme de piètres censeurs davantage critiquables que celui qu’ils prétendre combattre. Fondée sur la méconnaissance, la sottise du sens commun, les preuves fabriquées et l’amalgame, la haine réitérée contre Ramadan est glauque. Elle se nourrit des procédés détestables des pires campagnes de dénigrement.

Certes, depuis une quinzaine d’années, Ramadan concentre sur lui les attaques, les critiques virulentes ; sans doute, éprouve-t-il même un certain plaisir à les susciter et pour qui suit son itinéraire intellectuel ou analyse ses propos, nombre de ses positions méritent débat.

Qui est Ramadan ? La seule filiation avec le fondateur des Frères Musulmans suffit-elle à dresser le procès ? Ramadan revendique une posture, celle de l’islam politique qui a marqué le monde musulman tout au long de son histoire avec une infinité de nuances, de la plus radicale et la plus violente aux courants réformistes, au sein des islams arabes, persans, turcs comme au sein de l’islam indo pakistanais. Avec la victoire du Hamas, la progression des Frères en Egypte, l’actualité la plus immédiate confirme la force de cette posture politique. Dans les deux exemples évoqués, elle enregistre succès dans un contexte d’ouverture démocratique mais également de frustration, d’humiliation et d’espoir de la part d’un électorat qui ressent intensément la rage des damnés de la terre.

Cette posture n’a rien de spécifique à la tradition religieuse née du côté de Médine. Très tôt, les Pères de l’Eglise se sont interrogés sur la question du pouvoir temporel, de la légitimité de la violence pour le conquérir ou le conserver. Née en Belgique, la théologie de la libération a inspiré les églises d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale pendant au moins trois décennies, et, parfois justifié l’alliance entre le sabre et les pistoléros, entre l’Eglise et les révolutionnaires. Luther a pu être défini par ses contempteurs comme un fondamentaliste radical qui, cloîtré dans sa retraite, pouvait s’affliger de la radicalité plus grande de Thomas Munzer, son disciple et leader charismatique de la Guerre des Paysans. Au delà des religions du Livre, l’hindouisme et le bouddhisme politiques savent être meurtriers. Bref, ni la violence, ni la politique ne sont étrangères aux religions que la cause soit anthropologique comme l’expliquait Feuerbach, économique selon Marx ou encore, qu’elle soit à rechercher dans la psychanalyse pour suivre Freud.

Mais une théologie politique n’est pas nécessairement une théorie du terrorisme. L’islam politique ne se résume ni à la secte des Assassins, ni aux attentats suicides. Au demeurant, Ramadan n’est pas théologien. S’il fallait le classer, il prendrait place dans la prolifique lignée des intellectuels militants du réformisme musulman, plus proche des thèses de Mohamed Abdou que de celles professées par son grand père, Hassan El Bana père des Frères. Sur le plan religieux, c’est un adepte du retour aux Fondamentaux en opposition aux tenants de la Tradition. Il y a quelque chose de protestant chez cet homme là. Pour être précis, le fondamentalisme qu’il revendique, dans l’acception que la sociologie des religions donne à ce terme, est mis en perpective avec les valeurs de la société contemporaine. En d’autres termes, sa réflexion est celle d’un croyant qui s’interroge sur l’articulation, la cohérence entre fidélité religieuse et universel des droits de l’homme. De nombreuses d’encycliques ont traité de la question et le chemin fut long pour que l’Eglise reconnaisse la démocratie alors même que la tradition monachique, dès le moyen âge réinventait, après les Grecs, la séparation des pouvoirs, le principe de l’élection.

Si cette thèse est dangereuse, elle l’est pour les fanatiques ; c’est la raison pour laquelle les régimes arabes les plus rétrogrades et obscurantistes l’ont depuis longtemps déclaré personna non grata. Elle l’est également pour tous ceux qui considèrent qu’en chaque musulman sommeille un mahometan avec le cimeterre entre les dents, que l’homme d’Orient n’est que passion à défaut de raison (Flaubert et tant d’autres), qu’il doit adjurer et s’assimiler, l’islam n’étant pas soluble dans la démocratie. Ramadan, Boubakeur, le match est singulier quand, paré d’un brevet d’islam modéré qui fustige la racaille des quartiers, le second invoque l’héritage de C. Maurras pour définir l’islam de France et est encensé par tous les Trissotins.

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Sur le plan politique, Ramadan est un tiers mondiste. Fanon, Ben Barka, Curiel participent de ses références. Ceci explique son dialogue avec les altermondialistes. Evidemment, cet homme dérange. Marx le pointait déjà, la religion n’empêche pas toujours de comprendre la marche du monde, elle peut y contribuer. Nourrie de Condorcet ou de Pena Ruiz, la gauche bien pensante ne peut que s’en offusquer, elle qui, sans piper, a laissé voter l’amendement sur la colonisation, elle dont les mânes avaient la coloration Algérie Française de l’essentiel de la SFIO.

Quant à l’antisémitisme prêté à Ramadan, c’est un irréel de la pensée qui procède du talent polémiste de BHL, de la force de frappe rédactionnelle de quelques directeurs de journaux dont celui du Point qui affirme, urbi et orbi, son islamophobie. Comparaison n’est pas raison, mais lorsqu’en novembre 1967, le journal Combat titrait en une : « De Gaulle est-il antisémite ? » qui pouvait croire cette énormité quand bien même une conférence de presse devenue célèbre signait la fin d’une politique vis à vis d’Israël ? Dans ses tribunes et ses écrits prolixes et parfois brouillons, il est l’un des rares intellectuels musulmans à dénoncer avec constance l’antisémitisme et particulièrement l’antisémitisme qui se répand parmi les jeunes musulmans.

Ecouté, souvent adulé, il est l’un des rares à leur exposer l’inanité inexcusable des attentats contre Israël. La même dénonciation a été répétée dans les multiples réunions qu’il a pu tenir, lorsque la censure ne s’exerçait pas comme aujourd’hui ; la réunion en juin dernier dans un quartier populaire de Strasbourg à l’instigation de l’Union Juive pour la Paix, en est un exemple. Tariq Ramadan intervenait, de concert, avec M Warschawski, l’auteur d’une réflexion sur « la frontière » qui passe dans les têtes, qui passe dans les champs d’oliviers, qui sépare et qui rapproche dans cette région du monde, terre de violence et de sacré. Bien sûr, sa thèse n’épouse pas la diplomatie israélienne, mais ils est de ceux qui prennent part au débat « un état pour deux peuples ou un état binational » même si cette formulation réductrice et contestable n’épuise pas les solutions garantissant l’Etat d’Israël et l’autodétermination des Palestiniens. Il est de ceux qui insistent sur l’écrasante responsabilité des pays arabes dans la structuration d’un conflit qui paraît impossible à dénouer mais qui a l’avantage d’occulter la faillite de leurs régimes autoritaires.

Enfin, juste un mot sur le moratoire des lapidations en Arabie Saoudite ou ailleurs. La proposition s’inspirait, expressis verbis, du moratoire sur la peine de mort tel qu’il a prévalu pendant 80 ans en Belgique avant que ce pays n’adopte l’abrogation de ce châtiment. Il s’agissait que la communauté internationale pèse sur les régimes qui pratiquent des tortures d’un autres temps, faute d’un droit international impuissant à imposer l’adhésion à l’universel des droits de l’homme. Sauf mémoire défaillante, cette suggestion n’a jamais été formulée ne serait ce qu’à l’occasion d’un contrat d’achat de pétrole, de vente d’armes ou de réalisation d’un palais mirifique dans le désert. De la part de ceux qui troquent volontiers leur casquette politique contre celle de VRP des champs pétroliers, la critique est plutôt déplacée. H de Monfreid avait plus d’humanité avec ses esclaves.

Dans une posture anti humaniste, Levi Strauss plaide pour le moins de communication possible entre les cultures à l’effet de protéger les plus faibles, celles susceptibles de disparaître. A l’évidence, les cultures islamiques ne relèvent pas de cette catégorie. En refusant le débat de la plus mauvaise manière, les censeurs donnent à penser que la Liberté serait menacée par la revendication du droit à la transcendance : l’esprit laïc aurait-il peur d’être submergé au point de proposer une nouvelle intolérance assise sur un improbable et itératif complexe de supériorité ? Le méridien triste n’est plus celui du Tropique. Faire taire Ramadan ou empêcher Finkielkraut de s’exprimer ne sont que les deux facettes d’un même jeu de cons.

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