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Projet de loi CESEDA relatif à l’immigration

Nous publions ci-dessous dans le cadre d’une discussion générale, *l’intervention de Bariza Khiari qui s’adresse au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.

Monsieur le Ministre d’Etat,

Vous agitez une nouvelle fois, à l’approche d’une échéance électorale, le spectre d’une immigration qui serait nuisible pour la France, au plus grand bénéfice de l’extrême droite dont vous reprenez les slogans les plus démagogiques. Les inquiétudes de nos concitoyens sont légitimes, mais leur cause n’est pas l’immigration. C’est bien l’entreprise de précarisation systématique et de communautarisation de la question sociale que vous et votre majorité menez depuis 2002.

Après avoir évoqué la polygamie pendant les émeutes, je relève que vous en avez reparlé dans votre présentation liminaire. Pour vous comme pour moi, la loi est celle du pays d’accueil, elle ne saurait donc s’adapter à des valeurs qui ne sont pas les nôtres. Comme vous ne dites rien par hasard, vous montez en épingle un phénomène somme toute marginal. 99, 99 % des personnes de confession musulmane vivant en France ne sont pas polygames. En insistant su ce point, vous laisser accroire de manière subliminale qu’une certaine religion serait la cause des maux de notre société. Ce n’est pas les citoyens français de confession musulmane qu’il faut encore stigmatiser. Ils n’ont que trop souffert des amalgames et discriminations en tous genres. C’est le pacte républicain qu’il faut rétablir. C’est le vivre-ensemble qu’il faut revivifier. C’est un cadre laïc rigoureux qu’il faut faire respecter.

Vous focalisez ainsi les inquiétudes des français sur les populations déjà les plus précarisées, et prétendez que la France doit choisir son immigration. Ce faisant, vous désignez – en creux – à la vindicte des Français la mauvaise immigration, celles des “immigrés subis”. Je vous signale que si les critères draconiens et les procédures ubuesques que vous nous proposez avaient existé dans le passé, jamais mes propres parents n’auraient pu immigrer et je ne parlerais pas à cette tribune aujourd’hui. Comme le grand-père d’Arnaud Montebourg, mon propre père ne parlait que l’arabe. Vous avez donc devant vous le produit de l’immigration subie. Compte tenu de l’accueil qui m’a été fait par le Président du Sénat et par l’ensemble de mes collègues, j’ai la faiblesse de penser que Eliane Assassi, Halima Boumédiene et moi-même manqueraient à cette assemblée. Après tout, ne sommes nous tous, à un stade ou à un autre, des enfants d’immigrés ?

Selon vous, l’immigration choisie consiste à relancer une forme d’immigration de travail. Le dispositif que vous nous proposez précarise un peu plus les travailleurs étrangers, les soumet à l’arbitraire le plus inacceptable. De plus, votre politique de quotas déguisés sera inefficace. L’expérience a montré, en Allemagne et en Espagne, que les politiques de quotas sont inopérantes. Les quotas de travailleurs qualifiés ne sont jamais atteints et ceux de travailleurs non qualifiés créent un appel d’air qui débouche sur un afflux d’immigrés clandestins.

Inefficaces, les politiques de quotas témoignent surtout d’une vision de l’Homme que nous rejetons avec force. Le projet de loi introduit une distinction insupportable entre les étrangers “économiquement profitables” et “toute la misère du monde qu’on ne peut assumer”. Mais vous oublier sciemment la suite de la phrase de Michel Rocard : la France doit prendre fidèlement sa part de cette misère. Qu’en est-il en effet des “talents et compétences” des autres migrants ? L’immigration « choisie », c’est l’aveu d’une conception de l’individu, réduit à sa force de travail et à sa « rentabilité ».

L’immigration choisie est aussi une nouvelle insulte que vous faites à tous les demandeurs d’emploi, français ou étrangers. Dans une conjoncture de chômage de masse, alors même que la jeunesse vient de hurler son désir de travailler dans des conditions normales, vous nous expliquez que la France manquerait de bras et de cerveaux. Ce projet de loi est le symbole des choix du gouvernement : renoncement à offrir aux jeunes des formations en adéquation avec le marché du travail ; choix de ne pas mener de réelle politique de l’emploi et de la croissance ; choix enfin de ne pas intégrer les jeunes Français issus de l’immigration, qui souffrent de discriminations à l’embauche, pour le logement et jusque dans leurs loisirs. Renoncement, également, à l’ambition de renforcement de la place de la France dans le monde, puisque le gouvernement a déjà, par circulaire, durci les critères d’admission des étudiants étrangers.

L’immigration “choisie” se fera au détriment de ceux que vous considérez comme des “mauvais immigrés”. Elle se fera aussi au détriment des Français, puisque sous prétexte de lutter contre les mariages blancs, vous jetez le soupçon sur tous les couples mixtes. Vous faites du droit d’asile une coquille vide. Vous videz le regroupement familial de son sens. Après l’entreprise sans usine et l’usine sans ouvrier, vous êtes en train d’inventer l’immigré sans famille.

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Votre projet généralise l’arbitraire administratif via la remise en cause du cadre légal des régularisations. Un étranger pourra se voir retirer un titre de séjour si l’administration estime qu’il ne remplit plus les critères. En imposant la possession d’un visa long séjour comme condition préalable à l’obtention de tout titre de séjour, sous prétexte de double contrôle, vous allez plus loin : vous instituez un double risque pour les étrangers. Un double arbitraire, qui n’est pas sans rappeler la double peine que vous avez prétendu abolir mais qui subsiste dans les faits. De plus, dans une circulaire qui organise une véritable « traque » aux étrangers irréguliers, vous précisez avec un cynisme incroyable comment piéger les requérants au droit d’asile ou à un titre de séjour dans les préfectures ou à leur domicile.

Pourtant, les défis ne manquent pas. Les trois enjeux clés du moment – cohérence des politiques d’immigration, intégration et co-développement – sont superbement ignorés.

Vous ne faites rien pour remédier au manque de cohérence des politiques de l’immigration et aux lacunes de leur pilotage, comme cela a été souligné par le rapport de la Cour des comptes de novembre 2004. Vous obscurcissez même les procédures en multipliant les titres de court séjour, et en laissant à discrétion de l’administration des décisions qui ont un impact sur la vie de familles entières.

Deuxième enjeu, plus important encore, comme nous l’ont montré les émeutes de novembre dernier : l’intégration. Le texte s’intitule « immigration et intégration ». Ce devait être de l’ironie de votre part, puisque nous ne voyons pas de trace d’une volonté d’intégration. La généralisation du Contrat d’accueil et d’intégration n’est pas mauvaise en soi, mais elle n’est que poudre aux yeux face aux enjeux réels de l’inclusion des immigrés. Comment oser parler d’intégration quand aucun dispositif d’accompagnement n’est prévu pour la formation, l’emploi ou le logement ? En précarisant les parcours de séjours des étrangers en France et en ne prenant pas de mesures d’envergure de lutte contre les filières d’immigration clandestine, votre politique entraîne notre pays dans le sens inverse. Et il y a malheureusement fort à parier que vous allez créer un regain d’immigration clandestine.

Enfin, en tentant de s’accaparer « la matière grise » des pays en développement, vous ne faites qu’accroître le pillage des ressources humaines de pays déjà plongés dans les plus grandes difficultés.

En stigmatisant une fois de plus les immigrants avant une échéance électorale, vous poursuivez donc dans votre volonté de diviser la société française. Cette loi est symbolique de vos conceptions ultra-libérales, peu soucieuses de la dignité humaine. Vous subordonnez les droits de l’Homme à la conjoncture économique. Pour la seconde fois en trois ans, vous accentuez la répression sur les étrangers, alors même que les décrets d’application de votre loi précédente n’ont pas tous été pris. C’est la preuve que cette nouvelle législation n’est pour vous qu’un outil de communication politique. Votre projet de loi est inhumain, et il ne vise qu’à alimenter encore les peurs et les fantasmes. Ou peut-être à détourner les inquiétudes des Français de leurs vraies causes, c’est-à-dire l’échec patent de votre politique.

*Intervention réalisée le 6 juin.

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