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Pascal Boniface : « Nicolas Sarkozy veut gommer l’image de « Sarko l’américain ».

Les questions internationales peuvent-elles être décisives pour cette élection présidentielle ?

Tout dépend de ce que l’on entend par décisif. Si décisif veut dire prioritaire, non, car les questions internationales ne seront pas l’enjeu majeur de cette élection. Mais si l’on pense qu’elles peuvent contribuer à faire la décision, alors oui. On a vu en 2002 que les choses pouvaient se jouer sur quelques milliers de voix.

Les questions de politique étrangère compteront dans le choix final des électeurs, car les Français ont une idée assez précise de ce que doit être le rôle de leur pays sur la scène internationale.

Les Français sont attachés à avoir un chef d’Etat qui les représente dignement et qui défende une politique étrangère dans laquelle ils se reconnaissent. Ils ont généralement une « certaine idée de la France ». Bref, si l’on ne gagne pas une élection présidentielle sur les questions internationales, on peut la perdre sur ce point.

Y a-t-il une réelle différence entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sur les sujets internationaux ?

Il y a deux ou trois mois, avant leur désignation officielle comme candidat, oui on pouvait voir de vraies différences entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sur les questions internationales. Ségolène Royal incarnait à la fois une continuité de la politique de la Vème République, indépendance affirmée vis-à-vis des Etats-Unis, critique franche de la politique extérieure américaine, notamment au Proche-Orient, volonté de construire une Europe puissance, affirmation d’un rééquilibrage Nord/Sud.

Sans doute aussi une évolution, en s’appuyant plus sur les ONG. Lors du débat interne, sur les questions de politique étrangère pour la désignation du candidat socialiste, Ségolène Royal avait pris une position bien différente de ses deux adversaires en rappelant la centralité du conflit du Proche-Orient et la nécessité de rétablir le contact avec les Palestiniens et l’aide au gouvernement palestinien bien qu’il soit dirigé par le Hamas.

En face Nicolas Sarkozy incarnait une ligne de rupture nette avec la politique suivie par Chirac et donc celle de la Vème République. Il se présentait comme « Sarko l’américain » et s’il n’était pas à l’origine de ce qualificatif, il ne le réfutait pas, voire même en faisait un motif de fierté et de différenciation. Loin d’être critique à l’égard de George W. Bush, il estimait qu’être pris en photo avec lui, était un « plus » pour sa campagne électorale.

Il s’affirmait comme un défenseur intransigeant d’Israël. Il ne s’est d’ailleurs toujours pas rendu dans les territoires palestiniens. Depuis, les frontières se sont un peu brouillées. Nicolas Sarkozy conscient du handicap que pourrait lui valoir son caractère trop pro-Bush a pris ses distances.

Il a condamné l’exécution de Saddam Hussein. Dans son discours d’investiture du 14 janvier, il a fait l’éloge de la position de Jacques Chirac contre la guerre d’Irak, alors qu’il avait évoqué sur ce point une « arrogance française » en novembre. Manifestement, il veut gommer l’image de « Sarko l’américain ». En ce sens, le ralliement récent d’André Glucksmann est plus un handicap qu’autre chose.

S’agit-il de la réaffirmation d’une position gaulliste ou d’un repli tactique provisoire ? Il faut attendre un peu pour vérifier. Sur le conflit israélo-palestinien, il n’a pas encore bougé. Voudra-t-il s’exprimer clairement sur ce point au cours de la campagne électorale ? Là encore, il est trop tôt pour trancher.

Quant à Ségolène Royal, son voyage au Proche-Orient, après avoir soulevé quelques espoirs, s’est achevé dans une certaine confusion. Ses déclarations contradictoires à Beyrouth et Jérusalem sur le survol de l’armée israélienne au Liban ont troublé.

La polémique déclenchée après ses contacts avec le Hezbollah l’a conduite à refuser de rencontrer les dirigeants du Hamas. Surtout, ses propos de compréhension sur le mur ont soulevé une vague d’incompréhension, pour ne pas dire plus. Si elle veut reprendre l’initiative et marquer une différence avec Nicolas Sarkozy, c’est sur ce point très sensible qu’elle le peut. Le veut-elle ?

Vous affirmez que l’Europe possède tous les attributs de la puissance sauf celui de la puissance stratégique. Après le « non » au référendum du 29 mai 2005, la France peut-elle encore jouer un rôle majeur dans la mise en place d’une Europe capable de s’opposer à l’unilatéralisme américain ?

Oui, le « Non » au référendum du 29 mai 2005 ne doit pas empêcher de reprendre la marche en avant. Ce n’est pas l’Europe puissance qui a été refusée par les électeurs, ce sont surtout les questions économiques et sociales qui ont joué. On peut tout à fait reprendre la démarche d’une montée en puissance de l’Europe. De nombreux éléments sont réunis, les Espagnols, les Italiens partagent avec leur nouveau gouvernement cette conception. Les Belges sont toujours disponibles.

Le changement électoral en Allemagne et l’arrivée des chrétiens-démocrates, mais dans un gouvernement de coalition avec les socio-démocrates ne conduit pas à un retour à un strict atlantisme. L’indépendance à l’égard des Etats-Unis est désormais une position nationale allemande.

Quant aux Britanniques, le principal reproche qu’ils font à Tony Blair est justement son alignement sur George W. Bush. Et puis il ne faut pas oublier les pressions de l’opinion publique qui ont dans tous les pays européens un avis largement partagé sur la nécessité de faire contre-poids aux Etats-Unis surtout lorsqu’ils mènent une politique du type de celle menée par George W. Bush.

Le futur (e) président (e) devra-t-il rompre avec la traditionnelle politique africaine de la France ?

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Faut-il rompre avec la traditionnelle politique africaine de la France ? Tout dépend ce que vous entendez par-là. Si vous avez en tête la France-Afrique, les réseaux personnels, les affaires pas très ragoûtantes, oui !’D’ailleurs on peut dire que la rupture est déjà en passe de s’effectuer. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et au prétexte d’une modernisation, passer à autre chose et oublier l’Afrique.

C’est une tentation assez largement partagée à droite comme à gauche, au nom du réalisme à droite (l’Afrique compte moins) au nom de la morale à gauche (il y a trop de corruption). Ce serait une erreur tragique et une faute. On voit que les autres grandes puissances, Chine, Japon, Etats-Unis peu intéressées par l’Afrique auparavant, commencent à y être très présentes.

Nous devons moderniser nos relations, établir un véritable partenariat au sens plein du terme avec ces pays, ce qui implique par exemple de parler également de grands sujets stratégiques et de ne pas se contenter d’une approche bilatérale.

Concernant le Proche-Orient, vous espérez que le futur (e) président (e) pourra agir sans être pris sous le feu croisé des différentes communautés ?

Sur le Proche-Orient comme ailleurs, il faudrait effectivement que la politique étrangère française ne soit pas déterminée par le poids des communautés, mais par le respect de principes universels.

Cela concerne non seulement d’ailleurs le Proche-Orient, mais aussi tous les autres problèmes. Il ne faut pas que notre attitude vis-à-vis de la Turquie soit dictée par le poids respectif des lobbies turcs ou arméniens, mais par des questions de principes politiques. Idem sur la question de la reconnaissance du génocide arménien qui est d’ailleurs un autre problème que celui de la pénalisation de sa négation.

Peut-on envisager que demain nos relations avec la Chine soient dictées par l’avis majoritaire des Français d’origine chinoise ? On pourrait multiplier les exemples. C’est la seule façon à la fois de sortir par le haut et d’avoir une politique indiscutable et conforme à la tradition française.

Encore faut-il avoir le courage de l’exprimer tel quel et d’aborder peut-être sereinement la question du poids des communautés dans la détermination de la politique étrangère française. Les différentes communautés doivent être un enrichissement pour la France, elles ne doivent pas entraver son action internationale.

La France compte à la fois la plus grande minorité juive et la plus grande minorité musulmane en Europe. Il faut en faire des atouts et non pas des freins à l’action. Dans la note que j’avais rédigée en 2001, j’avais écrit : « A miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et/ou musulmane s’organise elle aussi, voudra faire contre-poids et, du moins en France, pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas. Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels et non pas le poids de chaque communauté ».

On m’a accusé ensuite, à tort, de prôner une ligne critique à l’égard d’Israël parce qu’il y aurait plus d’arabes que de juifs. C’était une déformation scandaleuse de ma pensée et de mes propos, et d’ailleurs justice m’a été rendue sur ce point à l’issue du procès que j’ai intenté contre Malek Boutih et le magazine Tecknicart.

Il ne peut pas y avoir de communautarisme unilatéral, on ne pourra s’en sortir qu’en fonction des principes de respect de droits des peuples à disposer d’eux-mêmes et du droit international.

Pour conclure, peut-on encore affirmer que la voix de la France est toujours écoutée dans le monde ?

Oui, la France est toujours écoutée. Il y a deux écueils à éviter lorsqu’on analyse la politique étrangère française et la place de la France dans le monde. La première est de tomber dans la grandiloquence et de penser que le monde entier n’attend que nous et que nous pouvons par notre seule action, ou plus encore par leur seule magie de notre verbe, modifier les choses.

C’est une illusion et une illusion dangereuse. L’autre erreur consiste à rejoindre les déclinologues et à penser que la France ne compte plus. La conclusion, on la voit très bien, serait alors qu’il faille donc se rallier et s’accrocher à la locomotive du pays le plus fort.

Il y a une attente de la France dans le monde parce que très souvent elle a pu incarner une approche différente, à la fois ouverte et globale, mais n’ayant plus l’illusion de l’hyper-puissance.

Si la France sait agir globalement et s’appuyer sur des coalitions, tenter de convaincre les autres, appliquer les principes qu’elle promeut, alors oui il y a un espace très grand pour elle.

Propos recueillis par la rédaction

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