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Parole de rebelle libyen (interview)

Le mercredi 17 août dernier, nous nous entretenions par courriel avec un jeune cadre de la rébellion libyenne, à l’occasion des six mois du premier soulèvement (17 février) réprimé. Il nous assurait que ce n’était alors « plus qu’une question de jour, avant que la bataille atteigne Tripoli.  » L’actualité récente lui donne raison, mais nous a tout de même surpris par sa rapidité. Il y évoque également la position française et la propagande du régime de Kadhafi. Nous publions l’entretien tel quel, malgré les récents développements, afin que les lecteurs d’Oumma en saisissent la genèse, jusqu’à ce dimanche 21 août, jour d’apothéose.

Originaire de Benghazi, QG des forces d’oppositions, et porte-parole du “Mouvement de la Jeunesse Libyenne”, Ahmed Sawalem est diplômé en mathématiques financières de l’Université de Leeds et travaillait en tant que junior manager dans une grande banque Londonienne. Les jeunes étudiants européens du Forum for Muslim Youth in Europe (FEMYSO), où il fut actif un temps, le connaissent bien. Il s’est d’abord fait l’un des porte-voix en Europe de l’opposition au régime de Kadhafi, notamment sur Al Jazeera English et BBC, avant de rejoindre la résistance in situ il y a quatre mois.

Vous êtes actuellement en Libye, où en est l’épreuve de force entre l’opposition (Conseil National de Transition) et l’armée libyenne du général Kadhafi ?

Au 16 août, l’opposition libyenne et les “combattants de la liberté” ont opéré de très importantes avancées sur tous les fronts du pays. La plus grande partie de la ville de Zawiya, à 50 km de Tripoli a été libérée ainsi que celle de Gheryan, au sud de Tripoli. Benghazi est toujours l’actuel QG de la résistance libyenne. Misrata a été complètement libérée, mais quelques clashes éclatent sporadiquement alentours avec des forces du régime de Kadhafi. Enfin la ville pétrolière stratégique de Brega (sur le front Est) a été graduellement reconquise par les forces de l’opposition, en déminant et en pourchassant sans relâche les forces de Kadhafi, au point de se rapprocher de la capitale. Ce n’est maintenant probablement plus qu’une question de jours, avant que la bataille atteigne Tripoli.

Que diriez-vous de la décision française de s’engager dans le conflit ? Cette décision est critiquée par une partie de l’opinion publique française…

Nous, Libyens, sommes reconnaissants de ce qu’ont fait les Français. Sans eux, Benghazi aurait été tristement mentionnée dans l’Histoire. Seul les Libyens in situ peuvent comprendre les conséquences… Mais nous sommes suffisamment perspicaces pour comprendre que la présence des Français n’est pas totalement désintéressée. Il y a des enjeux politiques évidents, mais ce qui nous préoccupe pour l’heure ce sont les vies humaines et la crise humanitaire, à laquelle non pas seulement la France mais l’ensemble de la communauté internationale devrait être sensible. Les Français ont créé un lien positif avec la nouvelle Libye : celle de la liberté et de la démocratie.

Récemment interrogé par le journal Sud-Ouest (édition du 11 juillet), le ministre des Affaires Etrangères Alain Juppé affirmait : « Nous n’avons pas déclaré la guerre à la Libye mais évité un massacre. Souvenons-nous de l’inaction de l’ONU au Rwanda et à Srebrenica (2) […] l’intention de Kadhafi était claire : se venger de Benghazi ». Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord avec Alain Juppé ; l’engagement de la France, des Nations Unies et d’autres pays n’a rien à voir avec une déclaration de guerre. C’est Kadhafi qui a déclaré la guerre à son propre peuple dès le premier jour du soulèvement, le 17 février. Si la communauté internationale a cru bon de réagir, c’est qu’elle craignait à juste titre un massacre, comme Alain Juppé le souligne. Une Libye oubliée aurait été un nouveau Rwanda ou Srebrenica. L’histoire se répète, mais heureusement nous apprenons de nos erreurs.

Le 2 juillet dernier, Aicha Kadhafi déclarait : « Mon père est un symbole, un guide pour son peuple. Vous devez le comprendre. La majorité du peuple l’aime. Avez-vous vu la marche du million de Libyens sortis dans les avenues pour l’acclamer et prier pour qu’il vive ? » (3) Que lui répondriez-vous ?

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Pour commencer la “marche du million” dont elle parle est une plaisanterie. Nous avons reçu des témoignages de première main, de personnes présentes sur place : il y avait tout au plus quelques milliers de personnes, la plupart volontairement, d’autres forcées par le régime à se déplacer sous peine de persécution, de torture et de morts, comme le régime en est coutumier. Deuxièmement la plupart des Libyens ne supportent pas Kadhafi. Nous l’avons bien vu au tout début des manifestations, où 90% du pays était dans la rue et a continué ensuite en prenant les armes pour se défendre contre la répression brutale et se libérer. Si la majorité des Libyens supportait Kadhafi vous n’auriez pas un pays en situation de révolution, avec pour unique but de le renverser et d’ouvrir enfin la voie à une Libye démocratique.

Attendez-vous un dénouement à la Tunisienne ou à l’Egyptienne (avec rémission du chef de l’Etat), ou cela sera-t-il plus long et plus douloureux encore ?

L’Egypte et la Tunisie ont fait de grands progrès mais leur révolution n’est pas achevée. De ce point de vue la Libye sera similaire. Une fois libérée, encore faudra-t-il assurer les droits pour lesquels nous nous sommes battus. Mais passé le renversement du régime – car il ne peut en être autrement – la révolution libyenne réalisera aussi l’immense prix que lui a coûté cette tyrannie. A ce titre, le coût est peut être encore plus élevé qu’en Egypte et en Tunisie. Le 27 avril dernier, un rapport de Washington estimait à 30,000 le nombre de victimes, ce que nous pouvons corroborer. Nos hôpitaux manquent de ressources. Dans certaines zones, ils sont même occupés par les forces de Kadhafi, les rendant inaccessibles aux combattants de la révolution.

Nota Bene : L’opposition libyenne a donc, depuis le dimanche 21 août, pris le contrôle de la capitale Tripoli, forcé Muammar Kadhafi au départ et capturé son fils Seif el-Islam.

Propos recueillis par Cédric Baylocq

(1) Dont les musulmans d’Europe et les instances européennes ont commémoré les 16 ans le 11 juillet dernier. Ce massacre avait fait près de 8000 victimes, aux portes de l’Europe.

(2) http://www.sudouest.fr/2011/07/11/je-vais-aider-nicolas-sarkozy-449016-755.php

(3) http://www.sudouest.fr/2011/07/02/les-verites-d-aicha-kadhafi-442026-4693.php

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