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Oui, « dangereux » comme on aimerait tous l’être !

Quand, en 2002, une affiche annonçant un colloque organisé par Présence Musulmane Canada, sur le thème « La communauté musulmane au Québec : un an après le 11 septembre », et comptant parmi les conférenciers un certain Ramadan, je pensais à Hani, dont j’avais assisté à une conférence à l’Université Laval au Québec. C’est seulement une fois sur place, que j’apprenais que le Ramadan en question était son jeune frère Tariq, que je découvrais pour la première fois.

Cette rencontre me laissait sceptique, car je nourrissais quelques réserves sur les réflexions de ce dernier, que je trouvais particulièrement « tendres » en raison de son caractère nuancé. Je décidais donc, pour mieux appréhender son discours, de me procurer certains de ses écrits et autres cassettes, à l’image de Caroline Fourest, dont je reconnais ne pas avoir lu le livre Frère Tariq, du fait qu’il relève plus de l’idéologie que de l’investigation.

En revanche, la lecture des écrits de Tariq Ramadan me perturba quelque peu. L’auteur utilisait des concepts que je maîtrisais très bien, dont certains avaient été formulés par des savants réformateurs de la trempe de Ghazali.

Dans le discours de Ramadan, ces concepts épousaient cependant des contours inédits à mes yeux. Ce n’est point la nouveauté de l’élaboration qui faisait naître en moi cette perturbation, mais plutôt le fait qu’en terme de rationalité, je ne trouvais rien à redire quant à l’argumentaire qui l’appuyait. Même, si mon amour propre refusait d’admettre que ma compréhension de l’islam se fourvoyait autant par rapport à des thèmes aussi essentiels que la nature de l’Occident, et ses relations avec le monde musulman, que le rapport du musulman à la Oumma, sans omettre la question du peuple juif et sa représentation aussi bien historique qu’actuelle dans les textes scripturaires et parmi les musulmans eux-mêmes etc…

Un peu à l’exemple de l’ouvrage d’Edward Saïd l’Orientalisme, mais dans un style plus accessible au commun des mortels que nous sommes, le philosophe Ramadan procède inlassablement à la déconstruction de la représentation que le musulman contemporain a du monde dit occidental. Ce travail de déconstruction se résume dans sa conclusion : l’Occident n’est point l’autre, mais c’est plutôt nul autre que nous-mêmes, et même deux fois plutôt qu’une.

Dans un premier temps, par l’apport historique d’une civilisation musulmane qui a marqué, directement ou indirectement, mais toujours profondément, tout ce qui constitue aujourd’hui la « fierté « de l’Europe, sur le plan des développements scientifiques, culturels et sociaux. Dans un second temps, l’Occident c’est nous, car nous y sommes pour y rester.

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A cet égard, on l’aura compris, Tariq est effectivement « dangereux » puisque son discours encourage les Occidentaux de confession musulmane à s’engager pleinement au sein de leurs sociétés sécularisées. Un engagement qui à terme – bien que certains effets commencent déjà à se faire se sentir – neutralisera nécessairement le principal allié des chantres de la théorie du « choc des civilisations », en l’occurrence le repli sur soi qui avait cours parmi une communauté musulmane « minorisée » parce que se pensant elle-même minoritaire, et « victimisée » parce que adoptant elle-même une attitude victimaire.

Ensuite, au niveau de la Oumma, Tariq surprend par une compréhension qui n’est finalement (à bien y réfléchir) qu’une question de bon sens. Le musulman, puisque c’est de lui qu’il s’agit, avant d’être membre d’une Oumma musulmane, se trouve être, justement, un musulman : c’est-à-dire une individualité responsable devant Dieu, à qui elle devra rendre compte de sa fidélité aux principes révélés.

Ce primat de la fidélité à des principes universalistes par rapport à l’appartenance à un groupe, représente sans aucun doute le second « danger » de la pensée de Tariq. Refusant le repli sur soi et libre de toute allégeance, l’engagement de cette individualité occidentale de confession musulmane devient encore plus efficace, parce que pleinement investi dans les réalités locales, plus cohérent, car ne ménageant les dénis de droit ni ici ni là-bas. Plus important encore, cette individualité demeure difficilement contrôlable via le jeux des alliances avec les pouvoirs corrompus des pays dits d’origine.

S’attaquant également de front à l’antisémitisme musulman, à qui il refuse toute légitimation par les textes scripturaires de l’islam, Tariq rend audible, pour des franges importantes des sociétés civiles occidentales, le grief des musulmans à l’encontre d’Israël et de sa politique de répression dans les territoires occupées . Une implication réaliste, visant à dévoiler la nature du gouvernement israélien, devient possible, à l’abri de l’accusation/paravent d’antisémitisme que brandissent les inconditionnels de cet Etat. Un autre aspect donc, à n’en point douter, de la « dangerosité » du discours du frère Tariq.

Voilà, pourquoi Tariq Ramadan est triplement et terriblement « dangereux ». C’est ainsi que nous l’apprécions, malgré les contrevérités d’une Fourest, dont nous avons mieux à faire que de lire la « littérature » partisane.

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