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Néolibéralisme et autoritarisme : une spirale malsaine

L’actualité regorge de contradictions mêlant désir de liberté et pulsions autoritaires. Comment comprendre ce phénomène mondial, qui consiste à échanger de la liberté contre de la sécurité ? On se propose ici de décrire brièvement ce phénomène, avec ses tenants et ses aboutissants. Sans vouloir faire la part trop belle à l’analyse marxiste, qui interprète l’histoire comme celle d’un perpétuel conflit entre classes économiques présumées antagonistes, le monde d’aujourd’hui ne pourrait être compris sans reconnaître l’importance de la préservation des intérêts privés du capitalisme mondial. C’est pourquoi aujourd’hui, compte tenu de leur influence prépondérante dans le cours des événements, il convient d’abord de comprendre les tendances animant le système capitaliste mondial.

Disons les choses clairement, nous assistons à l’émergence d’un fascisme international et élitiste, pour lequel les forces créatrices d’une société ou d’un ensemble de sociétés sont placées sous contrôle et mises au service d’une partie minoritaire de la population la constituant. Ce phénomène a déjà pu être observé lors de la colonialisation, mais sa particularité aujourd’hui est de ne pas être circonscrit à quelques nations ou à trois continents (Afrique, Asie, Amérique du Sud) mais élargi à l’ensemble de l’humanité, incluant les populations européennes. De ce fait, un front mondial d’opposition peut se créer, indépendamment des frontières nationalistes qui ont tant affaibli les mouvements anti-colonialistes et anticapitalistes par le passé.

A la base, le système financier usuraire créé des tensions entre les intérêts des différents acteurs économiques, c’est-à-dire des facteurs de production. Ces tensions incompressibles se traduisent par un rapport de force instable entre acteurs économiques en ce qui concerne la rémunération des facteurs de production. Aujourd’hui, ce rapport est en faveur de la classe capitaliste mais étant injuste, il est aussi instable. Le système capitaliste tente donc de trouver les expédients efficaces pour préserver ce rapport de force.

Le « néo-libéralisme » est une réponse à ces tensions, en appliquant la loi de la sélection naturelle (concurrence, compétitivité) permise par une déréglementation de la scène économique nationale et internationale (marché des capitaux, marché des biens et service, marché du travail), un déséquilibre des rapports de l’échange commercial ainsi qu’une réduction du rôle de l’Etat en tant qu’acteur économique et protecteur de l’intérêt général.

Le secteur financier est à la fois le déclencheur et le pionnier dans la « libéralisation », car le système survit grâce au déséquilibre du rapport de force entres facteurs de production, en faveur du facteur capital. Le système financier actuel est un système aspirant les capitaux depuis la périphérie (tiers monde) vers le centre (Etats-Unis et Europe)[1], rentier plutôt que productif, manipulant les valeurs monétaires à son profit[2]. En découle des relations financières, économiques et commerciales déséquilibrées.

Situation injuste et insupportable car les « règles du jeu sont truquées » et ne permettent plus l’émergence de nouvelles puissances économiques : nous sommes dans une situation inadmissible et hautement contradictoire puisque le nouveau « libéralisme » aboutit à sa contradiction même. Le prix à payer pour maintenir cette situation de rente sont le sous-développement de régions entières, la paupérisation, l’immigration clandestine (attention il existe une immigration régulière voulue par l’Etat car répondant à un besoin de main d’œuvre), l’acculturation, le déracinement et finalement une montée de l’insécurité. Le proverbe ne dit-il pas que « celui qui se satisfait du malheur de son voisin est un idiot » car il en perdra lui-même tout sentiment de sécurité.

Il y a alors, suite à la « trahison des clercs » et une certaine lâcheté politique, une sorte de coup d’Etat sécuritaire. Le pouvoir politique, ayant cédé à l’appel des lobbys privés pour déléguer son pouvoir économique, a oeuvré à l’indépendance des banques centrales et au retrait de l’Etat de la sphère économique au niveau institutionnel et réglementaire. La crise identitaire de l’Etat, caractérisée par un délaissement de son devoir de protection économique et réglementaire de la population, se traduit par un repli sur sa compétence de « protection physique » des citoyens et sur le monopole de l’usage de la force.

Eventuellement, l’Etat pourra être transformé en Etat-police, au service du système financier qui le finance, afin de réprimer toute opposition au système. Dans cette perspective, l’Etat libéral convient le mieux à cette mission, car son action se limite à l’exercice de compétences minimales, dites régaliennes, nécessaires à l’ordre public (c’est-à-dire pour les libéraux de faire respecter les droits des citoyens et de protéger les libertés individuelles)[3]. Notez qu’on ne parle pas ici du bien-fondé théorique de l’Etat libéral, toutes choses étant égales par ailleurs, car ce n’est pas ici l’objet de ce développement.

Le « coup d’Etat sécuritaire » consiste à entretenir la peur et l’insécurité pour légitimer l’action d’une classe politique et d’un Etat discrédités par l’abandon de ses devoirs et prérogatives au profit de lobbys privés. Ici, le terrorisme prend une apparence institutionnelle et policée, et a pour but de modifier psychologiquement la nature du contrat social de nos sociétés. Le « deal » proposé est : moins de liberté pour plus de sécurité. On propose une définition plus élargie de la liberté économique, en échange duquel on diminue les libertés individuelles.

La « guerre contre le terrorisme » s’inscrit dans ce cycle malsain, comme une diversion et une tentative pour sauvegarder un rapport de force découlant d’un système financier en faillite. La guerre contre le terrorisme est une guerre contre un ennemi invisible, que l’on ne définit pas à dessein, afin de justifier tout type de mesures exceptionnelles. Et si l’on a tendance à assimiler la guerre contre le terrorisme à une guerre contre la civilisation islamique, cela ne peut être vrai que dans la mesure où le système économique et politique islamique pose un défi au système financier capitaliste dégénérescent. En ce sens, la guerre contre le terrorisme est bien une guerre économique sous couvert d’idéologie tronquée.

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L’oligarchie, qui peut prendre plusieurs noms (synarchie, aristocratie financière…) a donc tout intérêt à créer une diversion afin d’effrayer les populations et par ce biais d’imposer les changements désirés au pacte social. Ces changements incluent la fin de l’Etat-nation au profit d’une entité mondiale, la fin de l’Etat – providence au profit d’un système libéral de marché, l’affaiblissement de la classe moyenne au profit d’une oligarchie financière, la privatisation de l’activité étatique (jusqu’aux forces armées).

Pour appuyer notre propos, citons Henry Kissinger :« Aujourd’hui, l’Amérique serait outrée si les troupes des Nations Unies entraient dans Los Angeles pour restaurer l’ordre. Demain ils en seront reconnaissants ! Ceci est particulièrement vrai s’il leur était dit qu’un danger extérieur, qu’il soit réel ou promulgué, menace leur existence. C’est alors que les peuples du monde demanderont à être délivrés de ce mal. L’unique chose que tous les hommes craignent est l’inconnu. Confrontés à ce scénario, les droits individuels seront volontairement abandonnés au profit de la garantie de leur bien-être assuré par le gouvernement mondial »[4].

Pour reprendre les termes de Kissinger, la guerre contre le terrorisme doit être une guerre contre l’inconnu. A titre d’exemple, le réseau « Al-Qaida » est difficilement identifiable car sa mission est avant tout de ne pas être identifié. D’où le mystère entourant cette organisation, qui met en échec l’objectif affiché des renseignements américains de le neutraliser depuis le début de la guerre d’Afghanistan en 1979 tout en ayant des sites internets actifs et régulièrement mis à jour.

L’équation étant ainsi posée, le  néo-libéralisme aboutit inéluctablement à sa contradiction sociale ; la crispation intellectuelle, l’autoritarisme politique et la pénalisation de comportements qu’il secrète par lui-même, sans qu’ils ne résultent d’une « anormalité » ou d’une « rupture avec la société ». On constate alors une pénalisation croissante de comportements démontrant la faillite du système financier et international, en contribuant à sa remise en cause effective, parallèlement à une dépénalisation de comportements sociaux pathogènes liés à la morale et contribuant à l’insécurité générale tels la prostitution, le trafic de drogue, les crimes de sang, l’immoralité et la violence sexuelles, d’où un sentiment d’injustice et d’insatisfaction sociale croissant.

L’opinion publique est toutefois plus informée que jamais, et le but non avoué d’une partie de nos élites sera d’autant plus difficile à atteindre que les peuples seront conscients des enjeux qui se jouent. A ce titre, le front médiatique érigé contre la religion islamique et la sainteté de cette religion n’apparaît que comme une diversion puissante, basée sur une haine nourrie par un imaginaire faussé et soigneusement entretenue au sein de l’opinion publique. Il serait dommage que cette polémique couvre les vrais enjeux, les vrais intrigues qui se nouent aujourd’hui sous nos yeux et menacent les fondements même de la paix civile.

 


[1] SOROS.G, The Crisis of Global Capitalism : open society endangered, 1998

[2] RUEFF.Jacques, Le pêché monétaire de l’Occident, 1972 ;
PALMA.N, Introduction à la théorie et à la philosophie de l’Economique, 200 ?

[3] C’est ce que Frédéric Bastiat résume dans ses Harmonies Economiques de 1850 : « N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième ».

[4]Henry Kissinger, Membre du Groupe de Bilderberg, de la Commission Trilatérale et du CFR

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