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Musulmanes féministes : du paradoxe à la réalité

Cet article est le discours d’introduction prononcé par Alima Boumediene Thiery, députée (Verts/ALE) au Parlement Européen, lors de la conférence “féministes musulmanes” qui s’est déroulée dans ce même Parlement Européen.

Depuis quelques années, une question hante tous les discours des responsables politiques européens, fait la Une des médias, et traverse tous les débats de société aujourd’hui.

Cette question concerne une population devenue tour à tour : indigène, travailleur étranger, immigré, issu de l’immigration, beur, maghrébin, et aujourd’hui musulmans, et pour certains terroristes potentiels !…

De la colonisation à l’islamisation, en passant par l’immigration, le chemin semble appartenir à l’imaginaire. Et pourtant, les musulmans d’Europe sont bien là, citoyens d’Europe, au cœur de toutes les mutations en cours…

Ces “musulmans d’Europe” représentent plusieurs millions de personnes, et dans certaines grandes villes européennes, ils représentent un chiffre impressionnant allant jusqu’à 25 % de la population. Il parait même que l’Islam est devenue la deuxième religion en Europe !!!Quel que soit son nombre, il est vrai que l’Islam appartient à notre quotidien, il est omniprésent dans nos sociétés modernes et laïques, sécularisées.

Mais qui sont-ils ? A qui s’adressent ces discours politiques ?

Attention aux amalgames : Tous ne sont pas étrangers, et tous ne sont pas arabes, tous ne sont même pas pratiquants, mais culturellement ou sociologiquement considérés comme musulmans. ils sont perçus comme tels dans le regard de l’autre.

Des millions sont d’une « nationalité européenne » donc citoyens d’un pays membre, notamment en Allemagne, France, Grande Bretagne, mais aussi en Espagne, Italie, Pays Bas, Belgique,* d’autres sont résidents d’Europe et donc citoyens d’Europe.

Malheureusement, une méconnaissance totale, ajoutée à la peur, entretient un discours de rejet et de repli, que d’autres exploitent en toute impunité à des fins politiciennes.

Souvent aidé par les médias, l’image du musulman interfère avec d’autres clichés : délinquance, violence, drogue, échec scolaire, chômage,… clichés révélateurs de l’angoisse de nos sociétés modernes, de ses peurs et ses crispations face aux questions d’actualité. Du coup, l’Islam est confondu avec l’intégrisme et le terrorisme.

En outre, je trouve incroyable qu’à chaque fois que l’on parle de l’Islam on l’associe à la question de l’intégration. Il est urgent de rappeler qu’aujourd’hui on s’adresse à des jeunes citoyens, dont beaucoup sont nationaux, nés ou ayant grandis en Europe, et dont la problématique de l’intégration ne s’adresse pas à eux !

Les renvoyer à leur condition d’étranger, c’est en faire d’éternel immigré. C’est une véritable politique de désintégration qui est à l’œuvre !…

Nous rappeler sans cesse notre origine étrangère, c’est nous assigner à résidence, c’est nous refuser le droit d’être musulman et européen, et donc de vivre notre identité plurielle ! Mais pourquoi ?

Arrêtons nous un bref instant sur le contexte international : Il me semble que la situation internationale “n’y est pas pour rien,” sur la situation vécue aujourd’hui en Europe par les Musulmans.

La dernière guerre en Irak, la détérioration de la situation au Moyen-Orient, l’injustice et la violence vécues par le peuple palestinien : les musulmans d’Europe ont vécu durement ces événements.

Depuis le tristement célèbre « 11 septembre 2001 », on constate plusieurs phénomènes inquiétants :

Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, une profusion de textes ultra-sécuritaires sont adoptés ou sont en cours d’application. C’ est le cas du Mandat d’Arrêt Européen ou de la politique communautaire d’asile qui se transforme en lutte contre l’immigration illégale…
Peu à peu, ces textes tuent nos libertés ! Ils font reculer nos droits partout en Europe ! Ils injectent une certaine xénophobie, ou une xénophobie certaine !

Cet amalgame fumeux, cette déformation inacceptable, cette confusion des genres doivent cesser car cela entraîne une radicalisation politique.

A entendre certaines voix bien pensantes, l’Europe serait en cours d’islamisation rampante. Nos banlieues en seraient le terrain privilégié ! En fait, les « sauvageons » d’hier se seraient transformés en militants intégristes, voire en terroristes !*. Un climat de violence raciste et de refus de l’autre s’installe. Et pas seulement en France. L’Europe est touchée par ce phénomène.

En toute impunité des personnalités, parfois même avec complaisance de leurs autorités, s’expriment publiquement et tiennent des propos haineux contre l’Islam, sans aucune réaction, ni condamnation politique, ni sanction*. Des circulaires discriminatoires circulent dans les entreprises, les bailleurs de logements. Des tombes sont profanées. Des lieux de cultes sont brûlées*. Et voici une loi d’exclusion, une loi d’exception qui stigmatise davantage !

Sous prétexte de laïcité, la France a le triste privilège de  montrer le chemin de la discrimination légale à d’autres pays …

Cette loi contre le port du foulard, telle que proposée aujourd’hui dans certains pays, est une nouvelle humiliation pour les musulmans déjà accablés par le contexte international et national, et notamment social.

Entre un passé colonial qui a du mal à passer et une identité européenne qui remet en cause une certaine souveraineté, la France, mais aussi la nouvelle Europe avec son élargissement, vivent une véritable crise d’identité.

Les sociétés changent, les peuples évoluent et s’enrichissent de la pluralité des cultures, et pourquoi nos principes seraient figées ?

Pourquoi pas une Laïcité plurielle dans cette Europe plurielle ?

Dans son histoire comme dans son actualité, l’Europe est confrontée à des questions de société, à des luttes sociales, à toutes sortes de solidarités communautaires, et pourquoi pas les musulmans d’Europe aujourd’hui ? il ne faut pas en avoir peur ! *

Face à une situation familiale, sociale ou professionnelle difficile, et au silence frileux des pouvoirs politiques, par souci électoraliste, la prise en compte des réalités et des droits des musulmans est trop souvent laissée à l’abandon ou renvoyé au religieux…

C’est la grande erreur des Politiques !

Ainsi, naissent les frustrations pour les uns en demande de reconnaissance et prêt à se vendre pour exister, les discriminations pour les autres qui se révoltent d’une manière parfois bruyante pour exister également, et pour tout le monde, un très grand sentiment d’injustice qui nous pousse à chercher des repères à la fois culturels et affectifs…

En réponse à ce déficit de justice, émerge une volonté de s’affirmer à différents niveaux et avec ses spécificités, en tant que citoyenNEs à part entière.

Et les femmes dans tout cela, allez-vous me dire ?

La méconnaissance de l’Islam et de la culture musulmane, avec l’image négative véhiculée en Europe d’un Islam opprimant les femmes ne facilite ni le dialogue, ni la reconnaissance d’une identité européenne plurielle.

Il faut avouer que, malgré elles, la majorité de ces femmes se retrouvent face à une injonction, l’obligation de choisir entre “Ni Putes Ni Soumises” et le foulard !

Ainsi, j’ai le sentiment que nous sommes prises en otage entre d’une part la solidarité que nous voulons exprimer avec “nos frères”, transformés tous en machos violents et responsables de tournantes, et l’instrumentalisation qui est faite de notre culture, voire parfois de nos choix culturels.

Jusqu’à aujourd’hui les femmes, dites musulmanes, étaient soit montrées en exemple de “réussite d’intégration”, notamment de réussite scolaire ou professionnelle, soit elles passaient inaperçues, notamment silencieuses et dociles au sein de la famille. D’une manière générale, elles vivaient dans le monde de l’invisible car elles ne posaient pas de problème. Preuve en est : il suffit de regarder les politiques de la ville ou les programmes d’insertion, à l’exception des cours d’alphabétisation pour les primo-arrivantes, et des cours de couture ou de cuisine, il n’y avait que très peu d’action en leur direction !

Même les associations féministes ou de solidarité avec l’immigration, n’arrivent pas à trouver de réponses aux attentes de ces femmes et surtout ces jeunes femmes, qui, en toute légitimité recherchent épanouissement, liberté et indépendance, sans renier ni leur histoire ni leur identité notamment culturelle.

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Mais comment concilier ce passé, si lourd d’histoire, et cet avenir auquel aspire tout individu dans notre société moderne ?
Comment articuler traditions et modernités ?
Comment notre combat féministe, donc universel puisqu’il rejoint celui de l’Egalité des Droits, de la Justice et de la Liberté, peut-il se parer de particularités religieuses, sachant que toutes les religions sont patriarcales ?
N’y a t il pas, donc, incompatibilité entre féminisme et religion, et pour ce qui nous interpelle aujourd’hui l’Islam ?
Le féminisme est-il nécessairement anti-religieux ?

C’est plus en cela que doit se poser la question actuelle du foulard, en terme d’Egalité des droits et notamment d’Egalité hommes – femmes, plus qu’en terme de laïcité, puisque chacun sait qu’elle n’est en rien menacée dans notre société moderne et séculaire.

Pour certaines féministes, le voile est suspecté de donner à certaines croyances religieuses une signification politique, il est également associé par la plupart des gens, contrairement à d’autres symboles, à une attitude répressive par rapport aux femmes. Si l’on suit cette logique, l’interdiction du port du voile devient l’enjeu de l’égalité homme-femme.

Il est peut être nécessaire de remettre en cause les concepts et les définitions que nous portons sur ces symboles.

Ainsi, le jugement que je porte sur le foulard ne porte-t-il pas l’empreinte d’un féminisme occidental, entâché de paternalisme -“de maternalisme”- voire de colonialisme ?

Le féminisme n’est pas né et n’est pas la propriété de l’occident !

Pourquoi n’existerait-il pas d’autres formes de féminisme, un féminisme pluriel qui se nourrit d’une histoire différente et trace de nouvelles voies pour mener ce combat ? Bien que l’on ne puisse pas se faire l’économie d’un débat sur ce fichu foulard, qui en réalité dévoile d’autres problèmes de fond, réduire la question des femmes musulmanes, à un problème de foulard est non seulement réducteur mais c’est aussi fausser la réflexion !

En outre, je suis étonnée de voir autant de personnes se découvrir subitement “féministes” ! Mais où sont tous et toutes ces “féministes” lorsqu’il s’agit de se battre pour l’égalité de traitement des femmes en Europe, notamment au travail.

Où étaient tous ces féministes pour se battre contre les conventions bi-latérales (avec l’Algérie et le Maroc) qui méconnaissent les droits des femmes maghrébines, y compris de double nationalité en Europe ?

Il me semble que nous devons davantage nous poser une série de questions se posant sur le terrain des droits fondamentaux :

– le droit à l’éducation, à la formation, au travail,

  •  l’égalité des droits au sein de la famille (mariage, divorce, responsabilité parentale, héritage, filiation,…) dans les codes civils ou codes de la famille,
  •  le droit à vivre sa différence dans la dignité et l’égalité des droits et des chances.

    Ce sont ces questions, que les femmes et les hommes, musulmans ou non, mais tous démocrates doivent avoir le courage de répondre avec sincérité et sérénité, afin de donner une réponse sur la place, les droits et le rôle des minorités en Europe.

    Cette question des femmes musulmanes doit être l’occasion pour les responsables politiques d’asseoir les conditions d’exercice d’une véritable citoyenneté, quel que soit l’identité plurielle de ces citoyens.

    Les grands discours contre l’exclusion et les discriminations ne suffisent pas à garantir justice et liberté dans la réalité quotidienne. C’est une véritable rapport de force qui doit s’engager, et chacun doit y participer activement.

    Les droits ne se donnent pas, ils s’arrachent !

    Et c’est par le combat pour la citoyenneté que l’on acquiert des droits !

    Par ailleurs, nous devons aussi assumer des responsabilités. Pour cela, j’aimerai que nos amies féministes musulmanes contribuent à faire avancer cette égalité des droits et pour cela nous aident à apporter des réponses à des questions liées directement au statut des femmes dans l’Islam.

    Face à une résurgence de la xénophobie, du rejet de l’autre, et en réponse : la tentation du repli, on ne peut pas se contenter de rappeler des références historiques et théologiques pour dire que l’Islam donne un statut aux femmes.

    Nous ne pouvons pas nous conforter dans l’explication d’un âge d’or de l’Islam d’hier, pour nous lamenter de la régression de la situation des musulmans d’aujourd’hui, en l’expliquant par l’exclusion sociale, la méconnaissance et l’amalgame entre traditions et principes.

    Nous ne pouvons plus nous consoler en réaffirmant que l’Islam donne des droits aux femmes que les hommes n’appliquent pas !

    Nous devons aujourd’hui démontrer que, si dans notre réalité quotidienne ces droits ne sont pas encore acquis (égalité des deux époux dans le divorce, l’héritage, le droit d’adoption, le droit de transmettre sa filiation…), nous y oeuvrons tous et toutes avec force et vigueur !

    Pour cela, nos Etats (évidemment je parle ici de nos Etats européens, mais il vaut mieux le préciser pour ceux qui continuent à vouloir nous renvoyer à un espace étranger !) doivent également apporter une réponse politique à ce statut et refuser certaines situations comme polygamie, répudiation, etc…, qui ne génèrent que l’injustice. Nous attendons d’eux qu’ils dénoncent les conventions bi-latérales qui reconnaissent en Europe les codes de la famille des pays d’origine.

    Un dernier mot pour conclure, nous refusons d’être sans cesse rappelé à notre étrangeté, et pour cela nous nous soulevons contre celles qui, avec une histoire différente, “viennent d’ailleurs” pour nous donner des leçons d’égalité et de féminisme.

    Nous voulons réaffirmer notre solidarité avec toutes les femmes du Nord comme du Sud de la Méditerranée, qui se battent pour aussi pour l’égalité des droits et la Justice, mais de manières différentes car dans une réalité quotidienne différente.

    Nous devons dire Non à la confiscation de notre parole par des femmes dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas !

    Autant je peux reconnaître qu’elles existent, autant je souhaite qu’on ne reconnaisse pas qu’elles, car nous aussi nous existons !

    Faut-il que l’on mette toutes un foulard pour montrer que nous voulons exister avec nos droits et nos différences ? pour prouver au pouvoir et aux médias qu’un autre discours existe ? moins éradicateur pour nos frères et notre communauté culturelle, même s’il est moins confortable pour nous !

    Ainsi si aujourd’hui, je suis aux côtés de ces femmes qui lèvent leur voix contre l’interdiction du port du foulard en France, je veux réaffirmer que je suis également aux côtés de ces femmes qui lèvent leur voix contre l’obligation du port du foulard dans leur pays.

    Il ne peut pas y avoir des droits fondamentaux à géométrie variable !

    Il n’y a pas deux poids deux mesures, mais un seul camp : celui du respect de la liberté de choix et du droit de choisir pour chacune !

    Mon combat est celui du respect des droits fondamentaux, sans aucune dérogation, qu’il s’agisse du Droit international, comme des droits dans l’espace public ou privé.

    Ma seule préoccupation est l’égalité des droits et des chances pour toutes les femmes et tous les hommes, dans le respect de leurs différences.

    Il me semble essentiel de renforcer le respect du Droit, dans et pour l’ensemble de nos société démocratiques, notamment en ces temps où nous courons le danger de nous laisser gouverner par nos peurs plutôt que par vos valeurs !

    Je vous remercie.

    Bruxelles, le 05 mars 2004

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