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Momo, la chèvre et le Breton

Je dois vous faire un aveu : cet été, j’ai cédé aux sirènes de la télé-réalité. Je ne parle pas de celles de « l’île de la tentation » -écoeurante émission destinée à faire rompre des couples suffisamment stupides, pervers ou vénaux, pour s’engager dans une galère où « tentateurs » et « tentatrices » sont chargés de les faire exploser. Je ne parle pas non plus de cette blonde avide qui a fait croire aux siens qu’elle allait épouser un porc pour empocher cent mille euros (dix millions de dinars, quand même…) Un beau magot qui l’a obligée à infliger à sa mère et à son père une telle somme de souffrances que l’on a du mal à croire que cela ne sera pas sans conséquences pour leur santé. Draham elhram, l’argent du pêché…

En fait, c’est de Koh Lanta dont je souhaite vous parler. De ses naufragés volontaires qui, d’épreuves physiques en éliminations successives nous ont donné une image parfois émouvante, parfois sordide, de la vie dans une communauté démunie, surtout lorsque la faim et les insectes tropicaux se mêlent de la partie et que les candidats hommes sont les premiers à tirer au flanc quand ils ne s’adonnent pas à la médisance et à la mesquinerie.

Pour tout vous dire, c’est de la faute de mon ami Hssissen si j’ai été happé par cette émission diffusée par TF1, tout comme celles que je viens de citer. De lui, j’ai reçu le courriel suivant : « As-tu vu la scène de la chèvre sur Koh Lanta ? La honte ! Tbahdilla ! ». Je n’avais pas vu cette séquence mais je n’ai eu aucun mal à la retrouver sur internet où elle fait le bonheur des forums en tous genres [1].

Rapide résumé de l’extrait de Koh Lanta qui a indigné Hssissen. Un candidat nommé Mohamed, Momo pour ses camarades, capture une chèvre sauvage. Problème : la bête est pleine et les responsables de l’émission exigent qu’il lui rende sa liberté au nom de la loi ancestrale de la chasse qui veut que l’on ne s’attaque pas à des animaux qui portent en eux une autre vie. Mais Momo a faim, très faim et il ne l’entend pas de cette oreille. Je ne résiste donc pas à vous livrer un extrait de son monologue qui fera sûrement date dans l’histoire de la télévision.

« C’est moi qui l’ai chassée, dit-il au berger venu récupérer le quadrupède. C’est moi qui vais la garder ! J’en ai rien à f… qu’elle soit pleine ou qu’elle soit vide (…) Fallait pas me lâcher de chèvres ici (…) Elle bouge pas d’ici et celui qui est pas content, j’lui casse la bouche (…) Chui un fou dans ma tête (…) J’la mange, j’ai faim. La chèvre, elle reste là, sur ma tête. A la machette celui qui veut la prendre. J’l’embrouille grave (…) J’ai mis trois heures à l’attraper, la chèvre. Trois heures ! Elle est en mauvaise santé ? J’vais la couper tout de suite comme ça elle sera plus en mauvaise santé ».

Que Brigitte Bardot se rassure, la chèvre « n’a pas été coupée ». Quant à Momo, pour sa punition, il a passé une nuit seul sur un îlot à peine plus grand qu’un lit. Ce qui lui a fait un grand bien et c’est pour cela que j’ai continué à suivre l’émission. Revenu de sa courte quarantaine, il a reconnu son « coup de folie » et en est devenu attachant avec son petit air de force tranquille à la Zidane. Certes, Momo n’a pas gagné Koh Lanta mais dans quelques années, c’est lui dont on se souviendra encore.

Lui, le naufragé affamé qui dérape « grave », se repent, se bonifie au fil de l’émission et fait plaisir à des milliers de Maghrébins de France parce qu’il leur évite la hchouma.

Et oui, nous sommes ainsi. Qu’un Arabe de France, pardon qu’un Arabo-berbère de France fasse son apparition sur la scène publique et nous nous sentons tous proches de lui, l’encourageant à être bon, à être le meilleur et, surtout, à ne pas dire de bêtises à la télévision. Et quand le succès est au rendez-vous, c’est comme si nous avions tous gagné. Cela me rappelle les speakerines de la RTA, dans les années 1970 et 1980 lorsqu’elles nous annonçaient avec une fierté non dissimulée un téléfilm français réalisé par Abder Isker. « Il est de chez nous », disait alors leur sourire.

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Si je vous parle de Koh Lanta, c’est pour faire le lien avec des propos tenus par Patrick Le Lay, le P-dg de TF1, la chaîne maîtresse d’oeuvre en matière de téléréalité. Dans un entretien accordé au magazine « Bretons » de septembre, celui qui est l’un des hommes les plus puissants de France, s’est laissé aller à des confidences pour le moins inattendues. « Je ne suis pas Français, je suis Breton. Je suis un étranger quand je suis en France  » a affirmé le P-dg. Et d’accuser dans la foulée la France de « génocide culturel de la langue bretonne » tout en plaidant pour la compréhension à l’égard des autonomistes bretons dont certains ont eu recours à la violence pour défendre leur cause. Stupéfiant !

Je note d’abord que ces déclarations n’ont guère soulevé de polémiques et c’est aisément compréhensible : la puissance de feu de Tf1 est telle que j’imagine mal nos grands héros médiatiques hexagonaux s’en prendre à Le Lay au nom de la République (jacobine). Mais imaginez un instant qu’un Maghrébin de France, célèbre, tienne des propos similaires. Fini, terminé : lynchage dans les éditoriaux et mise à l’index dans les émissions people.

Quant au personnel politique, il a préféré se taire de peur d’être privé de plateau du journal de vingt heures. Il est vrai que demander des poursuites judiciaires à l’encontre du rappeur Monsieur R -dont une chanson et son clip contiennent des passages injurieux à l’égard de la France- est moins risqué que de critiquer le patron d’une grande chaîne.

Quelle ironie ! En 1986, lorsque le gouvernement Chirac a décidé de privatiser TF1, le groupe Bouygues a remporté la mise en s’étant présenté comme le « mieux disant culturel ». Près de vingt ans après, on peut affirmer sans trop exagérer que Patrick Le Lay a bien rendu la monnaie de sa pièce à la France et à ses Lettres grâce aux Lagaff, Morandini, Arthur et autres Choé (désolé, la liste de ces érudits est trop longue). La vérité, c’est que sur TF1, la culture française est une clandestine à peine tolérée.

Ce n’est, par exemple, que grâce à la volonté de Patrick Poivre d’Arvor que la littérature y possède un droit de cité (nocturne et tardif). Le jour où le présentateur vedette s’en ira, « kenavo » les romans et les essais. Patrick Le Lay peut vraiment se consoler : il a très bien vengé la culture bretonne.

Le Quotidien d’Oran, 8 septembre 2005



[1] www.explicite-tv.com/IndexWeb.aspx

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