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Liban : une fraternité à reconstruire

Onze ans après la fin du conflit qui a ensanglanté leur pays, des Libanais, chrétiens et musulmans, prennent le chemin de la réconciliation. Pas facile dans le cadre confessionnel libanais.

Ils ont tous les deux 22 ans. L’un est étudiant en sciences commerciales, l’autre suit un double cursus de finances et d’art dramatique. Le premier, Kamal, est musulman chiite. Le second, Nader, chrétien de rite grec-catholique. Leur amitié, longue de cinq ans, n’a rien a priori d’étonnant. Si ce n’est son cadre : le Liban, un pays traumatisé par un conflit qui a vu, durant quinze ans, chrétiens, druzes et musulmans s’entre-déchirer. Une guerre dont toutes les plaies, onze ans après, ne sont pas encore refermées, chaque communauté (*) continuant de vivre séparée, qui dans ses villages qui dans ses quartiers. Pourtant, ni Kamal ni Nader ne ressent le besoin de justifier l’affection qui les lie. ’ Avec lui, je n’ai eu jamais eu aucun problème. Nous avons les mêmes idées et la même mentalité’, assure seulement Kamal.

Originaire de Maghdouché, un village chrétien situé à une poignée de kilomètres de Saïda, dans le sud, Nader a passé un an au lycée d’Annqoun, une ville chiite voisine où son père enseigne la philosophie, les mathématiques et les sciences naturelles. ’ Cette année a été très importante car j’y ai côtoyé des gens de nationalités et de religions différentes ’, affirme-t-il.

C’est précisément durant cette période qu’il a rencontré Kamal. ’ Au lycée, chrétiens et musulmans s’entendaient parfaitement, souligne ce dernier.

Pendant le ramadan, les chrétiens s’abstenaient de déjeuner pendant la pause de 10h30 et les musulmans faisaient de même en temps de carême. Il y avait un vrai respect mutuel ’. L’un et l’autre refusent d’ailleurs de voir des origines religieuses au conflit qui a embrasé leur pays. ’ Avant la guerre, explique Kamal, les chrétiens et les musulmans avaient de bonnes relations. Ce sont les réfugiés palestiniens, dont l’objectif était de créer leur propre Etat sur notre sol, qui ont dressé les Libanais les uns contre les autres. ’ Kamal rappelle, du reste, que des hommes d’Annqoun sont allés, les armes à la main, déloger des troupes palestiniennes de Maghdouché au nom de la ’ solidarité libanaise ’. Loin d’être excentrique, cette lecture des événements est partagée par de nombreux Libanais, pour lesquels ce conflit a fait le jeu, avant tout, des intérêts palestiniens, syriens et israéliens.

La coexistence des chrétiens et des musulmans n’est pourtant pas sans poser de problèmes au quotidien. Nader et Kamal le savent bien. Le Liban est régi, depuis 1943, par un le système confessionnel, qui partage rigoureusement les postes au sein de l’Etat, de l’administration et de l’armée entre les dix-sept communautés religieuses officiellement reconnues. En vertu de ce principe, le président de la République est depuis toujours chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le président du Parlement musulman chiite.

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’ Cela permet de maintenir l’équilibre entre les religions ’, soutient Kamal. Mais la médaille a son revers : en temps de crispation identitaire, le système ne fait que renforcer le communautarisme. Dans un pays où chaque groupe religieux dispose d’un droit privé spécifique et où le mariage civil n’existe pas, la question des couples mixtes est à cet égard édifiante. ’ Si une femme veut épouser un homme d’une autre religion, elle doit se convertir, explique Nader. Mais, dans ce cas, sa famille la déshéritera. ’ Et, si la conversion du mari peut être envisagée, elle ne suffit pas forcément à arranger les choses. ’ L’une de mes cousines est tombée amoureuse d’un musulman qui, pour l’épouser, s’est converti au christianisme. La famille du marié a fini par accepter leur choix, mais ils ont quand même été victimes de médisances. Le problème, c’est que la mentalité de la société reste très fermée ’. Pour éviter de tels soucis, la plupart des couples mixtes s’envolent pour Chypre, où ils contractent un mariage civil. Mais la solution n’est souvent que provisoire : pour que leurs enfants obtiennent des papiers, ils devront passer devant l’imam ou le curé. ’ Si je dois tomber amoureux d’une musulmane, ce sera à l’étranger ’, tranche donc Nader.

Quant à l’idée d’un Etat confessionnel, qui a germé, depuis le début de la guerre, dans certains esprits libanais, les deux amis sont catégoriques. ’ Je ne veux ni d’un Etat musulman, ni d’un Etat chrétien ’, martèle Nader. ’ Je suis musulman et je refuse absolument l’idée d’une République islamique, répond Kamal. Je ne crois d’ailleurs pas que l’intention du Hezbollah soit d’en créer une : sa raison d’être est le combat contre Israël

L’important reste, aujourd’hui, de reconstruire un pays miné par une profonde crise, tant économique que politique. Avec 20% de chômage, le Liban n’offre que peu de perspectives à une jeunesse tentée par l’émigration. Depuis la fin de la guerre, un quart de la population a ainsi quitté le pays. Un exode qui se poursuit au rythme de 5 000 à 8 000 départs par mois et qui touche autant les chrétiens que les musulmans. ’ On ne réfléchit pas trop au futur, parce qu’il est plein d’incertitudes ’, soupire Kamal. Mais, lui et Nader en sont persuadés, l’avenir du Liban passera par cette ’ réconciliation nationale ’que cherchent à mener le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, et le chef de la communauté druze, Walid Joumblatt. Un processus que les dirigeants politiques musulmans n’ont pas encore intégré mais auquel adhèrent déjà des membres de leur communauté.

Article paru dans TC numéro 2990

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