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Les prêtres de Pharaon

Une « fatwa » émanant du chef du Haut Conseil de la Justice d’Arabie Saoudite, Salah al-Fawzan, vient de qualifier les manifestations de solidarité avec le peuple martyr de la Palestine de « corruption sur terre » (fassad fi al-ardh) car elles feraient oublier « d’évoquer Allah ». Selon lui, les manifestations, « c’est du chaos ». En conséquence, toutes manifestations seraient répréhensibles selon ce doctrinaire de la théologie de l’oppression.

Ces propos ont été tenu au cours d’une conférence sur le rôle de la « aqida » (dogme) dans la lutte contre le « terrorisme et la déviation de la pensée ». Cette « fatwa » vient en appui aux autorités saoudiens qui on fait arrêté, jeudi 1ier janvier 2009, deux militants des droits de l’homme, Khaled al-Amor et Mohammed al-Oteibi qui ont essayé d’organiser une manifestation de soutient au peuple palestinien.

Généreusement payés par leurs mécènes, nos théologiens de l’oppression font peu de cas des injonctions divines incitant les musulmans à l’action : « Je ne ferais jamais perdre à aucun d’ente vous, homme ou femme, le bénéfice de ses actions »[1]. Allah ajoute : « Quant à ceux qui luttent pour Notre cause, Nous les guiderons certes sur Nos sentiers. Allah est en vérité avec les bienfaisants »[2]. Allah demande au Prophète de dire : « agissez ! Allah verra vos actions ainsi que son Messager et les croyants »[3]. A ceux qui refusent de lutter, Allah demande au Prophète de leur répondre : « Ne vous excusez pas ! Nous ne vous croyons pas. Allah nous a déjà instruits sur votre compte. Allah et son Messager examineront bientôt vos actions » [4].

L’action et la lutte ont toujours revêtu plusieurs modalités en islam. Le Prophète Mohammed affirmait : « Quiconque constate un fait répréhensible doit le corriger en recourant à la force, s’il en est incapable qu’il intervienne par la parole, s’il en est encore incapable qu’il le réprouve en son fort intérieur. Ce dernier stade est le plus faible de la foi »[5]. Que font les manifestants qui soutiennent le peuple palestinien sinon dénoncer la barbarie par un acte et une parole ?

Mais les déclarations de Salah al-Fawzan doivent être replacées dans la « sounna » (tradition) de ces ouléma du Palais, consistant à légitimer religieusement toutes les oppressions et toutes les injustices. Car les soutiens spirituels et autres aumôniers de la réaction arabe ne sont jamais à court d’arguments religieux pour justifier la soumission à l’impérialisme et l’oppression des peuples.

Déjà ex-grand mufti d’Arabie Saoudite, feu Abdelaziz Ibn Baz, grand doctrinaire de la théologie islamique de l’oppression, affirmait, dans une de ses célères diatribes servant à protéger ses mécènes, que « les marches dans les rues et les slogans ne sont pas une voie pour réformer la situation et la da’wa ». Car, en sa qualité de serviteur des dirigeants saoudiens, il expliquait que « la voie authentique passe par les visites (aux responsables), les correspondances écrites, et ceci de la meilleure manière. Il faut conseiller le président, l’émir, le chef de la tribu de cette manière, sans brutalité ni manifestation ». Selon lui, les manifestations sont d’autant plus condamnables qu’elles contraignent « les présidents et les leaders » à les « interdire par tous les moyens ». Bien évidement, Abdelaziz Ibn Baz ne condamna jamais la dictature saoudienne qui assassine, emprisonne et torture pour faire taire ses opposants.

Non content de déclarer les manifestations haram (illicite), le grand mufti de la théologie de l’oppression justifia islamiquement l’attaque contre l’Irak au moment de la première guerre du Golf. « L’un des plus grands jihad, expliquait Ibn Baz, est le jihad contre le dirigeant de l’Irak à cause de sa débauche, son oppression, son invasion du Koweït, ses bains de sang, sa consommation illicite des biens des musulmans, sa menace envers ses pays voisins, et des pays du Golfe ». Evidement, il ne dénonça jamais la « débauche », « l’oppression » et les « bains de sang » du pouvoir saoudien. Mieux, il justifia la présence des troupes impérialiste dans la péninsule arabique, en expliquant qu’« il ne fait aucun doute que demander l’aide des non musulmans pour défendre et protéger les musulmans et leurs pays de la ruse des ennemis est permis dans la loi de l’islam, et même obligatoire vu la nécessité ».

Autre grand doctrinaire de la théologie de l’oppression, feu Nasir ad-Din al-Albani publia, il y a quelques années, une fatwa expliquant que tous les musulmans de Palestine, du sud du Liban, alors encore occupé, et du plateau du Golan devaient quitter en masse leur terre et s’installer en terre « musulmane ». Il avançait l’argument qu’une terre « musulmane » occupée par des non-musulmans devenait par conséquent une terre « non-musulmane ». Ainsi, il interdisait à tout musulman de continuer à y vivre puisque selon ses théories, un musulman ne peu pas vivre sur une terre « non-musulmane ». Evidement, Chaïm Weizman, Zeev Jabotinsky, David Ben Gourion ou Moshe Dayan n’aurait pu imaginer de discours aussi favorable à leur cause même dans leurs plus merveilleux rêves. Mais ce dont l’impérialisme rêve la théologie de l’oppression le réalise.

Au cours du dernier pèlerinage à la Mecque, le mufti d’Arabie Saoudite, Abdel-Aziz al-Cheikh, tout en dénonçant de manière générale « l’arrogance, l’occupation et le blocus », exhorta les Palestiniens, les Somaliens, les Pakistanais et les Afghans à « revenir à la raison ». Dans le langage du mufti de l’oppression le retour à la « raison » s’apparente à la soumission à l’impérialisme et à ses laquais.

Toutes ces déclarations ne sont faites que pour justifier la politique réactionnaire des dirigeants saoudiens qui sont entièrement soumis à leurs maitres occidentaux. Tel Haman, le prêtre de Pharaon, les théologiens de l’oppression ne font que légitimer théologiquement la politique des tyrans soumis à l’impérialisme qui oppriment les peuples arabes et musulmans. Ils utilisent la religion musulmane pour transformer l’islam « en eau de vie spirituelle » destinée à enivrer les peuples arabes et musulmans afin de les désarmer moralement dans leur lutte contre l’oppression.

En fait, ces théologiens de l’oppression craignent bien plus l’impérialisme et ses laquais que leur Créateur qui affirme pourtant : « n’ayez donc pas peur d’eux (les suppôts de Satan). Mais ayez peur de Moi, si vous êtes croyants »[6].

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Si nous méprisons ces théologiens de l’oppression nous sommes obligés de prendre en compte leur influence qui se fait de plus en plus sentir dans la communauté musulmane en France et dans le monde. Bénéficiant des pétrodollars et des réseaux saoudiens, mais aussi du soutient des puissances impérialistes et de nombres de régimes musulmans réactionnaires, les théologiens de l’oppression influencent de plus en plus les sociétés civiles musulmanes qui demeurent très sensible à tout argumentaire religieux, aussi pervers soit-il.

Si nous voulons réellement lutter contre leur influence, il faudra combattre frontalement les prêtres de Pharaon qui utilisent l’islam pour défendre les intérêts de l’impérialisme et de ses serviteurs. Pour leur émancipation, les peuples arabes et musulmans opprimés ne peuvent pas s’en remettre au bon vouloir de l’impérialisme et de ses valets qui cherchent uniquement à conforter leur domination. Ils doivent eux-mêmes prendre en charge leur lutte de libération nationale et sociale. De faite, en tant que musulman, nous devons combattre toutes les attaques des réactionnaires surtout lorsqu’ils emploient notre religion pour imposer leur idéologie de mort. C’est uniquement en persévérant dans la lutte, idéologique et politique, que nous triompherons car « Allah est avec ceux qui sont fermes »[7].

Dans le cadre de cette bataille contre la réaction arabe et musulmane, la théologie doit aussi être un terrain de lutte pour celles et ceux qui pensent résolument que l’islam peut aussi être porteur d’un message émancipateur. La théologie islamique de la libération ne pourra s’exprimer pleinement sans faire une critique de la théologie de l’oppression qui règne à Riyad et dans nombre de capitales arabes et musulmanes car la véritable « corruption sur terre » (fassad fi al-ardh) n’est autre que l’impérialisme et ses relais arabo-musulmans.



[1] Coran 3 : 195

[2] Coran 29 – 69

[3] Coran 9 : 105

[4] Coran 9 : 94

[5] Rapporté par Mouslim

[6] Coran 3 : 175

[7] Coran 8 : 66

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