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Les fondements du cheminement spirituel

L’Islam est en soi une invitation à tendre l’oreille pour écouter le message, sans préjugés aucuns, pour que se réveille l’innéité, cette part enfouie de chacun, qui tend naturellement vers la transcendance divine. La sourate La Cité, qui évoque l’âpreté de l’existence humaine, faite de luttes et d’épreuves, est une invitation à franchir les obstacles de l’égo et d’un milieu hostile pour aller à la rencontre de l’Etre Suprême.

La quête de vérité commence par la concentration de tout l’être sur un questionnement crucial : celui de la raison d’être et du devenir après la vie terrestre. Le canal de la perception du cœur, seul à même d’appréhender ce questionnement vital, est obstrué par les rythmes de vie qu’imposent les sociétés postmodernes, matérialisées par un environnement visuel et sonore agressif, le règne du tout-publicitaire, une incitation à toujours plus consommer, via le flot médiatique qui submerge et obnubile les esprits.

La société d’image conditionne et reflète cette réalité d’un mode de vie superficiel, dépourvu de sens, noyé par des considérations matérielles jamais assouvies. La notion de cheminement, abstraite pour les esprits cartésiens, est essentielle pour comprendre les finalités spirituelles de l’Islam et le rôle qu’il assigne à l’être. L’Islam considère que la Révélation de Dieu à l’humanité s’est accomplie par l’entremise d’hommes semblables au commun des mortels.

Ces Messagers-élus, porteurs d’une vérité universelle, sont chacun unis à Dieu par un pacte de soumission. Donner sens à la vie de chaque être est l’essence même de la mission des Messagers de Dieu. L’Islam, conçoit l‘appartenance et l’allégeance à Dieu comme une finalité qui s’exprime à chaque instant de la vie. L’appel de Dieu aux hommes représente l’esprit du Message coranique. Chaque être ressent naturellement dès la naissance son appartenance à Dieu.

Cette foi originelle est très tôt confrontée aux effets de l’éducation, d’un environnement familial, social et culturel parfois dénué de toute référence à la vérité révélée. Les sociétés occidentales, dont les repères moraux sont subordonnés à l’universalisme laïc, confinent les croyances religieuses à la sphère privée. L’idéal de « réussite », sous-tendu par un substrat humaine qui mêle individualisme et matérialisme, se traduit par l’ambition de se hisser sur l’échelle de la promotion sociale et professionnelle, quel qu’en soit le prix. Cette finalité de « l’homme-machine à consommer », dans l’indifférence générale, mine les sociétés postmodernes.

Dans cette humanité, noyée dans un tapage médiatique assourdissant, l’appel du divin trouve difficilement écho. Les mouvements émergents de par le monde, de contestation, d’hommes et de femmes qui se mobilisent localement et en réseaux pour restituer à l’homme sa dignité, s’érigent comme les porte-paroles de tous les laissés pour compte du système économique et social libéral qui marque des signes flagrants d’essoufflement. Les programmes gouvernementaux et les actes de charité des Etats riches en faveurs des pays pauvres ont davantage pour vocation d’afficher un semblant de justice mondiale, qui masque difficilement la réalité accablante d’une faim criante mondialisée que d’éradiquer définitivement les origines du mal généré par le capitalisme sans lois qui s’est longtemps targué de sa capacité d’offrir à tous un idéal de bien être, l’American way of life.

La prime nature, ensevelie, enfouie, sous des substrats socio-éducatifs, psychologiques, culturels, idéologiques, peine à entendre l’appel de Dieu. Le monde a assisté à partir du vingtième siècle à la faillite des principaux systèmes de pensée politiques et économiques antagonistes : de la théorie marxiste de lutte des classes et du soulèvement prolétarien, intrinsèquement coupée de toute spiritualité, à celle du capitalisme libéral dans la tourmente. 

Ce dernier est apparu un temps, sous l’effet de la globalisation et de la prégnance du leadership américain, comme la solution la plus accomplie, d’où l’adhésion de nombre de pays à ses valeurs.

Tour à tour, ces modèles, non sans failles, se désagrègent, victimes de leurs tares et d’une violence intrinsèque, malgré les progrès apparents qu’ils ont pu susciter pour l’humanité. Ils n’ont pu concrétiser, en dépit de leurs aspirations, un idéal de l’homme fondé sur la justice, l’équité, la solidarité, la paix sociale et entre les peuples, le respect des droits fondamentaux de chacun, tout en préservant l’unité et la cohésion des populations de la destruction des liens interpersonnels, intergénérationnels, de l’individualisme, du communautarisme, et de toute forme de ségrégation et de haine.

Le sociologue Edgar Morin nous expose sa perception du bien être et ses limites tels qu’ils sont conçus en Occident : « Et pourtant, de plus en plus apparaîtront aux sociétés évoluées, si elles continuent leur course à la prospérité, l’irrationalisme de l’existence rationalisée, l’atrophie d’une vie sans communication véritable avec autrui comme sans réalisation créatrice, l’aliénation dans le monde des objets et des apparences. Les crises de fureur des jeunes gens, les tourments existentiels des intellectuels (parfois grotesques), les névroses spiritualistes des bourgeoises de Passy sont déjà les symptômes d’une crise qui se généralise sans doute un jour. Mais il faudra que la civilisation du bien-être ait été vécue à fond, il faudra qu’elle se réalise vraiment en civilisation de l’abondance, pour que naisse sa propre critique, son propre au-delà »[1].

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Répondre à l’appel de Dieu, constitue pour l’homme le moyen de se libérer des entraves de l’ego prisonnier, des pesanteurs psychiques et sociales, de l’esprit conformiste dominant, dévoué aveuglément à la cause du modèle consommationniste et du paraître. Jean Baudrillard, sociologue et philosophe engagé, stigmatise une société où le paraître prime inévitablement sur l’être : « Nous n’avons plus le temps de nous chercher une identité dans les archives, dans une mémoire, ni dans un projet ou un avenir. Il nous faut une mémoire instantanée, un branchement immédiat, une sorte d’identité publicitaire qui puisse se vérifier dans l’instant même. Ainsi, ce qui est recherché aujourd’hui n’est plus tellement la santé, qui est un état d’équilibre organique, mais un rayonnement éphémère, hygiénique et publicitaire du corps – beaucoup plus une performance qu’un état idéal (…). Chacun cherche son look. Comme il n’est plus possible de tirer argument de sa propre existence, il ne reste plus qu’à faire acte d’apparence sans se soucier d’être, ni même d’être regardé (…).Ce n’est même pas du narcissisme, c’est une extraversion sans profondeur, une sorte d’ingénuité publicitaire où chacun devient l’imprésario de sa propre apparence (…)[2].

Être soi devient selon lui une performance éphémère, un maniérisme désenchanté dans un monde sans manières. La question existentielle, de la raison d’être, de la présence sur terre, embarrasse et intègre le registre des sujets tabous et de ce fait est reléguée au fin fond des consciences. Dans une société de l’image où le martèlement médiatique envoûte et disperse, les finalités de l’individu, pressé de manière incessante par le temps, sont confinées à son épanouissement immédiat et éphémère dans le travail, à sa nécessité toujours plus superficielle de consommer, de se divertir.

La pérennité de cet équilibre de vie très fragile est dépendante des aléas d’un système où la stabilité se paye par temps de crise au prix du sentiment toujours présent d’insécurité professionnelle, de stress et même de refus de la vie.Les évolutions de l’institution sacrée de la famille, valeur refuge, dont les fondements sont menacés par une pensée matérialiste délivrée de toute morale, annoncent pour nombre d’intellectuels l’avènement d’une nouvelle « ère sociale ».

La mondialisation de l’économie caractérisée par le diktat des multinationales menaçant la subsistance d’Etats-nations souverains, des échanges, de la culture et la « standardisation » des modes de vie, sont les signes d’un bouleversement majeur qui annonce la fin d’une ère où l’individu ne représente qu’un simple numéro dissous dans le système-monde : « Le monde éclaté par suite de la planétarisation progressive des mécanismes d’organisation et de fonctionnement des divers domaines de l‘activité économique, ainsi que de la vie socioculturelle et de l’environnement ne peut plus s’appuyer entièrement sur les structures mises en place jadis et naguère. La transition s’avère être difficile, car les ruptures sont plus nombreuses et plus amples que les évolutions souples. Confrontations, conflits et affrontements se multiplient. Mais le mouvement se poursuit en dépit de toutes les turbulences qui se font jour »[3]. 

La question du sens de la vie se dissipe dans l’indifférence généralisée qui caractérise nos espaces publics. A l’échelle individuelle, si la question interpelle ponctuellement l’esprit, elle est rapidement renflouée pour laisser place aux préoccupations plus terre à terre.

[1] E. MORIN, 1994, Sociologie, Fayard, Paris, p. 282.

[2] J. Baudrillard, 1990, La transparence du mal, éditions Galilée, Paris, p. 31.

[3] G. Wackerman, 1995, De l’espace national à la mondialisation, ellipses, p. 119.

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Un commentaire

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  1. “L’indifférence généralisée qui caractérise nos espaces publics”, c’est aussi une manière de se protéger, il y a qq année, j’étais allé à Paris, il y avait des famille de Syrien partout, avec des enfants en bas âge…Au bout de deux jours, je regarder mes pieds, car les voir faisait vraiment trop mal. De plus, cette indifférence nous ouvre aussi un espace de liberté, on s’affranchi du jugement et du contrôle social lié aux “petits villages”.
    Après, bien évidement, je suis assez d’accord avec ce que vous dite.

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